10% des mairies dans le monde sont gérées par une femme

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10% des mairies dans le monde sont gérées par une femme

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Claudia López, la maire de Bogota, en Colombie, le 8 mars 2020, lors de la journée du Droit des femmes.
Claudia López, la maire de Bogota, en Colombie, le 8 mars 2020, lors de la journée du Droit des femmes.
© AFP - Juan Barreto

La fonction fait moins recette que celle de parlementaire. Pour un vaste éventail de l'électorat, le choix d'une femme à la tête de l'exécutif local souffre encore de discriminations et préjugés machistes qui conduisent à une pénurie de candidates. Tour d'horizon à un mois du second tour en France.

Maty Mint Hamady, maire de Nouakchott, capitale de la Mauritanie, Claudia López, maire de la capitale colombienne Bogota, plus de 7 millions d'habitants, Claudia Sheinbaum, à la tête de Mexico depuis juillet 2018, Soham El Wardini, maire de Dakar, Marianne Borgen à Oslo, Valérie Plante à Montréal, London Breed à San Francisco, Lori Lightfoot à Chicago et Muriel Bowser en charge de la municipalité de Washington... Bien que la liste des femmes dans le monde devenues maires de métropoles ou de capitales soit limitée, elle est quand même trop longue pour citer ici toutes les élues. Le nombre des maires femmes, en moyenne mondiale, avoisine les 10%. Avec trois femmes candidates têtes d'affiches au second tour pour Paris, dans tout juste un mois.

Quelle que soit leur couleur politique, ces dirigeantes de grandes cités sont confrontées aux mêmes difficultés et priorités : l’urbanisme, la pollution, le logement, l’emploi, la sécurité, les services publics. Elles partagent aussi les hostilités sexistes. 

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L'ONU femmes a beaucoup incité et contribué à l'engagement des femmes en politique. Les femmes ont progressivement obtenu que les pays fassent évoluer leurs législations en faveur de la parité, rapport d'égalité politique. Pour autant, le compte n’y est pas 

La percée des maires américaines 

Après les élections locales de septembre 2019, sur les près de 1 400 maires américains de villes de plus de 30 000 habitants, 300 sont des femmes, selon le Center for American Women and Politics. Pour la première fois, Chicago est dirigée par une femme noire, Lori Lightfoot, et devient, avec ses 2,7 millions d'habitants, la plus grande ville des Etats-Unis à avoir à sa tête une femme, sans pour autant être la seule. Thelda Williams à Phoenix, Jenny A. Durkan à Seattle, Carolyn G. Goodman à Las Vegas, Keisha Lance Bottoms à Atlanta, LaToya Cantrell à La Nouvelle-Orléans, Jane Castor à Tampa ou encore Yolanda Ford à Missouri City, et d'autres encore rééquilibrent "légèrement mais sûrement" l'égalité homme-femme aux postes de responsables politiques municipaux. 

Une élection historique pour Chicago, aux États-Unis ! En mai 2019, les habitants de la 3e ville du pays ont élu Lori Lightfoot, une femme noire et homosexuelle de 56 ans.
Une élection historique pour Chicago, aux États-Unis ! En mai 2019, les habitants de la 3e ville du pays ont élu Lori Lightfoot, une femme noire et homosexuelle de 56 ans.
© AFP - SCOTT OLSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Bien que restant minoritaires, les élues américaines s'imposent de scrutins en scrutins. Que d’efforts et de temps exigés depuis l'élection de Susanna Madora Salter à la tête d'Argonia, au Kansas, en 1887. Désormais, une ville sur quatre des 100 plus grandes villes des Etats-Unis est dirigée par une femme. Reste encore à percer le plafond de verre de la mégapole de 8,5 millions d'habitants de New York.

Corine Mauch, première femme maire de Zurich

La Suisse a pris son temps pour admettre le suffrage féminin, en 1971. La plus grande ville du pays, plus de 400 000 habitants (500 000 d’ici 2040) Zurich est dirigée depuis 2009 par une femme qui se revendique socialiste, féministe, gay, cycliste et musicienne. "Il n’y a pas d’apprentissage de maire, c’est un rôle qui se construit sur le terrain. Dès le départ, je savais que j’avais besoin de temps pour apprendre le métier", explique Corine Mauch au journal Le temps.

