Jean-Marc Mormeck : « Non, en France, tous les policiers ne sont pas violents ni racistes »

ENTRETIEN. L'ancien champion de boxe, qui connaît bien les États-Unis, dénonce ceux qui comparent les situations américaine et française.

Propos recueillis par

Temps de lecture : 5 min

Plusieurs fois titré champion du monde, le boxeur Jean-Marc Mormeck a raccroché les gants. Délégué aux quartiers populaires au sein du conseil régional d'Île-de-France, acteur de ce terrain qu'il connaît bien pour avoir grandi dans une cité de Bobigny, il se bat aujourd'hui avec toute sa détermination de boxeur pour tirer ces quartiers vers le haut et refuse les discours de fracture portés par certains lors des manifestations de ces derniers jours.

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Le Point : À la suite de l'affaire de George Floyd, mort entre les mains de la police à Minneapolis, on entend des voix s'élever comparant la situation aux États-Unis à celle de la France dans certains quartiers. Qu'en pensez-vous ?

Jean-Marc Mormeck : Les sociétés françaises et américaines sont complètement différentes. Les États-Unis sont un État fédéral et la police dépend directement des villes, ce sont les maires qui décident, et, évidemment, la situation varie d'une ville à l'autre. Mon parcours de boxeur m'a amené à vivre quelques années là-bas. C'est une société plus violente avec la libre circulation des armes, et les rapports entre les populations y sont plus marqués par la discrimination. Certains quartiers sont complètement blancs, noirs ou latinos. Je ne nie pas les problèmes dans notre pays, les discriminations existent, mais ce n'est pas comparable. Je suis très gêné d'entendre des généralités, en parlant de violences policières. Non, en France, tous les policiers ne sont pas violents ni racistes. Il y a, en effet, des policiers violents. Dans ces cas précis, on peut parler de violences policières, et il faut les dénoncer. On ne peut pas tous les mettre dans le même sac en affirmant qu'ils sont tous violents ou racistes. Certains des amis avec qui j'ai grandi dans mon quartier sont aujourd'hui devenus policiers. Ils sont d'origines diverses, ils connaissent la banlieue et font bien leur travail, même si ce n'est pas toujours facile pour eux.

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Comment expliquez-vous l'ampleur de ce mouvement et des manifestations dans les rues de Paris et ailleurs ces derniers jours ?

Ces gens manifestent pour soutenir la famille d'Adama Traoré. Ce jeune homme est mort, mais on ne connaît pas vraiment les faits. La famille assure que trois ou quatre policiers se sont mis sur lui et l'ont étouffé. Il est essentiel, dans ce cas, d'établir la vérité. Mais, dans ces manifestations, certains en profitent pour faire le buzz et attiser les tensions. On se retrouve face à une surenchère de propos choc, pour ainsi être repris et suivis dans les médias ou invités sur les plateaux télé et se faire connaître en avançant des thèses et des théories vides de véritable fond. Bien sûr, on peut affirmer qu'il y a parfois des dérives policières. Mais il y a aussi des gens de banlieue qui ne se comportent pas bien. Je ne comprends pas pourquoi, par exemple, certains s'en prennent aux pompiers qui viennent éteindre des incendies ou aider la population de ces quartiers ? Pourquoi, à l'inverse, on ne pourrait pas dire que ceux agissant ainsi ne sont pas des gens bien ? Pourquoi, concernant les cités, se retiendrait-on de dénoncer des comportements inacceptables et négatifs ? Il faut faire la part des choses. Bien sûr, il y a des dérives policières. Bien sûr, il y a du racisme et des policiers racistes au même titre que, dans les banlieues, il y a des fouteurs de merde et des gens sans moralité… C'est aussi un problème.

On veut se distinguer dans son quartier au nom d'une religion, de ses origines ou de sa couleur, etc.

Vous avez grandi en banlieue à Bobigny dans un milieu modeste, les quartiers ont-ils changé, selon vous ?

La vie dans le quartier n'était pas rose lorsque j'étais plus jeune. Il y avait déjà des phénomènes de bandes et on s'affrontait entre quartiers parce qu'on n'aimait pas les mecs d'une cité rivale. Mais on était ensemble dans notre quartier : Blancs, Noirs ou Arabes, on ne faisait pas de différence entre nous. Aujourd'hui, on constate une radicalisation des rapports entre les gens. On veut se distinguer dans son quartier au nom d'une religion, de ses origines ou de sa couleur, etc. C'est un prétexte à faire la guerre, à faire du mal, à se mettre à part, en marge de la société, et à marquer sa différence vis-à-vis de l'autre. Je n'ai pas grandi comme ça et je ne veux pas de cela pour cette jeunesse.

