TÉMOIGNAGE. Mutilée à l'âge de six ans, cette Havraise alerte sur le drame de l'excision

Quand elle évoque l'excision, Mariame utilise le terme « arrachage ». Mutilée à six ans, cette maman du Havre témoigne : « Des femmes ont encore peur pour leur fille, en 2020. »

Mariame est née en France, à l'âge de 6  ans alors qu'elle habitait au Havre (Seine-Maritime) elle a subi en Maurtitanie une excision, elle raconte son parcours jusqu'à la reconstruction, « une renaissance »  pour elle pratiquée dans un des hôpitaux de la cité Océane.
Mariame est née en France, à l’âge de six ans alors qu’elle habitait au Havre (Seine-Maritime), elle a subi lors d’un voyage en Mauritanie une excision. (©MB/76actu)
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Elle a grandi au Havre (Seine-Maritime) avec pour imposition la loi du silence. Aujourd’hui maman, elle décide de prendre la parole. Mariame* a mis longtemps à comprendre qu’elle faisait partie de ses petites filles mutilées par l’excision. Après un long parcours qui l’a menée jusqu’à une reconstruction en avril 2017 dans un des hôpitaux de la cité Océane, elle évoque « sa renaissance », mais aussi ses craintes face à ces pratiques punies par la loi, mais encore trop souvent pratiquées.

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Ma mère a hurlé : « Je vous avais dit que je ne voulais pas » 

Née en France, Mariame raconte ce voyage en 1993, à l’âge de six ans, qui devait être l’occasion « de rencontrer enfin mes grands-parents en Mauritanie puis au Sénégal ».

Nous sommes partis du Havre, avec deux de mes sœurs et ma mère. C’était la première fois que maman retournait au pays. Nous sommes arrivées en Mauritanie. Un jour, ma mère est partie au marché. Ma grand-mère m’a dit que je devais sortir pour aller chercher des bonbons, j’ai d’abord refusé car maman m’avait toujours dit de ne jamais accepter de bonbons d’inconnus. Et c’est là qu’elles sont arrivées…

Mariame décrit avec précision cette arrière-cour, ces femmes costaudes « qui m’ont attrapée » :

Je me souviens avoir hurlé, m’être débattue, j’ai vu du sang par terre… Elles l’ont fait, très vite, elles ont enlevé mes sous-vêtements et puis il y avait cette lame de rasoir par terre. Je n’arrive pas à dire excision, pour moi ça s’appelle un arrachage.

Les larmes montent sur le magnifique visage de Mariame. « J’ai senti une douleur intense, je saignais beaucoup et puis elles ont mis sur mes parties intimes du sable et je pense de la cendre. Je suis retournée à l’intérieur. Ma mère est entrée, je l’ai entendue hurler : ‘Je vous avais dit que je ne voulais pas.’ Elle a beaucoup pleuré. Le lendemain, elle faisait les bagages. Quand je regarde les photos aujourd’hui, je vois le visage d’une petite fille complètement fermé. Je ne comprenais rien de ce qu’il s’était passé et je n’osais rien demander. Plus tard, elle m’a dit que nous étions allées au dispensaire parce que j’avais fait une infection, mais je ne m’en souviens pas. »

De retour en France, Mariame tombe malade et convulse. Elle est hospitalisée. « Après m’avoir auscultée, le médecin s’est tourné vers ma mère et lui a parlé. Elle a répondu : ‘Ne dîtes rien.’ » Cette loi du silence s’est imposée jusqu’à l’adolescence.

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« Mes premières règles : ça m’a fait l’effet d’un flash » 

À  dix ans, Mariame a ses premières règles. « Chez moi on ne parlait absolument pas de tout cela. Je suis allée voir ma mère, j’ai dit ‘ça recommence, je saigne’. Ça m’a fait l’effet d’un flash. » La mère de la petite fille va tenter de la rassurer sans expliquer pour autant la mutilation :

Elle m’a dit que ce n’était rien que je devenais une femme et qu’il fallait seulement que je ne m’approche plus des garçons.

L’éducation sexuelle au collège va enfin lever le voile sur le mystère. « À 12 ans, une infirmière est venue parler au collège des relations sexuelles. Elle nous a montré les parties féminines de la femme et elle a évoqué l’excision. C’était la première fois que j’entendais ce mot. Je suis allée la voir, je lui ai fait part de mes doutes, elle m’a conseillée en rentrant chez moi de regarder mes parties intimes avec un miroir. C’est là que j’ai su. Elles m’avaient arraché les lèvres et le clitoris. » 

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L’adolescente va alors « traîner de la colère encore aujourd’hui difficile à apaiser ». Elle va affronter sa mère. « J’ai simplement demandé pourquoi elle avait laissé faire. Elle a expliqué ce qui est un fait. C’est le père qui décide que sa fille doit être excisée et la mère n’y peut rien. » 

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La génération sacrifiée

Mariame, n’étant pas la seule fille de la famille, a voulu savoir. « Ma mère n’a jamais emmené à nouveau une de mes sœurs au pays. Heureusement, aucune n’a subi cela. Je pense que j’ai été la génération sacrifiée. Quand j’en ai parlé bien plus tard à mes frères, ils n’arrivaient pas y croire. » Preuve que les mœurs ont évolué ?

« Grâce à l’école, aux médias, les femmes originaires des pays d’Afrique subsaharienne sont plus informées aujourd’hui. Il y a des associations comme le Gams (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants) qui font un travail formidable. Malheureusement, encore en 2020, lorsqu’on devient maman d’une petite fille, on craint que le père décide de la faire exciser. Ça ne se fait pas au Havre, mais si elles retournent au pays… Toutes mes proches préfèrent y aller sans leur fille de peur qu’elle ne soit mutilée. » 

Au Havre, quatre femmes ont sur la dernière année, décidé de faire une réparation. Mariame grâce notamment au Gams, a franchi le pas de « [sa] renaissance », le 24 avril 2017. « Quand on dit que la femme c’est le beau sexe, aujourd’hui, je le dis, c’est vrai. J’ai la chance d’avoir survécu à cette mutilation. » Maman de deux enfants, elle explique aujourd’hui à son garçon « que la femme est importante et qu’on n’a pas le droit de mutiler son corps. On peut respecter les traditions, être croyant sans contraindre une femme à être mutilée ».

La mutilation sexuelle : un crime depuis 1983
En France, grâce aux associations depuis la fin des années 1970, l’arrêt du 20 août 1983 de la chambre criminelle de la Cour de cassation a reconnu le caractère criminel de la mutilation sexuelle faîte aux femmes (MSF), en estimant que l’ablation du clitoris était bien une mutilation au sens du code pénal français. Ainsi, les MSF sont un crime relevant de la cour d’assises. Source Fédération du Gams.

* Prénom d’emprunt

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