"Les gens aiment la campagne, mais ne veulent pas y travailler"... Les agriculteurs du Var en mal de main-d’oeuvre

Face à la difficulté de trouver du personnel de proximité, certains font appel à des travailleurs étrangers. Et ce n’est pas simple quand les frontières sont fermées à cause de la crise sanitaire

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Véronique Georges Publié le 08/06/2020 à 08:30, mis à jour le 08/06/2020 à 08:30
Jean-Marc Pertusa et son fils Adrien n’ont pas pu faire venir leurs employés saisonniers d’Espagne. Ils se sont débrouillés en famille pour l’ébourgeonnage. Luc Boutria

«La terre est basse pour qui ramasse », chantait avec justesse Pierre Bachelet. Les candidats ne se bousculent pas pour les travaux agricoles, physiques et en plein air. Qu’il pleuve, qu’il vente ou sous un soleil de plomb, le travail aux champs demande des bras... On en manque !

La problématique est connue des agriculteurs. Beaucoup travaillent seuls ou en famille. D’autres ont recours à de la main-d’œuvre étrangère. Ils sont rares dans le Var, où la taille des exploitations est plutôt petite. Néanmoins, la crise sanitaire et le confinement ont un effet sur ces quelques exploitations. La fermeture des frontières pour les travailleurs étrangers ne leur a pas facilité des choses.

La famille ou l’étranger

Jean-Marc Pertusa s’inscrit dans l’histoire familiale. « À l’époque de mes parents, on faisait venir des Espagnols pour les vendanges, explique ce viticulteur entre La Croix-Valmer et Gassin. Donc on a voulu continuer, avec mon fils Adrien. L’an dernier, on avait employé deux Espagnols, deux frères, pour la saison du débourgeonnage. Lorsqu’elle est arrivée, nous étions en plein confinement, alors on a pris les devants, on a travaillé avec nos femmes. On s’est débrouillé comme ça. »

Une autre option était possible, mais « il fallait faire une autorisation de déplacement via le consulat, c’était compliqué, précise-t-il. On a gardé le contact avec eux pour l’année prochaine, en espérant qu’ils pourront venir. Étant nous-mêmes d’origine espagnole, cela permet de conserver le lien. »

Si le père et le fils ont chacun leur exploitation, ils cumulent 25 et 30 hectares de vignes. Ils font aussi des travaux de prestation de service (ébourgeonnage, taille, travail mécanique) pour d’autres clients qui ont été informés de la situation.

Sur Pierrefeu, Cuers, plusieurs domaines font aussi appel à des saisonniers étrangers. « On travaille avec des Espagnols depuis une vingtaine d’années, explique Julien Baudino, du domaine de la Vieille Tour. On a une équipe qui vient deux fois par an, trois saisonniers au printemps pour le débourgeonnage et la taille, onze pour les vendanges. Cette année, avec le Covid-19, ça a été très compliqué, alors que, d’habitude, on n’a jamais de problème. »

Son frère, Alexandre Baudino, précise comment cela s’est passé pour ces hommes qui ont quitté la province de Malaga, en Andalousie, avec d’autres, dans des bus en direction de la France le 9 mai. Ils ne sont arrivés que le 11 mai au matin après bien des difficultés.

Le bus bloqué à la frontière

« Ils sont partis le vendredi en convoi, trois bus ensemble, et dans la nuit de samedi à dimanche, le premier bus est passé sans problème à la frontière, raconte le viticulteur. D’après notre chef d’équipe qui nous informait, le deuxième, dans lequel se trouvait notre équipe, n’a pas pu passer. Il aurait été bloqué par un agent de la police aux frontières. Pourtant, nos saisonniers avaient leur déclaration d’embauche qu’on avait faite un mois à l’avance, leur justificatif de déplacement professionnel et leur attestation de logement car nous les logeons. Ils ont des contrats français, validés par la MSA (Mutualité sociale agricole, Ndlr). »

Le bus a tenté deux autres postes frontière, dont un côté basque ! Entre-temps, Alexandre Baudino a appelé l’ancien président de la chambre d’agriculture, qui l’a orienté vers Fabienne Joly, l’actuelle présidente. Laquelle a contacté la préfecture du Var.

« Nos saisonniers sont arrivés le lundi matin, après ce long voyage. Jusqu’au dernier moment, on a eu peur qu’ils n’arrivent pas », commente Alexandre Baudino.

"un bon employé agricole, c'est difficile à trouver"

La pénibilité du maraîchage ou du travail dans les vignes n’attire pas la main-d’œuvre locale. doc P. Pa.

Pourquoi ne pas embaucher localement ? Cela serait quand même plus facile. « Non, les gens d’ici viennent un jour, et pas le lendemain. Ils aiment bien la campagne mais ne veulent pas y travailler », répond Jean-Marc Pertusa, sans filtre.

Le sujet des saisonniers étrangers est délicat, et certains refusent de l’aborder ouvertement avec la presse. « Le grand public pense que nous faisons appel à de la main-d’œuvre étrangère pour la payer moins cher et pour en abuser. C’est totalement faux, témoigne Robert (1). Nous ne trouvons simplement pas d’ouvriers agricoles sur place. Nous sommes en France, nous payons les étrangers comme des salariés agricoles français. Ils ont une autre mentalité. Ils viennent parce qu’ils ont besoin de travailler, et ils travaillent. C’est normal qu’ils soient payés normalement, ils sont soumis aux mêmes règles. »

Marine Renard, maraîchère de la région hyéroise, confirme : « Pendant la crise du Covid, je n’ai même pas fait appel au volontariat, qui n’est pas du bénévolat. On a tous refusé d’employer des volontaires. C’est simple : les gens ne veulent pas se baisser. »

« Le sécateur dans une main le téléphone d’ans l’autre... »

Elle confie : « J’ai énormément de demande, je pourrais en planter des fraises ou des haricots, mais je ne trouve personne pour les ramasser. Je ne veux pas développer mon entreprise pour cela. J’ai eu des stagiaires, rémunérés. Ils avaient le sécateur dans une main, le téléphone portable dans l’autre... Fatalement, à un moment, ils se coupaient et se retrouvaient en arrêt de travail. »

La jeune femme dit préférer rester seule sur son exploitation, même si elle ne veut pas généraliser la situation ni assombrir le tableau. « Dans le Var, les fermes sont petites, beaucoup travaillent en famille. Bien sûr, on peut tomber sur la bonne personne, assure-t-elle. Mon voisin a un super employé, qui travaille bien. Mais un bon employé agricole, c’est difficile à trouver. Si on vient travailler dans les champs, on en connaît les contraintes, et il y en a dans toutes les professions. Dans l’agriculture, l’été, c’est de bonne heure pour éviter les grosses chaleurs, il y a les autres aléas climatiques aussi. Mais libre à chacun de choisir son métier. En France, il y a beaucoup d’aides, c’est la facilité. C’est pour cela qu’il y a de la main-d’œuvre délocalisée. »

« On peut compter sur eux »

Alexandre Baudino va dans le même sens : « On n’arrive pas à trouver cette main-d’œuvre en France, même pour les vendanges. Certains viennent le matin et pas l’après-midi. D’autres viennent un jour et pas le lendemain. On a fait une croix dessus, ils ne sont pas fiables. »

Son frère, Julien, ajoute : « Il y a peu de monde volontaire dans cette filière. On n’a jamais eu de problème avec les Espagnols. Comme on les loge, ils nous coûtent plus cher que des employés français. Mais, au moins, on peut compter sur eux. »

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Var-Matin

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