Affaire Mila : « face à la terreur », les parents dénoncent l'inertie de l'école

VIDÉO. La jeune fille avait dû fuir son lycée après avoir critiqué l'islam. Sans nouvelles, ses parents écrivent au proviseur. Trois mineurs ont été mis en examen.

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Temps de lecture : 9 min

L'un des auteurs des appels à la violence et au meurtre de Mila, cette jeune lycéenne de 16 ans littéralement lynchée sur les réseaux sociaux pour avoir osé critiquer l'islam dans une vidéo postée sur son compte Instagram, en janvier dernier, a été identifié, entendu par un juge et poursuivi. Marjolaine Chezel, juge d'instruction au tribunal judiciaire de Vienne, l'a mis en examen juste avant le confinement, le 9 mars, retenant contre lui les qualifications de « menaces de mort », « usurpation d'identité d'un tiers » et « envoi réitéré de messages malveillants ». L'individu, mineur, originaire de Besançon, a été placé sous contrôle judiciaire avec, notamment, interdiction d'entrer en contact avec la victime. Bravache, se filmant à la sortie du palais de justice, ce dernier aurait indiqué au magistrat « assumer totalement » ses faits et gestes, estimant avoir « fait le boulot que les juges et la police ne font pas… ou trop lentement ».

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De son côté, Mila a été entendue il y a quelques jours par le service d'enquête saisi de l'affaire ; les officiers de police judiciaire lui ont signifié que les personnes qui avaient piraté son compte Instagram venaient d'être identifiées. Deux autres mineurs, âgés de 17 ans et originaires de l'Isère et du Rhône, ont été ainsi déférés devant le juge d'instruction en charge de l'affaire le 10 juin, a précisé ce matin le parquet de Vienne. Ils ont été mis en examen pour « vol et recel de vol de données informatiques » et placés sous contrôle judiciaire. Ils ont reconnu « avoir récupéré les données personnelles de Mila avant de les transmettre au mineur de Besançon ». Une quatrième personne, « un auteur de menaces de mort », a par ailleurs été interpellé en mai par la section de recherches de la gendarmerie de Grenoble sur commission rogatoire de la juge d'instruction de Vienne. « Les investigations se poursuivent désormais en vue de l'identification d'autres auteurs de menaces », a conclu Audrey Quey, procureure de la République de Vienne.

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La justice semble donc s'activer dans ce dossier qui, partout en France, avait ému les défenseurs de la liberté d'expression et choqué ceux qui revendiquent simplement le droit, pour une jeune fille, de s'exprimer sur une religion sans être menacée de lapidation, de viol et d'attentat à l'acide.

 À ce jour, nous n'avons pas été informés des dispositions prises à l'encontre des harceleurs 

Si la justice suit son cours, il en va tout autrement de l'Éducation nationale. Dans un courrier à la proviseure de l'ancien lycée de leur fille, le lycée Léonard-de-Vinci de Villefontaine (Isère), les parents de Mila s'inquiètent de l'inertie de l'institution. « Cela fait maintenant quatre mois que notre fille a dû être déscolarisée en raison des risques pour sa sécurité et devant l'ampleur des menaces provenant d'élèves de votre établissement. Or, à ce jour, nous n'avons pas été informés des dispositions prises à l'encontre de ses harceleurs », s'étonnent-ils dans cette lettre datée du 8 juin, transmise, en copie, au ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et à la rectrice de Grenoble, Hélène Insel, et que Le Point a pu consulter. « Nous souhaitons savoir quelles actions pédagogiques portant sur la laïcité, la liberté d'expression au sujet de toutes les religions et la prévention du harcèlement ont été mises en place en direction de vos élèves. Nous savons que vous connaissez une grande partie des élèves impliqués. Nous n'accepterons pas que des mesures fermes et exemplaires ne soient pas prises », préviennent-ils.

