Anne Rosencher est directrice déléguée de la rédaction de L'Express

Anne Rosencher est directrice déléguée de la rédaction de L'Express

©L'Express

Nous y sommes, donc : au crépuscule d'un vieux modèle. Il faut lui dire au revoir et ça n'est pas de gaîté de coeur. Car c'est un fait que l'actualité nous dévoile : nous sommes devenus des Américains comme les autres, des obsédés de la race et de l'identité. Je ne parle pas du débat sur la police, des questionnements légitimes sur son degré de violence ou sur l'importance d'un racisme qui y sévit : je sais qu'il y a beaucoup à dire, beaucoup à débattre et à corriger. Je parle de la "façon de voir" qui s'y engouffre presque en contrebande, et qui montre, à la faveur des slogans et des termes employés et des arguments servis dans la querelle publique qu'elle a déjà beaucoup progressé.

Publicité

Cette "façon de voir", c'est le multiculturalisme à l'anglo-saxonne qui dans les faits, déjà, s'est imposé dans beaucoup de nos villes. On exalte le "vivre-ensemble" ? On vit séparés ! C'est de plus en plus chacun sa culture, ses rites, ses coutumes, et ses revendications. L'idée de l'universalisme, l'idée qu "en République, le citoyen est l'homme sans étiquette" - selon la formule de Régis Debray - appartient au passé. Elle s'en va avec la génération qui vient, qui parle avec des concepts importés des facs américaines - "privilège blanc", "racisés" "intersectionnalité" - et qui découpe la société en identités blessées.

Un modèle où les blancs - majoritaires - ont fini par voter avec leur couleur de peau

Oh, je crois à la sincérité de beaucoup de ses militants, et à la générosité de la plupart des batteurs de pavés. Je vois ce que leur combat peut avoir d'émouvant. Mais je me permets de dire avec respect : ils signent le crépuscule d'un modèle qui n'était pas parfait, certes, mais qui a conduit au plus grand taux de mariage mixte au monde. Ils proclament l'amour de la différence, et ils préparent le séparatisme. Ils sont la bascule, le "point doré de périr" comme écrit Paul Valéry à propos du coucher de soleil. Ils croient se battre contre l'obscurantisme, mais je pense qu'ils annoncent la nuit : le tribal, la défiance, et les rappels à l'ordre raciaux - ainsi, certains traitent-ils désormais les Français noirs ou arabes qui entendent encore défendre l'universalisme "d'arabe de service", de "collabeurs", ou de "nègre de maison"....bref de traîtres à leurs intérêts de race. J'ai pour eux une fraternité sans limite.

LIRE AUSSI >>De Sydney à Londres, l'indignation monte après la mort de George Floyd

Le vieux modèle républicain avait ses défauts, ses contraintes, oui, bien sûr, mais c'était le nôtre. Au reste, il est assez paradoxal et cruel qu'on prétende aujourd'hui lui substituer fièrement un paradigme qui a conduit à bien pire, ce que l'actualité américaine ne cesse de nous démontrer. Un modèle où tout le monde, tout le temps, est renvoyé à sa race, à son identité, et où les Blancs - majoritaires - ont fini par voter avec leur couleur de peau. Oui, vraiment. Sans esprit de chicanerie ou d'anathème. Permettez juste que je n'applaudisse pas.

Publicité