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Une percée en physique quantique réalisée dans l’espace

Plus d’une seconde d’observation dans l’espace, versus des millisecondes sur Terre: surmontant les limites de la gravité, des scientifiques ont réussi, à bord de la Station spatiale internationale (SSI), une performance de physique quantique aidant à mieux comprendre cette mécanique fascinante qui gouverne le monde microscopique. 

La prouesse a été réalisée au Cold Atom Laboratory, un microlaboratoire spatial installé par la NASA à bord de l’ISS en 2018, dédié à des expérimentations sur des atomes à des températures de froid extrême, près du zéro absolu, soit -273,2 °C, rapporte une étude parue jeudi dans la revue Nature.

Opérant à distance depuis la Terre, des physiciens y ont généré des «condensats de Bose-Einstein», des gaz ultra-froids qui forment un nouvel état de la matière (le «cinquième état» après le solide, le liquide, le gaz et le plasma), prédit dans les années 1920 par Albert Einstein et le mathématicien indien Satyendranath Bose, et observé pour la première fois en 1995.

Ces gaz sont un agrégat de plusieurs dizaines de milliers d’atomes qui, refroidis à très basse température, deviennent indissociables les uns des autres pour ne former plus qu’une seule et unique onde, et réagissent tous de la même manière en même temps. Il s’agit là d’une propriété quantique, mécanique, régissant le monde de l’infiniment petit, selon laquelle une particule (atome, ion, photon, etc.) ou un groupe de particules peuvent se retrouver dans plusieurs états en même temps, qui peuvent se superposer et s’intriquer, formant un système lié, quelle que soit la distance qui les sépare.

Mais ces étonnantes propriétés sont très difficiles à observer, car elles disparaissent au contact du monde extérieur. Aussi, pour maintenir un atome dans un état quantique, il faut le stabiliser, donc ralentir sa vitesse en le refroidissant. En laboratoire, cette manipulation est entravée par la gravité terrestre, qui accélère inévitablement les atomes. 

D’où l’idée de se tourner vers l’espace où la microgravité (ou micropesanteur) ne tire plus vers la Terre et permet de recréer les conditions d’une chute libre. Résultat: «Les atomes quantiques sont piégés par une combinaison de champs magnétiques et de lasers; ils “flottent” plus longtemps, plus d’une seconde, au lieu de dizaines de millisecondes généralement réalisables», explique à l’AFP Kamal Oudrhiri, l’un des auteurs de l’étude.

«Incroyable!»

Ce temps d’observation allongé, qui permet des mesures plus précises, va même bientôt passer à cinq secondes, assure ce spécialiste de l’ingénierie spatiale à la NASA.

Car le Cold Atom Laboratory est capable de reproduire les conditions permettant ces mesures pendant «12 heures de suite» — un exploit comparé à des expériences du même type simulant la microgravité (notamment les vols paraboliques en gravité zéro) qui n’excèdent pas quelques minutes, précise le scientifique.

«Ce qu’ils ont réussi à faire en orbite est incroyable!», a réagi Daniel Hennequin, physicien spécialiste de la quantique au CNRS. «Cela va nous permettre de mieux comprendre la mécanique quantique, une science dont on va bientôt fêter les 100 ans, qui n’a jamais été remise en cause par l’expérimentation, mais à laquelle on n’a jamais rien compris parce qu’elle est complètement contre-intuitive», commente-t-il.

Les condensats de Bose-Einstein, de gros «objets» visibles à l’œil nu, chevauchent la frontière entre le monde microscopique, gouverné par la mécanique quantique, et le monde macroscopique, gouverné par la physique «classique», mais «dont la théorie nous dit qu’il est aussi quantique», poursuit le scientifique.

Le physicien autrichien Erwin Schrödinger (1887-1961) avait ainsi imaginé une expérience où un chat enfermé dans une boîte avec une fiole de poison serait à la fois mort et vivant en même temps. «Avec les condensats, on s’approche du chaton», ironise Daniel Hennequin.

Une meilleure connaissance de ce cinquième état de la matière pourrait notamment éclaircir l’un des grands mystères de l’Univers, la matière noire, cette masse invisible qui peuple les galaxies, mais aux effets inexpliqués, prédit Kamal Oudrhiri.

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