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Coronavirus, « mascarade » et « grippette » : la mémoire sélective d’Agnès Buzyn

L’ex-ministre est revenue sur ses propos polémiques du mois de mars et sur son action au gouvernement, mais ses explications l’obligent à se contredire elle-même.

Par  et

Publié le 28 mai 2020 à 17h42, modifié le 28 mai 2020 à 18h25

Temps de Lecture 5 min.

Agnès Buzyn, candidate à la Mairie de Paris, sur France Inter, le 28 mai.

Agnès Buzyn repart en campagne. L’ancienne ministre de la santé, devenue candidate de La République en marche (LRM) à la Mairie de Paris, sera bien présente lors du second tour des élections municipales, le 28 juin. Ce retour politique a conduit Agnès Buzyn à sortir de son silence médiatique. Elle a accordé un long entretien au Figaro, mercredi 27 mai, puis à France Inter le lendemain.

La candidate LRM revient sur ses déclarations au Monde qui avaient suscité une grande controverse, jusque dans ses propres rangs. Dans nos colonnes, Agnès Buzyn avait exprimé ses regrets sur ces élections municipales organisées en pleine crise sanitaire. Elle qualifiait le maintien du premier tour de « mascarade ».

Elle défend enfin sa gestion des débuts de l’épidémie, alors qu’elle était encore ministre. Mais la candidate à la Mairie de Paris s’arrange un peu avec la réalité pour défendre ses actions.

  • La mémoire sélective d’Agnès Buzyn sur les avertissements des experts

Ce qu’elle a dit

Interrogée par Le Figaro sur son choix paradoxal de se présenter aux municipales alors qu’elle a assuré, après le premier tour au Monde, pressentir que la catastrophe sanitaire arrivait, Agnès Buzyn incrimine le manque d’écho qu’auraient eu ses intuitions parmi les experts :

« On me reproche d’avoir eu les intuitions qui étaient les bonnes, de l’avoir dit peut-être trop tôt. Une semaine avant l’élection, les experts disaient encore que c’était une grippette et que les politiques en faisaient trop. Mon intuition n’était pas du tout partagée par les scientifiques, en France ou à l’international. »

Même son de cloche sur France Inter, où elle justifie son changement de casquette, le 16 février, en pleine pandémie, par l’impression que ses intuitions alarmistes ne sont pas partagées :

« Jusqu’à une semaine des élections, tous les experts qu’on entend sur les plateaux disaient encore que ça allait être une grippette. Je rappelle que l’OMS [Organisation mondiale de la santé] a annoncé la pandémie mondiale le 11 mars, quatre jours avant les élections (…). Je n’ai pas entendu beaucoup de scientifiques ou de médecins jusqu’au mois de mars, un mois après que je sois partie, dire que ça allait être grave. »

POURQUOI C’EST INEXACT

Il est vrai que le débat public en France pouvait, jusqu’à la fin de l’hiver, paraître rassurant. Début février, le professeur Didier Raoult expliquait ainsi à BFM-TV qu’il n’y avait « pas de raison d’avoir peur » de ce virus, qu’il qualifiait de « pas si méchant ». Jusqu’au 10 mars, l’idée que le Covid-19 n’était qu’un « gros rhume monté en épingle » était par ailleurs très présente sur les réseaux sociaux.

Néanmoins, les grandes institutions scientifiques mondiales et les autorités sanitaires internationales tenaient un discours bien plus alarmant depuis le début de l’année, qu’Agnès Buzyn ne pouvait ignorer.

Dès le 26 janvier, les experts en épidémiologie de l’Imperial College britannique avertissaient que le nombre de cas réels était probablement supérieur à 100 000. Le 30 janvier, l’OMS décrétait l’urgence sanitaire mondiale, tandis que mi-février, Gabriel Leung, président de la chaire de santé publique à l’université de Hongkong, estimait que 60 % de la population risquait d’être touchée si aucune mesure forte n’était prise.

Dans la foulée, l’OMS relevait fin février son niveau d’alerte au maximum, après la publication, dans le New England Journal of Medecine, d’une étude montrant l’ampleur des dégâts causés par le Covid-19 et l’amplitude des classes d’âge pouvant être touchées.

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En France, la prise de conscience s’est généralisée vers le 8 mars, soit une semaine avant la tenue du premier tour des élections. Alors que les hôpitaux italiens arrivaient à saturation, des médecins français reconnaissaient avoir sous-estimé la menace, comme le professeur Gilles Pialoux, chef de service de l’unité des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon de Paris, interrogé par Libération :

« Le coronavirus semble plus grave que ce que l’on pensait au départ : 16 % des patients ont besoin d’être hospitalisés, 5 % doivent être placés sous ventilation artificielle et surtout de façon durable – vingt jours en moyenne, c’est très long. »

Agnès Buzyn n’invente rien quand elle affirme que le débat public, en France, a longtemps minoré la gravité du virus. Néanmoins, plusieurs grandes institutions avaient tiré la sonnette d’alarme dans les semaines précédentes.

  • L’explication peu convaincante de ses propos tenus auprès du « Monde »

C’est un mot qui a beaucoup fait jaser. Le 17 mars, l’ex-ministre de la santé a qualifié dans Le Monde de « mascarade » la tenue des élections municipales. Elle avait rapidement réagi, en expliquant qu’elle « regrett[ait] l’utilisation du terme », qui « concernait le fait de débuter des discussions de fusions de listes électorales dans le contexte que l’on connaît ».

Ce qu’elle a dit

Dans Le Figaro (puis le lendemain sur France Inter), elle présente à nouveau ses excuses et justifie le terme par un contexte d’arrangements politiques indécents :

« J’avais l’intime conviction que le second tour ne pourrait pas avoir lieu. Je voyais toutes les tractations commencer pour les fusions de listes et cela me semblait totalement déconnecté de la vie des Français et de ce que nous allions vivre. J’ai été choquée de ces tractations inappropriées, c’est pour cette raison que j’ai utilisé le terme de mascarade. »

POURQUOI C’EST PEU CONVAINCANT

Ces explications contredisent les propos qu’elle avait tenus le 16 mars, au lendemain de sa déconvenue aux municipales, où sa liste est arrivée troisième. Agnès Buzyn affirmait alors que cette gêne l’avait accompagnée pendant toute la campagne, et non pas seulement lors de ces « tractations d’appareil » :

« Depuis le début, je ne pensais qu’à une seule chose : au coronavirus. On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade. La dernière semaine a été un cauchemar. J’avais peur à chaque meeting. J’ai vécu cette campagne de manière dissociée. »

Cette déclaration ne comportait aucune ambiguïté sur les motivations sanitaires de son inquiétude, non seulement au lendemain du premier tour mais tout au long de la campagne.

Les propos d’Agnès Buzyn avaient enflammé l’ensemble de la classe politique et gagné Matignon. Le premier ministre, Edouard Philippe, s’était défendu publiquement d’avoir sous-estimé le danger : « Si nous n’avions pas pris au sérieux cet événement sanitaire, je n’aurais pas organisé une réunion dès le mois de janvier », ni « pris des décisions lourdes », avait-il fait valoir en mars sur le plateau de France 2.

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