Un village d’éleveurs rasé, quelque 81 corps retrouvés. Tel est l’effrayant bilan de l’attaque menée mardi 9 juin dans le village de Felo, au nord-est du Nigeria. « Certains ont été abattus et d’autres ont été écrasés par les véhicules de djihadistes », a déclaré Babakura Kolo, chef de la milice anti-djihadiste de la localité.

Cette zone, d’où est originaire le groupe Boko Haram, est régulièrement la cible d’attentats terroristes depuis plus de dix ans. Si Boko Haram en tant que tel y semble moins actif, l’une de ses branches dissidentes, le groupe Iswap, y multiplie depuis deux ans les attaques meurtrières contre l’armée nigériane. « En général, Iswap ne s’attaque pas aux civils, mais cible plus l’armée. Ainsi, il est probable que derrière la tuerie de Felo figure un enjeu particulier, comme un vol de bétail », explique Vincent Foucher, chargé de recherche au CNRS au laboratoire « Les Afriques dans le monde ».

Vol de 1 000 têtes de bétail

L’attentat du mardi 9 juin pourrait ainsi être un règlement de compte. Il ferait suite à l’assassinat de combattants djihadistes par la milice du village, qui se défendait contre le vol de 1 000 têtes de bétail. Le pillage d’animaux est en effet fréquent dans cette partie du Nigeria. La pauvreté et le manque de travail dans la région en font une ressource lucrative. « Le prix de vente moyen d’une vache peut s’élever à 500 dollars » écrit l’agence The New Humanitarian.

Des bandes armées volent, pour s’enrichir et financer, dans certains cas, des groupes terroristes comme Iswap. Les populations locales sont les premières victimes de ce trafic. dépendantes des bœufs, vaches, moutons et chèvres qui servent à labourer, fertiliser les terres et transporter les récoltes, elles se retrouvent, privées de leur bétail, complètement démunies, la vente de lait et de viande étant leur principale source de revenus.

« Alors que le récit des Occidentaux se focalise sur la menace terroriste, les villageois s’inquiètent plus des vols de bétail que du djihadisme », explique Marc-Antoine Pérouse de Montclos (1), directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et spécialiste des conflits armés en Afrique subsaharienne.

En conséquence, les villageois établissent des milices armées et n’hésitent pas à tuer pour se défendre. « Ce sont des milices d’autodéfense qui prennent les armes, elles sont aussi violentes et peuvent tuer », commente Marc-Antoine Pérouse de Montclos.

Professionnalisation de l’Iswap

L’insurrection djihadiste depuis 2009 aurait fait 36 000 morts et plus de deux millions de déplacés au Nigeria et autour de la zone du lac Tchad, située entre Cameroun, Tchad et Niger. Si les offensives de l’armée nigériane, aidée des pays voisins ont pu affaiblir Boko Haram, « le vrai changement ne vient pas de l’amélioration de la performance des militaires, précise Marc-Antoine Pérouse de Montclos. C’estsurtout que la population locale, après l’élection du président musulman, Muhammadu Buhari, a soutenu le gouvernement dans sa lutte contre les insurgés ».

Néanmoins, les violences se perpétuent, à mesure qu’Iswap s’organise : « l’organisation gagne en efficacité en 2020, constate Vincent Foucher. On observe une professionnalisation du groupe dans ses comportements militaires ».

Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Une guerre perdue : La France au Sahel, J.C Lattès, 200 p., 18,00 €