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Au Brésil, des scientifiques menacés de mort

Un essai clinique sur la chloroquine a dû être arrêté après plusieurs décès. Accusés de faire mauvaise presse à la molécule prisée du président brésilien, les scientifiques sont cloués au pilori

Un médecin de l'hôpital Oceanico à Niteroi, Rio de Janeiro, le 22 juin 2020. Image d'illustration. — © Carl de Souza/AFP
Un médecin de l'hôpital Oceanico à Niteroi, Rio de Janeiro, le 22 juin 2020. Image d'illustration. — © Carl de Souza/AFP

Faute d’efficacité prouvée pour traiter le Covid-19, l’hydroxychloroquine est peu à peu abandonnée, tant dans les essais cliniques que dans les prescriptions hospitalières. Fin de partie? En tout cas pas au Brésil, où ce traitement qui a déchaîné les passions est au cœur d’une affaire qui dépasse les frontières de la science.

Dans ce pays parmi les plus touchés au monde, l’équipe de Marcus Lacerda, de la Fondation Heitor Vieira Dourado pour la médecine tropicale, à Manaus, a dû en avril mettre prématurément fin à un essai clinique après avoir constaté plusieurs décès ainsi que des effets délétères chez des patients Covid-19 ayant reçu une forte dose de chloroquine. Accusé de les avoir empoisonnés dans le seul but de faire mauvaise presse à cette molécule très populaire soutenue par le président Jair Bolsonaro, il est depuis l’objet d’une cabale personnelle dans les médias et les réseaux sociaux, doit rendre des comptes à la justice et a même été la cible de menaces de mort, d’après le magazine Science.

Arythmies cardiaques

Le protocole de l’équipe de Marcus Lacerda comportait deux groupes, l’un recevant une forte dose de phosphate de chloroquine, l’autre une moindre quantité. Les patients du premier ont reçu 600 milligrammes, deux fois par jour pendant dix jours (soit 12 grammes en tout). Les autres une dose initiale de 900 mg le premier jour, puis de 450 mg les quatre jours suivants pour un total de 2,7 grammes.

Au sixième jour, alors que seuls 81 malades sur les 440 prévus avaient été intégrés à l’essai, onze décès avaient été observés au total, sept dans le premier groupe et quatre dans le second. Fait marquant, les chercheurs ont relevé l’apparition de plusieurs troubles cardiovasculaires dont des arythmies, vraisemblablement des effets secondaires de la chloroquine, et ce plus fréquemment dans le bras à forte dose, qui est alors arrêté.

Publiant d’abord leurs résultats sur le serveur preprint MedrXiv (sans validation indépendante par les pairs), les auteurs écrivent que la chloroquine est «associée à davantage d’effets toxiques et de létalité, en particulier au niveau de la prolongation des intervalles QTc» [une des phases temporelles de la contraction cardiaque déréglées lors d’arythmies]. Les travaux ont depuis paru dans la revue JAMA Network Open.

Poursuites sur Twitter

Les choses auraient pu en rester là, comme pour les autres études non concluantes s’agissant de ce médicament. Mais ce serait compter sans l’emprise politique de cette affaire. Les partisans du président Bolsonaro s’en sont pris à Marcus Lacerda et à ses travaux, vilipendés sur les réseaux sociaux. Plus inquiétant, le scientifique s’est vu informer d’une mise sous enquête par les services du procureur fédéral, annonce relayée le plus officiellement du monde sur Twitter. Celui-ci est sommé de rendre des comptes sur son protocole, une attaque de plus du gouvernement brésilien sur la science, après les velléités de suppression des sciences sociales ou le dénigrement des sciences environnementales.

Sur un plan purement médical, cette étude pose question. Une posologie de 12 grammes est importante, compte tenu de la toxicité potentielle de la chloroquine. L’essai britannique Recovery a ainsi utilisé une dose totale d’environ 9 grammes, qui était déjà considérée comme élevée, sans trouver de bénéfices à la molécule. L’équipe de Marcus Lacerda était certainement confrontée à un dilemme: fallait-il opter pour une dose puissante, au risque de mettre en péril les malades, ou bien se contenter d’une plus faible, probablement dénuée d’effets? Sur ce point, les scientifiques sont partagés, entre ceux qui jugent la décision imprudente et ceux qui l’approuvent, rappelant notamment le suivi serré et l’arrêt brutal des recherches dès les premiers signes inquiétants. «J’ai eu le malheur d’être le premier à tester une forte dose. Je devrai probablement en payer le prix à jamais», déplore Marcus Lacerda dans les colonnes de Science.