La musique et le bruit, ingrédients essentiels des films de Jacques Tati

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La musique et le bruit, ingrédients essentiels des films de Jacques Tati

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La musique et le bruit, ingrédients essentiels des films de Jacques Tati
La musique et le bruit, ingrédients essentiels des films de Jacques Tati
© Getty - ullstein bild Dtl

De Jour de Fête (1949) à Parade (1973), le cinéma de Jacques Tati est un format unique en son genre. Une œuvre cinématographique d’une simplicité trompeuse qui cache un travail sonore méticuleux.

Avant de s’inscrire dans l’histoire du cinéma français par ses six longs-métrages célèbres, Jour de fête, Les vacances de Monsieur Hulot, Mon Oncle, Playtime, Trafic, et Parade, Jacques Tati travaillait en tant que mime et acteur, et se présentait régulièrement au music-hall. 

Devenu réalisateur à la fin des années 1930, il retient de ses premières expériences de pantomime l'importance des éléments visuels et le caractère secondaire du dialogue pour raconter une histoire. Enfin, il retient surtout l’importance du son et de la musique. 

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Similaire au « mickeymousing » des dessins-animés de Walt Disney, les films de Jacques Tati dépendent énormément de leur son : l’image est précisément synchronisée avec le son, les bruits du quotidien sont exagérés au point de devenir ridicules et burlesques, et une narration musicale vient remplacer l'absence du dialogue : chez Tati c’est le son qui nous parle. Pas de dialogue, certes, mais ce n'est pas pour autant que la voix humaine est bannie par Tati, car les interjections inintelligibles et sans importance des comédiens contribuent néanmoins à la sonorité globale du film. 

Située entre cinéma muet et parlant, l’œuvre cinématographique de Tati serait ainsi un cinéma « sonore », une polyphonie parfaitement équilibrée réunissant sans hiérarchie la voix humaine, la musique et les bruits du quotidien sur un seul et même plan sonore pour créer une synthèse parfaite d’action visuelle et auditive.

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Tati, un génie à l’avant-garde de la bande sonore

Malgré ses apparences de cinéaste nostalgique et hors du temps, Jacques Tati est un réalisateur moderne et novateur, surtout en ce qui concerne le son. Nombreux sont ceux qui déclarent avoir été influencés par Jacques Tati, et surtout par la manipulation sonore dans ses films : 

« Si vous coupez le son d’un film de Jacques Tati [...] vous risquez de perdre au moins la moitié de l’aspect humoristique. L’humour vient du son [...]. Pour Jacques Tati, chaque effet sonore est une opportunité pour de l’humour » explique David Lynch lors d’une interview pour le documentaire Il était une fois...Mon Oncle.

Pour les bandes originales de ses films, Jacques Tati fait appel à divers compositeurs, dont certains grands collaborateurs de la chanson française tels que Charles DumontNon, je ne regrette rien ») et Francis Lamarque, (« A Paris »). Ces compositions servent à la fois de décoration auditive et de transitions lors des changements de scène et de plan, mais surtout comme élément de narration musicale, et ce dès le premier long-métrage de Jacques Tati, Jour de Fête et sa bande originale composée par Jean Yatove.

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Produit en 1946, le film raconte l’histoire de François, un facteur de campagne qui découvre lors d’une projection l’efficacité impressionnante de ses homologues américains. Souhaitant se montrer tout aussi efficace, il se lance dans une tournée frénétique « à l’américaine ». 

Le thème du facteur, initialement présenté par une musique lente, rurale et dans un style pastoral est alors soudainement bouleversé et devient tout aussi frénétique, mais il contient également une référence plus subtile : l’arrivée des cuivres dans l’instrumentation du thème, mène vers le jazz, genre musical indissociable des Etats-Unis. L’influence américaine sur le facteur est immédiatement annoncée par la musique sans le moindre indicateur visuel.

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Quant aux Vacances de monsieur Hulot (1953), celles-ci sont ponctuées par le refrain musical Quel temps fait-il à Paris ? d’Alain Romans, répété telle une ritournelle, à l’infini, comme le son des vagues qui entourent Mr Hulot, évoquant la répétition quotidienne et la mise en suspens du temps pendant les vacances. 

La musique en tant que son, le son en tant que musique

Au-delà des fonctions narratives de la musique, celle-ci participe également à l’action de manière beaucoup plus directe : par une synchronisation de la musique avec le rythme des gestes et mouvements à l’écran, la musique s’incruste pleinement dans l’action visuelle (à 1.25 minutes ci-dessous) :

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La musique rejoint également les sons environnementaux lorsqu’elle est « citée » de manière diégétique, lorsque que la source sonore est visible à l’écran ou dans un contexte réel, comme dans Les vacances de M. Hulot. Alors que le thème est d’abord entendu par le spectateur pendant le générique, celui-ci est ensuite écouté sur un électrophone par un jeune couple sur la plage, puis plus tard par l’une des protagonistes dans sa chambre, et même sifflé par un figurant à vélo. La musique devient ainsi un son parmi tant d’autres dans le monde de Tati.

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Parfois essentielle, la musique est à d'autres moments peu présente, laissant la place aux bruits des objets du quotidien. Dans Playtime (1967), ce sont les bourdonnements et les bruits absurdes de machines et de l’électroménager (critique de la société moderne) qui dominent l’attention sonore du spectateur, guidant l’oreille et rythmant ainsi le déroulement des images à l’écran.

Et lorsque le public pense avoir compris les jeux sonores de Tati, ce dernier nous surprend en jouant également avec l'absence de son, là où précisément nous l’attendons, comme le claquement d’une nouvelle porte silencieuse dans Playtime, produisant ainsi un manque de bruit étonnant et humoristique (à 50 secondes dans la vidéo ci-dessous) :

Tati, innovateur sonore

Non seulement les bruits sont situés au premier plan aux côtés des mots et de la musique, mais ils sont exagérés par Tati dans un processus astucieux et novateur : chaque bruit est réenregistré après le tournage du film. Le bruitage de cinéma est ici à son apogée, poussé à sa limite afin de rendre les sons presque ridicules et peu crédibles. Le tout crée un effet aliénant par lequel le son, bien que synchronisé à l’action visuelle, ne semble pas venir de l’image à l’écran.

Une démarche qui fait écho, quoique involontairement, à la musique concrète et aux explorations sonores du GRM menées à la même époque par Pierre Schaeffer et Pierre Henry. La bande sonore des films de Jacques Tati sonne telle une œuvre de musique concrète en plusieurs mouvements, chacun conçu et décliné en rapport à l’image qui appuie l’idée suggérée par la musique. 

Tati enregistre des sons « retirés » de leurs sources, mais il remplace aussi certains sons afin de non seulement les exagérer mais de caricaturer ses personnages, comme le bruit des talons de Madame Arpel dans Mon Oncle, fabriqué par le réalisateur avec deux balles de ping-pong.

Lorsque Jacques Tati se rend à Hollywood en 1959 pour la cérémonie des Oscars, lors de laquelle il fut récompensé pour Mon Oncle, il rencontre un autre titan du cinema muet, Buster Keaton. Les deux génies auraient avoué leur admiration réciproque, et l'icône américaine aurait même confié à Tati qu'il était prêt à laisser le génie français sonoriser ses anciens films muets, chose qu'il avait jusqu'alors toujours refusé : « Tati a commencé là où nous avions terminé », ajouta Keaton. Un geste symbolique et une consécration des talents de Tati qui resta malheureusement sans suite.

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