Uber Eats, plus vert que vert, plus noir que noir

le livreur à vélo, nouvelle figure du prolétariat ©Getty - GibsonPictures
le livreur à vélo, nouvelle figure du prolétariat ©Getty - GibsonPictures
le livreur à vélo, nouvelle figure du prolétariat ©Getty - GibsonPictures
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Aux Etats-Unis et au Canada, la société Uber Eats propose de ne pas faire payer les frais de livraison si les commandes sont passées à des restaurateurs noirs. Une façon de surfer sur la vague de protestation contre les discriminations, qui rappelle une autre technique marketing.

Vous avez déjà entendu parler de ‘’greenwashing’’ ? Le ‘’greenwashing’’, c’est une technique marketing qui consiste à repeindre en vert les activités d’une entreprise ou les qualités supposées d’un produit, pour les faire passer pour plus écologiques qu’ils ne le sont en réalité. Les écrans publicitaires en sont surchargés. Tout comme ma boite mail, qui déborde de communiqués de presse pour des marchandises toutes plus ‘’respectueuses de la planète’’.

Et bien c’est à cette fumisterie que j’ai songé en découvrant ce week-end, sur les réseaux sociaux, le message proprement hallucinant de la société Uber Eats, à destination de sa clientèle aux Etats-Unis et au Canada.

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Un mot d’abord de cette société. Vous connaissez Uber, la plateforme californienne qui met en relation des chauffeurs de VTC avec leurs clients, en concurrence avec les sociétés de taxi. Uber Eats est une de ses filiales, un service de livraison de repas à domicile, un intermédiaire entre restaurateurs et consommateurs, qui joue elle aussi la carte de la conscience écologique puisque l’idée est de privilégier les enseignes proches de votre domicile, le ‘’manger local’’, et puisque les livreurs se déplacent essentiellement à vélo.

Mais voici qu’au greenwashing s’ajoute, dans un autre registre mais selon la même logique, une opération de blackwashing, à travers ce message, posté depuis le compte officiel de la société : ‘’vous nous avez demandé un moyen de trouver des restaurants appartenant à des personnes noires sur Uber Eats. Nous vous avons entendu. Vous pouvez soutenir des restaurants appartenant à des Noirs aux Etats-Unis et au Canada en commandant auprès d’eux avec zéro frais de livraison’’. S’ensuit une liste non-exhaustive d’établissements entrant dans cette catégorie.

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Attention, si cette initiative est choquante, il faut se garder de sur-réagir et d’y voir la manifestation d’une forme inversée de ségrégation raciale, ce vers quoi nous portent notre culture et nos réflexes universalistes. La discrimination positive est un phénomène courant en Amérique du Nord, distinguer les populations noires, blanches, latinos, asiatiques n’y est pas particulièrement choquant.

Ce qui l’est beaucoup plus, c’est, d’abord, la récupération commerciale d’un phénomène de société qui trouve son origine dans un drame. Le phénomène, ce sont les manifestations liées à la mort de George Floyd, tué par un policier à Minneapolis. Sous prétexte de répondre à une demande de sa clientèle, Uber Eats profite de l’émotion provoquée par ce drame pour en faire un argument de vente.

Mais le plus déplacé à mon sens, c’est de jouer la carte de la lutte contre les discriminations quand on contribue soi-même à fragiliser le tissu social et à creuser les inégalités par le travail. Car, pour son malheur (mais c’est la rançon du succès), Uber a donné son nom à un phénomène de précarisation massive du monde du travail : l’ubérisation.

L’ubérisation, c’est la promotion de l’auto-entrepreneuriat, l’illusion de la liberté alors qu’il s’agit en fait d’une forme bâtarde de salariat, sans la protection du droit du travail. Un statut précaire pour une rémunération aléatoire. On peut trouver une bonne description du nouveau prolétariat qui en découle dans le livre de la sociologue Sarah Abdelnour, ‘’Moi, petite entreprise’’, publié aux PUF.

La société californienne n’est certes pas la seule à boxer dans cette catégorie. Mais qu’une entreprise qui participe de ce phénomène de fragilisation sociale joue ostensiblement la carte marketing de la compassion et de la solidarité à l’égard d’une communauté socialement discriminée, voilà qui me parait pour le moins gonflé. A moins que ce soit tout simplement du cynisme

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