John Griffin, un journaliste dans la peau d'un Noir

Griffin, un journaliste dans la peau d'un Noir
Griffin, un journaliste dans la peau d'un Noir
John Howard Griffin, dans la peau d'un Noir - #CulturePrime
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John Griffin, un journaliste dans la peau d'un Noir

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"L'œil haineux, un regard mêlé de dégoût et de crainte" voilà ce qu'a expérimenté John Griffin lorsqu'en 1959, il se met dans la peau d'un Noir aux États-Unis. Si le journaliste entendait faire changer les mentalités avec cette expérience, sa démarche est rapidement taxée d'appropriation culturelle.

En 1959, John Griffin, un journaliste américain, s’est mis “dans la peau d’un Noir”. Voici comment il a dénoncé le racisme en voulant l’expérimenter de l’intérieur.     

Né au Texas en 1920, John Griffin se trouve en France pendant la Seconde Guerre mondiale et aide des Juifs à fuir le nazisme. Engagé ensuite dans le Pacifique, une blessure le rend temporairement aveugle. De retour aux États-Unis, il est alerté par le taux de suicide des Noirs, bien plus élevé que celui des Blancs. Il s’intéresse alors au système ségrégationniste.

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Malgré les témoignages, les récits, il réalise qu’en tant que Blanc, il ignore tout de cette réalité. En 1959, il décide alors d'en faire l'expérience en brunissant sa peau à l’aide d’un traitement chimique. Suivi par un médecin, il prend des médicaments contre le vitiligo, s'impose des séances d’UV intensives et se rase la tête. Il conserve son nom, ses vêtements et sa manière de parler.

Il entreprend un voyage dans les États du Sud depuis la Nouvelle-Orléans, jusqu’à la Géorgie. Il expérimente de nouvelles contraintes, de nouvelles frontières géographiques. : de nombreux lieux publics lui sont interdits.

Il m’est arrivé de demander "Où est-ce que je pourrais trouver un verre d’eau ?" On me disait toujours : il faut sortir, aller à gauche, 12 blocks, puis aller à droite...
- Alors qu’il y avait un verre d’eau à côté de vous ?
- Oui, tout à fait."

Mais il découvre aussi des frontières invisibles. Il est frappé de voir des guichetiers qu’il connaissait le traiter désormais avec mépris. Il évoque “l’œil haineux” qu’on pose sur lui, un regard mêlé de dégoût et de crainte. Il expérimente une peur nouvelle : celle des patrouilles de police, des exactions des Blancs, particulièrement lorsqu’il traverse le Mississippi.

“J’ai eu peur tout le temps, mais la nuit ça va mieux… La nuit, le Noir a moins peur parce que les Blancs sont partis se coucher, il se sent moins menacé.” 

Il dresse un parallèle entre la condition des Noirs et la stigmatisation des Juifs en Europe, qu’il a vue de ses yeux.

“Cela me rappelait la terreur harcelante, déréglée, éprouvée en Europe lorsque Hitler se mit en marche, la peur de parler à des Juifs.”   

Au gré de ses rencontres, Griffin décrit les conditions de vie misérables des Noirs, leur maintien dans un état socio-économique précaire, la détestation de soi qui leur est inculquée par la propagande des journaux sudistes. Il est aussi frappé par la solidarité qui s’exprime entre eux,  notamment en Alabama, où Martin Luther King commence à appeler à la désobéissance civile. Après 6 semaines de terrain, Griffin arrête de prendre son traitement, bouleversé par son expérience.

Menacé par les suprémacistes blancs

Il témoigne dans les médias américains et internationaux et publie un livre en 1962. Des militants pour les droits civiques lui reprochent de parler au nom des Noirs qui vivent toute leur vie ainsi  alors que lui n’a tenu que quelques semaines, avant de redevenir blanc. Griffin reçoit aussi des menaces de mort de la part des suprémacistes blancs, qui le considèrent comme “un traître à sa race”.  

Un mannequin à son effigie est même pendu dans sa ville natale, obligeant sa famille à déménager au Mexique. Griffin a bien recouru au “blackface” mais pas à des fins de spectacle ni de caricature, uniquement, selon lui, pour alerter ses compatriotes blancs de ce qui se jouait dans leur pays. Le journaliste dénonce aussi dans son récit le paternalisme et les bon sentiments dont font parfois preuve les Blancs progressistes, lui compris. 

Mais Griffin finit par regretter cette expérience et ne l’abordera plus en public, considérant "qu’il est absurde pour un homme blanc de prétendre parler au nom des Noirs alors qu’ils ont leur propre voix".