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Le discours de certaines organisations très présentes dans les manifestations et dans les quartiers vous inquiète-t-il ?

Il faut faire la part des choses face à ce qui se passe. Il y a, d'un côté, une famille en deuil affirmant que Adama Traoré a été tué par les gendarmes. Pour apaiser ses proches, mais aussi les tensions, il faut établir la vérité. Cependant, face à ceux qui crient à la discrimination systématique, j'ai envie de répondre que beaucoup, hélas, se ghettoïsent tout seuls. Ils portent des revendications qui les arrangent bien pour entretenir les jeunes dans leur mal-être et continuer à dénoncer et à tenir un discours politique et hostile. Mais non, ce n'est pas parce qu'on vient d'un quartier qu'on est voué à l'échec. On est victime de quoi quand on choisit un camp en prétendant ne pas faire partie de cette société ? Ou en se laissant pousser la barbe en mettant sa religion en avant ? Je ne vais pas le nier, c'est plus difficile de réussir, même avec des diplômes, quand on vient des quartiers ou d'outre-mer. Tous n'y arriveront pas, mais c'est aussi ça, l'histoire de la vie. Il faut se challenger, essayer, recommencer pour réussir. Chacun doit prendre ses responsabilités et redoubler d'efforts pour y arriver.

J'ai squatté les halls d'immeuble avec mes amis.

Vous êtes délégué aux quartiers populaires pour le conseil régional d'Île-de-France, quelles sont vos priorités pour aider ces habitants ?

Il me semble essentiel de faire en sorte que les gens se sentent bien là où ils sont. On doit changer ce prisme selon lequel être originaire de la banlieue serait une tare. Pour les rendre fiers de l'endroit où ils vivent, il faut plus d'insertions, de boulot, de formations, de sécurité, mais aussi, et surtout, plus d'ouverture. Il nous faut décloisonner les esprits. Et cela passe par le dialogue entre les habitants, les jeunes, les élus, la police et toutes les institutions de l'État pour arrêter de raisonner en territoire. La banlieue, c'est la France, ce n'est pas un prétendu territoire à défendre contre la police ou les pompiers. Ils doivent pouvoir entrer librement pour y faire leur travail comme partout ailleurs. Pour que les gens s'intéressent à eux, ces jeunes doivent, au contraire, laisser les autres entrer, voir leur réalité, leur quotidien. Il n'y a que comme cela qu'on peut les aider. J'ai été à leur place. Je sais ce que c'est. J'ai squatté les halls d'immeuble avec mes amis. On refaisait le monde et on pensait qu'il n'y avait pas de rêves ici pour nous. Mais, un jour, j'ai compris qu'il fallait vivre ses rêves, et non pas rêver sa vie. En restant enfermé, on finit par se créer ses propres barrières. Il faut oser les dépasser pour échanger, rencontrer et comprendre l'autre.

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Commentaires (75)

  • K Lee Merow

    Merci pour ce propos empreint de réalisme, qui incite au rassemblement de la société plutôt qu à la haine et au chacun pour soi ! Qui prône de se prendre en main plutôt que d accuser les autres de tous les maux ! Et tout cela venant d un homme courageux et exemplaire qui a su se hisser au plus haut niveau, Quel réconfort de vous lire !

  • Gremelli

    J'ai pu voir votre dernier combat... Vous êtes de ceux qui ne s'attendent pas a ce que cela "vienne " tout seul ! Vous êtes allé au challenge... Votre état d'esprit vous honore... Si vous pouviez être plus nombreux dans cet état d'esprit. Et puis que voulez vous que les jeunes rencontrent en premier a la suite de leurs "actions" ? Ce ne peut être que la police ou la gendarmerie qui concentrent leurs volonté souvent dévastatrice... Alors les forces dites de l'ordre concentrent toutes leurs haines envers la société... Ce n'est pas Macron ni Castagner... Mais qui tire les ficelles et qui aura besoin de voix pour 2022 ?

  • misscoco

    Bravo et merci pour cette interview