Le fait d’être la première femme à ce poste a bousculé les choses : "Les hommes avaient toujours façonné l’image de ce que doit être un maire. Et soudain, une femme arrive et fait certaines choses autrement, les gens ont dû s’y habituer". La maire, comme beaucoup de ses consœurs et confrères, veut faire de sa ville la meilleure cité : 

Nous tenons avant tout à la qualité de vie, au maintien des espaces verts. Et notre politique de logement vise aussi à maintenir la mixité. Les transports publics sont une priorité depuis très longtemps à Zurich. Chaque semaine, des délégations du monde entier viennent observer notre réseau de bus, trams, RER. En matière d'habitat, d'offre culturelle, de garde d'enfants pour les familles, de transports publics ou d'intégration, nous avons de bons projets, appréciés par les Zurichoises et les Zurichois.

Corine Mauch à l'Europride, à Zurich, en 2009.
Corine Mauch à l'Europride, à Zurich, en 2009.
© AFP - FABRICE COFFRINI / AFP

Aujourd'hui, en Europe, seulement 15% des maires sont des femmes. Renforcer la place des élues locales et promouvoir l’égalité des sexes à l’échelon local est la stratégie européenne 2020-2024 de la Commission européenne, lancée le 5 mars dernier. "Il y a plus d’un million d’élus locaux et régionaux en Europe, mais seulement 30 % d’entre eux sont des femmes", a déclaré Silvia Baraldi, conseillère municipale de Legnago (Italie) et vice-présidente de la Commission permanente du CCRE pour l’Égalité. "Impulser une dynamique d'égalité des femmes et des hommes à l’échelle des territoires peut constituer un puissant levier pour rendre nos sociétés plus démocratiques et inclusives à tous les niveaux". Durant la décennie 2005-2015, l’indice d’égalité de genre de l’UE (qui couvre six domaines clés : le pouvoir, le temps, le savoir, la santé, l’argent et le travail) n’a progressé que de 5 points. Ce qui donne une moyenne européenne autour de 67 points, avec de forts écarts entre des pays comme la Suède, 83 points ou le Danemark, 77,5 points, et la Grèce, 51 points, ou la Bulgarie, près de 52 points. La Lituanie est le seul pays à ne pas bouger dans l’égalité des genres depuis 2005. A l’inverse, l’Italie et Chypre ont le plus progressé : plus 13,8 et 10,4 points. Et nulle part, un pays 100% égalitaire homme-femme !

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De la bonne volonté aux effets limités 

Force est de constater que c’est dans le domaine du pouvoir que les progrès sont les plus lents. Les femmes sont particulièrement sous-représentées dans les postes de prise de décisions politiques. Le taux des élues municipales européennes, de 15%, est faible malgré le nombre d’attentions portées à la question, au niveau institutionnel européen. En 2006, plus de 32 pays et 1 600 villes européennes ont signé la charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale. Puis, en mars 2012 a été crée un Observatoire de cette charte européenne pour l’égalité. Certains points comme la parité sur les listes électorales ou les campagnes de sensibilisation contre les stéréotypes basés sur le genre ont mieux été suivis et respectés que d’autres engagements comme les investissements dans des infrastructures de qualité permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie privée, telles que des services de garde d'enfants. 

A Pékin, en 1995, les Etats du monde ont adopté un vaste plan, référence internationale de l’autonomisation des femmes. Pour tout ce qui touche au processus de gouvernance démocratique, à la mise en place d’institutions de promotion de la femme dans le secteur public et aux relations avec la société civile, les pays d’Amérique Latine se distinguent. 

La maire d'El Alto, en Bolivie

A l’ouest de la capitale bolivienne La Paz, El Alto, considérée comme l’une des villes les plus hautes du monde, à plus de 4 000 mètres d’altitude avec près de 900 000 habitants, est dirigée par Soledad Chapetón. Opposante au chef de l’Etat Evo Morales, premier Président de gauche du pays au pouvoir depuis 2006,  Soledad Chapetón surnommée "la Sole" a ravi en 2015 l’un des bastions du MAS mouvement vers le socialisme, le parti présidentiel. 

