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Les astronomes lancent l’alerte sur les dangers des mégaconstellations de satellites

La mégaconstellation pourrait même entraver tous les programmes de surveillance des astéroïdes et nous empêcher de prévoir l’impact de l’un d’entre eux sur la terre. L’humanité entière est concernée.

« Starlink », le projet de mégaconstellation de la société d’Elon Musk, SpaceX, n’en finit par d’inquiéter l’univers scientifique. Depuis le début du mois de janvier 2020, un appel international d’astronomes professionnels « pour la sauvegarde du ciel astronomique » a déjà rassemblé plus de 2 000 signatures. Les pétitionnaires demandent aux institutions de contrôle et aux gouvernements d’intervenir dans ce qui constitue pour eux « une dégradation dramatique d’un bien immatériel d’une valeur incommensurable pour l’humanité ».

Starlink, la 6G depuis l’espace

« Starlink », c’est le nom de la mégaconstellation de satellites que développe depuis 2015 le milliardaire Elon Musk, avec le soutien et la bénédiction de la NASA. Ce projet insensé prévoit le lancement dans l’espace d’une flotte de 12 000 satellites d’ici 2025 et d’une autre de 30 000 au cours des dix années suivantes, dans le seul but d’offrir une couverture internet de haut débit à l’ensemble de la planète, même les zones les plus reculées.

Ces 42 000 satellites miniatures, d’un poids de 250 kilos et d’une dimension d’un mètre cube en moyenne, évolueront dans une orbite extrêmement basse, à quelques centaines de kilomètres d’altitude, entre 350 et 1 150. Au début du mois de mai, 422 satellites avaient déjà été envoyés dans le ciel, à environ 500 kilomètres au-dessus de la terre. SpaceX les expédie régulièrement par paquets de 60, et le débit ne devrait cesser de s’accélérer les prochaines années.

1 000 satellites à la fin de l’année 2020, 12 000 en 2025 : on s’en doute bien, SpaceX ne mise pas aussi gros par charité pour les régions désertiques. À terme, l’entreprise américaine a l’ambition de vendre son réseau internet à l’ensemble des habitants de la planète sans distinction et de concurrencer toutes les autres firmes de télécommunication. Autant dire que des centaines de milliards de dollars sont en jeu.

Au lieu d’envoyer les bornes à des dizaines de milliers de kilomètres, comme on le fait depuis toujours, chaque satellite en orbite basse ne couvrira qu’une petite portion de la Terre, un manque à gagner qui sera compensé par une prodigieuse multiplication du maillage. Les temps de latence divisés par dix, l’usager jouira par satellite d’une connexion d’aussi bonne qualité que la fibre optique passant dans le sol.

Autrement dit, alors que la 5G est encore à l’état embryonnaire sur la terre ferme, c’est un réseau de sixième génération que propose de mettre en place SpaceX. Partout.

Starlink Mission – Crédit : Official SpaceX Photos

Le ciel étoilé, un nouveau FarWest

Aujourd’hui, l’orbite terrestre est habitée par 2 500 satellites artificiels environ, ainsi que 7 000 gros débris, comme des coiffes ou des réservoirs de fusée, laissés derrière elles par diverses missions spatiales, la plupart soviétiques ou américaines.

Avec Starlink, le nombre de satellites en orbite sera donc multiplié au moins par 20, sans compter tous ceux que des entreprises du monde entier, obéissant au sacro-saint principe de la libre concurrence, se dépêcheront d’envoyer elles aussi dans le ciel.

Car plusieurs autres projets sont en préparation : OneWeb en Europe (heureusement ou non en faillite), Telesat au Canada, le projet Kuiper d’Amazon (3 200 satellites), le projet Lynk de Facebook (des milliers), la constellation Rocosmos de l’agence spatiale russe, ou encore celle de l’agence spatiale chinoise (CASIC).

Si rien n’est fait, dans dix ans, toutes ces entreprises auront propulsé des dizaines de milliers de nouveaux satellites dans l’espace qui, comme la Lune, échappe à toute juridiction et représente un véritable Far West pour les entreprises privées.

On imagine difficilement quelles pollutions ces entreprises prométhéennes vont engendrer ; et pour cause, elles sont tout à fait inédites. Alors que la structure de cette mégaconstellation n’en est seulement qu’à un centième de son achèvement, des astronomes du monde entier nous mettent déjà en garde contre ses effets irréversibles pour la science.

Dans une tribune commune, plus de 2 000 chercheurs tirent la sonnette d’alarme : la déambulation permanente de 50 000 satellites dans l’espace représenterait « une dégradation dramatique du contenu scientifique pour un énorme ensemble d’observations astronomiques », qui « diminuera considérablement notre vision de l’Univers » et « privera l’humanité d’une vue sans tache sur le ciel nocturne ».

On ne compte plus les effets néfastes de la pollution lumineuse des villes. Mais celle que produira la mégaconstellation sera d’un tout autre calibre. En observant les 422 satellites de Starlink actuellement en orbite, les astronomes ont pu mesurer qu’ils brillaient davantage que 99 % des sources lumineuses célestes (planètes, étoiles, météores, etc.).

