Saturne-Titan : douze centimètres qui changent tout !

La lune de la géante aux anneaux s'éloigne cent fois plus vite que prévu de sa planète, bousculant méthode de calcul et histoire du système saturnien.

Par

Plus grande que la planète Mercure, l'énorme lune Titan est vue ici en orbite autour de Saturne. Sous Titan se trouvent les ombres projetées par les anneaux de Saturne. Cette vue en couleurs naturelles a été créée en combinant six images capturées par le vaisseau spatial Cassini de la Nasa le 6 mai 2012.
Plus grande que la planète Mercure, l'énorme lune Titan est vue ici en orbite autour de Saturne. Sous Titan se trouvent les ombres projetées par les anneaux de Saturne. Cette vue en couleurs naturelles a été créée en combinant six images capturées par le vaisseau spatial Cassini de la Nasa le 6 mai 2012. © NASA / JPL-Caltech / Space Science Institute

Temps de lecture : 4 min

Dans notre système solaire, la plupart des satellites naturels s'éloignent lentement de leur planète en raison d'effets de marée résultant de l'attraction gravitationnelle. Ainsi notre lune s'écarte-t-elle de la Terre à un rythme de 3,8 cm par an. Les scientifiques peuvent le mesurer grâce à de puissants lasers et aux réflecteurs déposés à la surface de notre satellite par les missions américaine Apollo et soviétique Lunokhod. En effet, c'est le temps de trajet aller-retour des impulsions laser qui permet de déterminer très précisément la distance entre Terre et lune.

La newsletter sciences et tech

Tous les samedis à 16h

Recevez toute l’actualité de la sciences et des techs et plongez dans les Grands entretiens, découvertes majeures, innovations et coulisses...

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Mais revenons aux effets de marée… Dus à la lune et, dans une moindre mesure, au Soleil (25 millions de fois plus massif mais 400 fois plus éloigné), ils s'exercent non seulement sur l'eau des océans, mais également sur la croûte terrestre, étirée et déformée. Ajoutez à cela que la Terre tourne sur elle-même et vous obtiendrez un mécanisme complexe mettant en jeu des frottements et aboutissant – en vertu des lois de conservation de l'énergie et du moment cinétique d'un système physique – à un ralentissement progressif de la rotation de la Terre compensé par une accélération de la rotation de la lune conduisant à son éloignement progressif. Ainsi, depuis des milliards d'années, la durée du jour sur Terre s'allonge à mesure que notre lune, elle, prend lentement le large.

Une dérive bien plus rapide

Bien entendu, ce phénomène de marée ne s'exerce pas que sur la Terre et sur le couple qu'elle forme avec la lune, la gravitation étant à l'œuvre partout dans l'univers. Pour autant, la mécanique des effets de marée est-elle identique quel que soit le système planétaire concerné ? Contrairement à ce que les scientifiques ont considéré jusqu'ici, il semblerait bien que non ! C'est du moins ce qu'indique une nouvelle étude publiée dans la revue Nature Astronomy concernant Saturne, planète géante gazeuse, et la plus grosse de ses 82 lunes, Titan.

En effet, grâce à des données récoltées par la sonde américaine Cassini, dont la mission s'est achevée il y a trois ans, deux équipes – l'une conduite par Valéry Lainey, astronome de l'Observatoire de Paris en détachement au Jet Propulsion Laboratory de la Nasa en Californie, l'autre dirigée par Paolo Tortora, de l'université de Bologne en Italie – se sont aperçues que Titan s'éloignait de Saturne à raison de 11 centimètres par an, soit 100 fois plus vite que prévu ! La première a cartographié les étoiles en arrière-plan des images de Cassini pour suivre la position de Titan tandis que la seconde s'est concentrée sur des données radio collectées par la sonde lors de survols rapprochés de cette lune. Deux méthodes totalement différentes qui ont abouti au même constat.

Conséquences scientifiques majeures

Cette découverte n'est pas sans conséquence scientifique. Loin de là. Durant les cinquante dernières années, les astronomes ont appliqué la même méthode de calcul pour estimer la vitesse à laquelle une lune dérive de sa planète, que celle-ci soit tellurique (autrement dit rocheuse) ou gazeuse. En présence de nombreuses lunes autour d'une même planète, ce modèle fondé sur le comportement des satellites des corps telluriques supposait que les lunes extérieures comme Titan, plus éloignées de leur planète, migraient plus lentement que les lunes intérieures. Manifestement, pour Saturne, ce que l'on pensait être une approximation aboutit purement et simplement à une erreur !

La bonne nouvelle, c'est que la solution à ce problème a peut-être bien déjà été trouvée, il y a quatre ans, par l'astrophysicien Jim Fuller, du Caltech en Californie. En effet, en 2016, ce théoricien a proposé un nouveau modèle incorporant des aspects de mécanique des fluides intervenant dans l'enveloppe de gaz de Saturne pour calculer au plus juste les forces de marées s'exerçant entre la planète géante et ses satellites. Or la valeur de la dérive de Titan obtenue dans les deux nouvelles études s'accorde parfaitement avec le mode de calcul qu'il propose et qui pourrait donc avantageusement s'appliquer à Jupiter, à d'autres planètes gazeuses situées en dehors du système solaire, mais aussi à certaines étoiles binaires.

Quant à notre connaissance du système saturnien, les conséquences de cette nouvelle donnée sont tout aussi importantes. Car la valeur de la dérive des lunes est utilisée pour extrapoler leur âge. La valeur de la dérive de Titan étant cent fois supérieure à celle calculée jusqu'alors, c'est toute l'histoire non seulement de Titan, mais du système saturnien dans son ensemble qui est maintenant totalement à revoir.

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation

Commentaires (2)

  • kdb1

    Un article scientifique clair, précis et très bien rédigé.

  • Tony

    Félicitations pour cet article scientifique très clair !