Femme trentenaire, métisse Aymara, vice-présidente de l’UN, unité nationale, Soledad Chapetón se défend d’être dans un parti de droite. "L’UN n'est pas un parti de droite, mais de gauche démocratique, qui défend l'intégration. On ne devrait pas ranger dans des catégories les gens parce qu'ils portent ou pas une + pollera + (la jupe traditionnelle bolivienne), qu'ils ont la peau claire ou foncée, ou s'ils ont eu la chance ou non d'aller à l’université". Elle ajoute : "Un adversaire m'avait surnommée la yankeemilla, (yankee pour nord- américain et emilla", fille indigène).

Soledad Chapeton, maire d'El Alto en Bolivie depuis 2015 et symbole de l'opposition au gouvernement en place.
Soledad Chapeton, maire d'El Alto en Bolivie depuis 2015 et symbole de l'opposition au gouvernement en place.
© AFP - AIZAR RALDES / AFP

La maire d'El Alto reconnaît devoir faire face au racisme et au machisme : "Je n’ai pas été épargnée, mais je savais qu'en entrant dans la vie politique, je faisais de moi une personne publique. Que ça te plaise ou non, tu es la cible de commentaires". Un an après son élection, l’hôtel de ville est saccagé et incendié. Six personnes périssent. "Sans l'avoir cherché, je suis reconnue comme une figure de l'opposition de l'actuel gouvernement", explique Soledad Chapetón, sans cacher qu’elle a reçu "des invitations à être candidate à la vice-présidence, à être députée ou sénatrice". Mais elle insiste sur sa priorité : s’occuper de sa ville où vivent une majorité de paysans immigrés aymaras.

La Bolivie bonne élève

Avec 44% de femmes dans la représentation municipale, la Bolivie est une championne. En 2012, choqué par l’assassinat de Juana Quispe, conseillère municipale, la Bolivie a adopté une législation exemplaire contre le harcèlement et la violence politique à l’égard des femmes. Une loi qui prévoit des peines de prison de 2 à 5 ans pour quiconque exerce des pressions, persécute, harcèle ou menace une femme exerçant des fonctions publiques et jusqu’à 8 ans d’emprisonnement pour les auteurs d’agressions physiques, psychologiques ou sexuelles.    

Etre une femme politique, un choix de carrière dangereux

"Ils m’ont dit : “Voilà ce qui arrive aux gens qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas… Ils m’ont torturée et m’ont fait des choses dont j’ai toujours du mal à parler", confie Elisa Zepeda Lagunas, première femme maire élue de la municipalité d'Eloxochitlán de Flores Magón, dans le district de Teotitlán de l’État d’Oaxaca, en 2016. Au Mexique, comme dans la plupart des pays d’Amérique latine, le taux de femmes qui exercent des fonctions politiques locales dépasse les 27%, bien que partout dans le sous-continent la politique est un choix de carrière dangereux. Harcèlement, menaces, voire assassinats guettent les femmes, du Honduras au Paraguay en passant par le Brésil où les femmes politiques ont les mêmes craintes avec un double risque pour les femmes autochtones ou d’ascendance africaine. D'où un émoi international quand la conseillère municipale de Rio de Janeiro Marielle Franco est assassinée en mars 2018. 

Les Enjeux internationaux
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"Des barrières invisibles"

Si l'écart des inégalités femmes-hommes s'est rétréci avec le temps, dans tous les domaines dont la politique, l'égalité des sexes souffre encore de préjugés bien ancrés dans les opinions publiques féminines et masculines. Ainsi, une étude du PNUD dans 75 pays, couvrant plus de 80 % de la population mondiale, révélait en mars dernier qu'"environ la moitié des hommes et des femmes dans le monde estiment que les hommes font de meilleurs dirigeants politiques. Plus de 40 % pensent que les hommes sont de meilleurs dirigeants d’entreprises et que les hommes devraient être prioritaires lorsque les emplois sont rares. Enfin, 28 % pensent qu'il est normal qu'un homme batte sa femme".

