A propos des masques et de leur valeur

mais comment peut-on avoir l'idée de jeter son masque en pleine rue ? ©Getty - Colors Hunter - Chasseur de Couleurs
mais comment peut-on avoir l'idée de jeter son masque en pleine rue ? ©Getty - Colors Hunter - Chasseur de Couleurs
mais comment peut-on avoir l'idée de jeter son masque en pleine rue ? ©Getty - Colors Hunter - Chasseur de Couleurs
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Des masques chirurgicaux jetés à même le sol alors qu'il y a quelques semaines, la France en manquait cruellement. D'où vient cette désinvolture ?

J’ai d’abord eu du mal à y croire. Jusqu’à ce que, samedi matin, je les vois de mes propres yeux. J’en ai dénombré trois, sur une distance de moins de 500 mètres, le premier abandonné sous un banc, les deux autres aux pieds des arbustes qui bordent cette partie de la promenade plantée à Paris. Trois masques chirurgicaux, que leurs propriétaires avaient laissés là, plutôt que de les jeter dans une poubelle.

Quand je dis que j’ai d’abord eu du mal à y croire, c’est parce que, même si plusieurs articles de presse avaient commencé à s’en faire l’écho, ce geste m’est apparu totalement incompréhensible. Que l’on jette un papier par terre, une canette, un emballage, je peux le comprendre : évidemment, il ne faut pas le faire, c’est condamnable, et les sols jonchés de détritus de ces derniers jours sont affligeants, mais il n’y a pas de contradiction entre la nature de l’objet, son usage, et sa transformation en déchet sauvage.

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Avec le masque, c’est différent. Si vous le portez dans l’espace public, alors que ce n’est pas nécessairement obligatoire, c’est que vous avez l’intention soit de vous protéger du virus, soit d’en protéger les autres, soit les deux à la fois. Utiliser volontairement un masque en période d’épidémie, c’est une forme de civisme. S’en débarrasser n’importe comment, c’est la négation de ce civisme. L’acte de le jeter à même le sol annihile entièrement le fait de l’avoir porté.

Au-delà du fait que cela met en danger les personnels chargés d’assurer l’entretien des lieux publics, il y a dans ce geste répété quelque chose d’énigmatique, car il ne s'agit pas de comportements isolés. Il suffit pour s’en convaincre d’aller faire un tour sur les sites de la presse régionale : à Toulouse, à Lille, à Marseille, à Lyon, à Valence…des masques jetés un peu partout. A défaut d’un phénomène massif (compliqué à évaluer), il s’agit bien d’un phénomène national.

Qu’est-ce qui ne connecte pas dans le cerveau de nos concitoyens pour qu’une telle dissociation s’opère entre conscience du danger qui vous incite à vous couvrir le visage et inconscience du danger qui vous fait le jeter n’importe où ? La neuropsychologie aurait sans doute quelque chose à en dire. La sociologie de la consommation aussi : nous vivons dans le monde décomplexé du jetable. De nombreux objets sont fabriqués pour être aussitôt éliminés. Leur caractère éphémère sert d’argument de vente : cela crée de mauvais réflexes.

Mais je tente cette hypothèse complémentaire : le masque comme symptôme d’une société qui oublie la valeur des choses. Souvenons-nous : c’était il y a seulement quelques semaines. On ne risquait pas de trouver des masques sur la chaussée : il n’y en avait nulle part, pas même dans les pharmacies. De nombreux soignants ont dû s’en passer, pour cause de pénurie. C’était sans doute le bien le plus recherché pendant la période de confinement, au point que je me suis souvent demandé comment certains avaient réussi à s’en procurer malgré tout.

Les voir désormais joncher les trottoirs n’en est que plus choquant. En passant d’un régime de rareté à un régime d’abondance, les masques ont été totalement démonétisés. Comme si la vie qu’ils permettaient de préserver ne valait soudain plus rien. Et il me semble que ce genre de comportement est assez révélateur des rapports que nous pouvons entretenir avec notre environnement. Nous ne prenons pas soin de ce dont nous disposons gratuitement (ou quasi-gratuitement). Le confinement n’a-t-il eu aucun effet sur notre désinvolture ?

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