Précédents

Les parents de Mila disent également savoir, sur la foi de « témoignages », que des « événements similaires » s'étaient déjà produits dans le même lycée, avant que leur fille n'en fasse les frais, sans qu'aucune suite n'ait jamais été donnée. « Les parents d'élèves nous ont indiqué que l'administration en poste à cette époque avait fermé les yeux », poursuivent-ils dans leur missive, déclarant agir « au nom de la liberté d'expression » et « de la sérénité de nos enfants, pour les années à venir ». Et d'ajouter : « L'enseignement ne doit plus être en échec face à un sentiment d'appartenance religieuse, tellement fort dans certains quartiers et dans certains établissements, que l'idée de mettre à mort une adolescente de 16 ans pour des propos tenus sur l'islam paraît justifiée aux yeux d'un grand nombre. L'école de la République ne peut pas vivre sous le régime de la terreur religieuse. L'Éducation nationale se doit d'être intransigeante au sujet de la laïcité. » « L'Éducation nationale pourra-t-elle, à l'avenir, sauver d'autres Mila de la vindicte religieuse ? » s'interrogent enfin ses parents.

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Cette supplique va-t-elle convaincre l'Éducation nationale de sortir de son mutisme et de sa passivité ? Depuis le 18 janvier et les premiers messages d'insultes reçus sur son compte, la jeune fille et ses proches semblent abandonnés par l'institution. Contrainte de quitter son lycée où son intégrité physique était clairement menacée, la jeune fille ne s'est vu proposer aucune autre affectation dans le secteur public, tous les lycées sollicités indiquant invariablement à la famille ne pas être en mesure de l'accueillir, car dans l'impossibilité d'assurer sa sécurité. De guerre lasse, les parents de Mila ont dû se résoudre à scolariser leur fille dans un internat, en liaison avec le ministre Blanquer. « C'est le monde à l'envers : notre fille, la victime de cette affaire, a été contrainte de quitter son lycée et ses amis alors que les auteurs, contre lesquels aucune sanction n'a été prise, alors même qu'ils ont été clairement identifiés, peuvent continuer à vivre leur vie sans être inquiétés », ont-ils récemment confié à leur conseil, Me Richard Malka.

On tolère l'intolérable pour ne pas faire de vague 

« Cette affaire illustre le renoncement général, en particulier de l'Éducation nationale, à enseigner la liberté d'opinion et d'expression. On tolère l'intolérable pour ne pas faire de vague », s'indigne cet avocat, contacté par Le Point. « On renonce aux valeurs républicaines par peur de blesser et, au final, on fait taire les victimes et on ferme les yeux sur les agissements de leurs agresseurs. Ça ne date pas d'aujourd'hui ni même des dernières années ; ce n'est pas la faute des enseignants, souvent dépassés. C'est le fruit d'une perte de repères généralisée de nos élites intellectuelles et politiques », considère Me Malka, par ailleurs avocat de Charlie Hebdo, cruellement frappé par un attentat islamiste, le 7 janvier 2015, à Paris.

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Lorsque « l'affaire Mila » a éclaté, la classe politique n'a guère brillé par son courage et son discernement. Interrogée le 29 janvier sur Europe 1, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, avait raté son numéro de funambulisme : « Dans une démocratie, la menace de mort est inacceptable (…). L'insulte à la religion, c'est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c'est grave mais ça n'a pas à voir avec la menace », avait-elle déclaré en réinventant le délit de blasphème. Face au tollé suscité par l'ambivalence de ses propos, elle avait battu sa coulpe et reconnu une « maladresse ». Ségolène Royal avait fait pire au micro de France Info, affirmant « refuser d'ériger en parangon de la liberté d'expression une adolescence qui manque de respect ». Le 12 février, Emmanuel Macron avait fini par remettre les pendules à l'heure en défendant « le droit au blasphème » et à « la critique religieuse ». « L'État protège Mila à l'école, dans sa vie quotidienne et dans ses déplacements », assurait le chef de l'État.

