Cinéma : « Blue Movie », le film pornographique qu'aurait dû réaliser Stanley Kubrick

C'est l'histoire de l'adaptation d'un roman de Terry Southern en un film pornographique haut de gamme, qui aurait pu faire connaître Stanley Kubrick dans des salles encore plus obscures.
Blue Movie le film pornographique qu'aurait dû raliser Stanley Kubrick
Sunset Boulevard/Corbis via Getty Image

Nous sommes en 1970 et Terry Southern est un scénariste acclamé. Il a participé à l’écriture de Docteur Folamour, d’Easy Rider, de Barbarella et côtoie la fine fleur du Septième art, tout ça, après s’être acoquiné avec la Beat Generation une décennie plus tôt. Il est toujours là où il faut être et son carnet d’adresse est très bien fourni. Pas étonnant donc que son prochain projet naisse lors d’une soirée chez Stanley Kubrick.

Unijambiste, nécrophile et gros melon

Blue Movie sera un roman retraçant le tournage d’un film pornographique « haut de gamme » à gros budget, réalisé par un cinéaste influent avec maintes célébrités. Cette idée lui tombe dessus lorsque Kubrick s’exclame, à la vue d’un navet classé X, « ce serait bien si quelqu'un faisait des films comme ça, mais dans des conditions de studio ! » Ni une ni deux, Southern s’attelle à l’écriture dudit roman sur ledit film (oui, il faut suivre), qu’il dédie à Kubrick. Le réalisateur suit de près ce projet et encourage l’auteur, qui lui envoie régulièrement des extraits du manuscrit.

Peu de temps après, le livre est finalement publié. À la lecture de ce récit érotico-satirique, où se croisent une actrice porno unijambiste, un producteur nécrophile et un réalisateur du nom de King B, qui emprunte de nombreuses caractéristiques à Kubrick (il est décrit comme froid, maniaque et calculateur), on ne peut s’empêcher d’y voir les prémices d'un film à succès. Car oui, bien avant Boogie Nights, les coulisses de l’industrie pornographique fascinent déjà les foules en pleine libération sexuelle. Terry Southern en est persuadé, Blue Movie fera un excellent long-métrage. Et le réalisateur idéal pour mener le projet à bien n’est autre que Stanley Kubrick.

Sexe et pudeur

En 1971, le cinéaste présente l’ultra-violent Orange mécanique, qui confirme ses penchants pour une certaine perversité à l’écran. Pourtant, de là à mettre en scène un porno, il y a un pas que le réalisateur n’est pas prêt à franchir. « Quand je lui en ai parlé pour la première fois, je pensais qu’il serait intéressé. Mais en réalité il a une attitude très conservatrice pour tout ce qui touche au sexe », explique Southern dans des propos rapportés par David Tully dans Terry Southern and the American Grotesque. En effet, à l'époque Kubrick n'est pas vraiment à l'aise avec les scènes de sexe. « Je pense qu’il est intéressant de savoir comment une personne montre à une autre personne qu’elle désire lui faire l’amour, et c’est intéressant de savoir ce qu’ils font après avoir fait l’amour, mais tant qu’ils y sont occupés… Et bien, c’est autre chose… C’est tellement subjectif et incongru pour le spectateur que ça peut être vraiment gênant », explique-t-il lors d’un entretien avec Southern, issu de ses archives. Mais si le grand cinéaste ne veut pas réaliser Blue Movie, qui va s'en occuper ?

Du fantasme à la réalité

Au milieu des années 70, John Calley devient le président de Warner Brothers et décide qu’il est temps que ce livre érotico-zinzin soit porté à l’écran : plusieurs candidats se manifestent mais à condition que les scènes de sexe soient simulées. Il n’en est pas question pour Calley, comme pour Southern. Blue Movie sera un « vrai » film méta-porno, avec des vrais rapports sexuels, ou ne sera pas. Quatorze millions de dollars sont alloués au projet, et étonnamment, Julie Andrews accepte d’interpréter l’héroïne du film (« par amour [elle vivait avec John Calley à l’époque ndlr], pour le geste artistique et pour un gros paquet d’argent », se rappelle Southern. Pourtant, cet intrigant long-métrage ne verra jamais le jour.

Trente ans plus tard, Stanley Kubrick réalise Eyes Wide Shut. Finalement, inconsciemment ou pas, il met en branle l’ambition du héros de Terry Southern : réaliser un film porno (aux yeux de certains) haut de gamme, dans des conditions de studio. L'unijambiste et le nécrophile de Blue Movie en moins.