28 % des hommes et des femmes dans le monde trouvent normal qu'un homme batte sa femme.
28 % des hommes et des femmes dans le monde trouvent normal qu'un homme batte sa femme.
© AFP - Denis Meyer / Hans Lucas

Des avancées à pas de mouche 

Tous ces à priori sur les femmes sont combattus depuis des décennies. Mais malgré la suppression des obstacles juridiques à la participation politique et économique des femmes, dans ces domaines, les inégalités sont trop évidentes. "Les efforts qui ont été si efficaces pour éliminer les disparités en matière de santé ou d'éducation doivent désormais évoluer pour affronter des problèmes bien plus ardus : les préjugés profondément enracinés (tant chez les hommes que chez les femmes) contre une véritable égalité. Les politiques actuelles, quoique bien intentionnées, ne suffisent pas", a déclaré Achim Steiner, administrateur du PNUD.

Ainsi, toutes les lois en faveur de la participation politique des femmes et contre les violences sexistes peinent à être appliquées à la lettre, en particulier pour inverser le taux d’impunité des auteurs de féminicides de tout ordre. Mais l’émergence à travers le monde de nouvelles formes de mobilisations féminines #MeToo, #NiUnaMenos, #TimesUp #UnVioladorEnTuCamino, etc., ravivent les espoirs d’élimination des dominations masculines abusives sur les femmes.

Si l'on regarde en arrière 

"Vous venez d’abolir tous les privilèges, abolissez donc ceux du sexe masculin. Les Français, dites-vous, sont un peuple libre, et tous les jours vous souffrez que 13 millions d’esclaves portent les fers de 13 millions de despotes", requête des Dames à l’Assemblée législative, 1791

Un premier lot de pays a légalisé le droit de vote et d'éligibilité des femmes avant la Seconde Guerre mondiale, un deuxième après 1944, un troisième dans les années cinquante, une quatrième vague de pays entre 1970 et 1994 et les derniers pays réfractaires ont "lâché prise" au XXIe siècle.

  • 1893 Les femmes de Nouvelle-Zélande obtiennent les premières le droit de vote mais ne pourront être éligibles qu'en 1919. Kate Sheppard figure sur les billets de dix dollars néo-zélandais. 
  • 1906 La Finlande adopte le suffrage universel et accorde l'égalité citoyenne aux femmes. Aux législatives de 1907, les Finlandaises sont les uniques votantes de l'Europe et les troisièmes dans le monde après l'Australie. 
  • 1913 La Norvège emboîte le pas, suivie en 1915 par le Danemark et l'Islande, puis l'Estonie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie et le Royaume-Uni. 
  • 1927-29 L'Uruguay et l'Equateur 
  • 1930-1934 Les femmes turques sont autorisées à participer aux élections municipales. Le Sri Lanka, puis le Brésil, la Thaïlande et Cuba reconnaissent aux femmes les droits civils.
  • 1944 La France accorde le droit de vote aux femmes. Près d'un siècle après les hommes, les Françaises participent pour la première fois à un scrutin le 29 avril 1945, premier tour des élections municipales. L'Italie la talonne. Chaque année suivante, un nouveau pays s'ajoutait : Panama, l'Argentine et le Venezuela. 
  • 1952-57 Successivement la Bolivie, le Mexique, la Colombie, le Pakistan, la Syrie, le Pérou, l'Egypte, la Tunisie et le Liban autorisent les femmes à voter et à se présenter aux élections. 
  • 1963 Afghanistan, Iran, Maroc.
  • 1974-75   Portugal, Espagne
  • 1980-94  l'Irak et l'Afrique du Sud pour les femmes noires  
  • 2011 Arabie saoudite, Qatar, Bahreïn 

Sites consultés 

- Liste chronologique des premières femmes maires dans le monde. Wikipedia

- Les femmes politiques aux Etats-Unis, notamment maires. Center for American Women and Politics (CAWP)

- Les femmes maires, les femmes élues à la tête de villages et de villes. iKNOWPOLITICS

- Près de 90 % des hommes/femmes dans le monde ont des préjugés envers les femmes. Etude publiée début mars par le PNUD, Programme des Nations unies pour le développement

- Women still struggling to win big-city mayoral jobs. Martha T. Moore**,** USA Today, septembre 2013