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Le 18 janvier dernier, Mila avait été inondée de messages homophobes (« sale pute », « sale lesbienne »), l'accusant par ailleurs de racisme, après qu'elle eut confié à l'une de ses « amies », sur les réseaux sociaux, ne pas être attirée par les « filles rebeus ». Dans une « story » en forme de vidéo, censée ne rester visible que 24 heures sur Instagram, l'adolescente, qui ne faisait pas mystère de son homosexualité, avait ensuite critiqué l'islam en des termes provocateurs et fleuris : « Je déteste la religion. […] Le Coran il n'y a que de la haine là-dedans, l'islam, c'est de la merde. […] J'ai dit ce que j'en pensais, vous n'allez pas me le faire regretter. Il y a encore des gens qui vont s'exciter, j'en ai clairement rien à foutre, je dis ce que je veux, ce que je pense. Votre religion, c'est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul. Merci, au revoir. »

« Une opinion personnelle »

La vidéo avait aussitôt « viralisé » ; partagée des centaines de milliers de fois, elle déclenche sur les réseaux un tombereau d'insultes, de menaces et d'appels au meurtre. L'adresse de la jeune fille et celle de son lycée, de même que son identité et sa photo sont jetées en pâture. Des hashtags #jesuismila ou #jesuispasmila apparaissent sur Twitter pour prendre sa défense ou, au contraire, lui souhaiter d'aller en enfer. Deux plaintes sont déposées par ses parents ; l'une est classée sans suite mais l'autre prospère : le procureur de Vienne engage des poursuites pour « menaces de mort ». Reprenant quasiment mot pour mot la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur la liberté d'expression et le droit à la critique religieuse, il explique alors à l'AFP : « Les propos diffusés (par Mila), quelle que soit leur tonalité outrageante, avaient pour seul objet d'exprimer une opinion personnelle à l'égard d'une religion, sans volonté d'exhorter à la haine ou à la violence contre des individus à raison de leur origine ou de leur appartenance à cette communauté de croyance. »

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Invitée le 3 février de l'émission Quotidien, sur TMC, l'adolescente, recluse chez ses parents depuis déjà quelques jours, a fait preuve d'une étonnante maturité en défendant « le droit au blasphème ». « Je n'ai jamais voulu viser des êtres humains. J'ai voulu blasphémer, parler d'une religion, dire ce que j'en pensais », se défendait-elle, assurant « ne pas regretter ses propos », tout en présentant ses excuses à ceux qui pratiquent « leur religion en paix ». « Je n'étais pas en sécurité dans mon établissement. Vu les menaces que j'ai reçues, j'aurais pu être brûlée à l'acide, frappée, déshabillée en public ou enterrée vivante », avait-elle encore expliqué.

Quelques jours plus tôt, le 24 janvier, le délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri, considérait sur les antennes de Sud Radio qu'elle l'avait bien « cherché », tout en regrettant qu'elle ait pu être menacée de mort : « Cette fille sait très bien ce qu'elle fait. Qui sème le vent récolte la tempête », considérait ce religieux. Le président du Conseil français du culte musulman, Mohammed Moussaoui, avait tweeté en revanche : « Rien ne saurait justifier les menaces de mort à l'égard d'une personne, quelle que soit la gravité des propos tenus. C'est la justice qui doit prononcer les sanctions prévues par la loi s'il y a provocation et incitation à la haine. » Il y a quelques jours, Mila a reçu de nouvelles menaces et de nombreuses insultes sur les réseaux sociaux.

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Commentaires (77)

  • Kermit12

    ... Qui, il n'y a pas si longtemps, "bouffait du curé", quand il y en avait encore, non ?

    Le moins qu'on puisse dire c'est que non seulement la gauche ne "bouffe pas de l’imam", mais qu'elle se prosterne à leurs pieds.

    Serait-ce la même gauche que celle qui, dans les années 30 se déclarait pacifiste et rognait sur les dépenses militaires alors qu'Hitler se surarmait et envahissait ses voisins ? Eh oui : couards un jour, couards toujours.

  • L'inconnue

    Entièrement d'accord avec vous. +1000

  • L'inconnue

    Où donc avez vous vu que " l'expression orale " de Mila avait un quelconque rapport avec les niaiseries lexicales de NVB et des pédagogistes ? Au contraire, cette jeune fille a employé un vocabulaire cru, sans aucun rapport avec ces contorsions verbales archi stupides.