Il n’y a en tout et pour tout que 172 étoiles qui dépassent la luminosité de ces satellites, sachant que, depuis la terre, on ne voit que 9 000 d’entre elles à l’œil nu.

Crédit : Andy Holmes

Les étoiles bientôt éteintes ?

En traversant intempestivement le ciel munis de leurs panneaux solaires qui réfléchissent les rayons et représentent les 3/4 de leur surface, les nouveaux satellites laisseront « des traînées parallèles brillantes à toutes les latitudes » qui brouilleront les observations des télescopes et compromettront les données recueillies par les scientifiques.

Dans chaque parcelle de ciel observable, un satellite très proche de la Terre masquera tous les objets lumineux qui se trouvent derrière lui. Récemment, Elon Musk a promis qu’il réduirait la luminosité des satellites, mais selon les astronomes, ces quelques coups de peinture ne changeront rien.

Interviewée par la journaliste Aurélie Cuttat pour la chaîne d’information suisse « Nouvo », Sylvia Ekström, astrophysicienne à l’Université de Genève, prévoit un bouleversement complet de son domaine d’études :

« Nos télescopes professionnels, qui sont au Chili, aux Canaries ou à Hawaï, vont être directement impactés par ce genre de projets. (…) On va avoir des problèmes sur les photos à longue pose, de plusieurs heures, que les astronomes doivent faire pour observer par exemple les galaxies très lointaines. Actuellement la probabilité qu’un satellite passe devant est non nulle, ça arrive même parfois, mais maintenant, avec la constellation prévue, ce ne sera pas un satellite de temps en temps, ce seront des dizaines tout le temps. »

La mégaconstellation pourrait même entraver tous les programmes de surveillance des astéroïdes et nous empêcher de prévoir l’impact de l’un d’entre eux sur la terre. L’humanité entière est concernée.

Outre la pollution lumineuse, les astronomes pétitionnaires prévoient que « Starlink » brouillera les « observations radio-astronomiques ». Si l’on compte toutes les fréquences actuellement émises par les antennes sur terre, les futures ondes 5G et les dizaines de milliers de satellites qui couvriront le ciel, il faut s’attendre à ce que toute la chaîne d’analyse des ondes radio et électromagnétiques soit irrémédiablement corrompue, rendant « la communauté astrophysique aveugle à ces fenêtres spectrales » et altérant « notre compréhension de l’Univers ».

Car SpaceX ne se contentera pas d’envoyer 50 000 satellites dans l’espace ; il faudra aussi mettre sur pied des millions de stations relais sur terre et produire des quantités pharaoniques de terminaux et de nouveaux objets de transmission (peut-être mille milliards d’ici la fin de la décennie), qui eux-mêmes émettront des ondes radioélectriques dans une proportion dépassant l’entendement. Face à ce déploiement d’infrastructures connectées, la sulfureuse 5G fait sourire.

Selon l’Union astronomique internationale, il aurait été impossible de produire la première image d’un trou noir si les pays ne s’étaient pas concertés pour protéger le ciel de telles interférences. Les projets comme « Starlink » condamnent à mort la radioastronomie et nous précipitent à une consommation irrationnelle des ressources de la terre.

Il s’agit enfin de considérer les millions de débris que des milliers de satellites laisseront dans l’espace. À l’heure d’aujourd’hui, 29 000 déchets de plus de 10 cm, une centaine de milliers de débris de 1 à 10 cm et plusieurs dizaines de millions de débris de moins d’un centimètre se baladent librement dans l’espace, une masse accumulée depuis 1957 et déjà suffisante pour provoquer ce qu’on appelle « le syndrome de Kessler », à savoir « des collisions en chaîne et perpétuelles qui rendraient certaines régions orbitales inutilisables ».

Comme l’indique la chaîne d’information « Brut », si ce phénomène venait à avoir lieu, il n’y aurait plus d’internet, plus de télévision, plus de GPS et plus de prévisions météorologiques. La mégaconstellation de SpaceX va décupler tous les problèmes de déchets spatiaux et augmenter exponentiellement le risque de voir le syndrome de Kessler se réaliser. Pire, du jour au lendemain, « Starlink », ce projet si prometteur, pourrait devenir inutilisable.

Pour toutes les raisons évoquées, le collectif de 2 000 scientifiques appelle « les gouvernements, institutions et agences du monde entier » à décréter un moratoire sur « Starlink » et à suspendre tous les autres projets de mégaconstellations, le temps d’évaluer les impacts que ces programmes pourraient avoir sur les observations astronomiques et de mettre en place « une coordination mondiale », qui contrôlerait tous les engins partant dans l’espace et régulerait les flottes de satellites. Comme l’Antarctique, il est temps que l’espace soit doté de statuts juridiques.

Crédit Photo Couverture : Vincentiu Solomon

Augustin Langlade

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