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Derrière Rachida Dati, une «équipe commando» constituée de femmes

Elections municipales 2020 à Parisdossier
Pour partir à la conquête de Paris dans un champ de mines à droite, la maire du VIIe et ex-garde des Sceaux s'est appuyée sur une équipe de femmes de confiance totalement dévouées à sa personne.
par Charlotte Belaïch
publié le 24 juin 2020 à 6h43

Libé raconte la campagne au travers des entourages des candidats à la mairie de Paris. Les «camps», les «proches», qui font aussi une élection.

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«Faites vraiment attention au off, s'il vous plaît.» La pratique est courante : des journalistes recueillent des propos qu'ils ne citeront pas. Mais quand on parle de Rachida Dati et ses proches, les politiques interrogés insistent. Certains envoient des messages après l'entretien : «Je préfère ne pas être cité, elle est assez flippante.»

L'ex-garde des Sceaux fonctionne en cercle restreint. Son équipe de campagne : «une PME», explique l'un de ses membres. D'abord, parce qu'au début, personne n'y croyait. En novembre, lorsqu'elle est investie, la droite parisienne est mal en point. Beaucoup d'élus sont tentés de se jeter dans les bras de la macronie, qui grimpe à Paris scrutin après scrutin. Les autres restent en retrait, préférant ne pas se mouiller. «Elle est seule, tout le monde est parti», assurait un élu au début de la campagne. A tel point qu'elle fait de Claude Goasguen, décédé en mai, son conseiller politique. Ce n'est un secret pour personne : entre les maires du XVIe et du VIIe, depuis 2013, le conflit est atomique. «Ils ont failli se battre» en décembre 2018, se souvient le maire LR du XVe, Philippe Goujon. Un an plus tard, Goasguen se radoucit. Il veut pouvoir peser dans son bastion, qu'il a confié à son ex-adjointe qui ne lui convient plus, et Dati, elle, a besoin de soutiens.

«Elle pense toujours que tout le monde veut la flinguer»

Si son équipe est resserrée, c'est aussi parce que c'est sa façon de fonctionner. Quand la politique l'exige, Rachida Dati sait laisser la rancœur de côté. Elle l'a prouvé en collaborant avec Claude Goasguen donc, mais aussi en faisant la paix au second tour avec Philippe Goujon et Florence Berthout, la maire du Ve. Le premier s'était d'abord lancé en dissident, refusant de s'engager à voter pour elle au troisième tour, et la seconde avait choisi l'étiquette LREM. Rares sont ceux qui entrent dans sa sphère. «Elle n'adresse la parole à personne», affirme un maire sortant de droite. Fait rarement confiance et se dispute souvent. «Elle est complètement parano, elle pense toujours que tout le monde veut la flinguer», affirme un autre membre de la droite parisienne. Ce qui donne dans la bouche de ses soutiens, comme celle de la candidate LR Agnès Evren : «Elle ne travaille qu'avec des gens en qui elle a une confiance aveugle, qui lui sont totalement dévoués.»

Pendant la campagne, tout a donc été géré par quelques personnes seulement. Alors que la plupart des candidats avaient des responsables com qui bombardaient la presse de déclarations et d'invitation, côté Dati, tout passait par quelques proches. Pas de trace non plus d'un quelconque comité stratégique. «C'est une équipe commando, comme Sarko en 2007», expliquait sa directrice de campagne, Nelly Garnier. Ça correspond à la façon dont elle a toujours fonctionné en politique.» Une unité d'élite principalement constituée de femmes, desquelles Dati aime s'entourer pour travailler. Il y a donc Nelly Garnier, qui travaille avec elle depuis un et demi. Ancienne directrice des études à LR, directrice associée chez Havas, elle est l'auteure d'une note sur la sociologie électorale urbaine qui a influencé la campagne de Dati. Selon elle, les sentiments de déclassement et d'insécurité croissants ont ouvert un marché pour la droite affirmée, pour ne pas dire dure ou populaire. C'est le créneau qu'a choisi la candidate qui a sillonné les quartiers populaires en rabâchant un discours sécuritaire.

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Il y a aussi Agnès Evren. La présidente de la fédération LR de Paris, porte-parole de Nathalie Kosciusko-Morizet en 2014, ne faisait pas partie des fidèles de Dati. Mais dès le début de la campagne, elle a mis les mains dans le cambouis. Membre de la commission d’investiture, elle a parlé aux uns et aux autres quand Dati et les maires d’arrondissement sortants n’arrivaient pas à se mettre d’accord, certains refusant de s’affilier clairement à LR, comme l’ordonnait la cheffe de file du parti. Pendant cette période, quand beaucoup pensaient que Rachida Dati se trompait, c’est elle aussi qui montait sur scène lors des réunions publiques pour faire la promotion de cette stratégie des «trois C» pour «clarté, convictions, courage». Même quand elle semblait regretter l’obstination de la candidate.

Quand il a fallu se résoudre à acter l'échec des discussions avec Philippe Goujon, c'est elle encore qui s'est retrouvée à représenter Dati dans le XVe. Une candidature de «loyauté à sa famille politique», a-t-elle toujours affirmé. A l'époque, Philippe Goujon était colère et ne croyait pas à la thèse du service rendu : «Le problème d'Agnès, c'est qu'elle est candidate à tout. Elle m'a dit en me regardant dans les yeux qu'elle ne serait jamais candidate contre moi. Sa ligne ? L'adaptabilité. Son surnom ? Jeanne d'Arc. Ce n'est jamais elle qui postule mais on l'appelle toujours». Depuis, les deux élus se sont réconciliés. Au second tour, c'est elle qui mène la liste mais à la fin, c'est lui qui conservera la mairie. «Elle ne voulait pas être contre moi, nous avions seulement des divergences stratégiques, relativise aujourd'hui Goujon. On fait tout ensemble maintenant».

«Avec elle, c’est vingt-quatre heures sur vingt-quatre»

Reste Emmanuelle Dauvergne, la fidèle parmi les fidèles. Lors des déplacements de la candidate, on peut la voir marcher quelques mètres derrière, surveiller d'un œil en papotant. Depuis qu'elle a été élue conseillère dans le VIIe en 2008, Dauvergne n'est jamais loin de Dati. «Elle l'a mieux cernée que les autres et s'est adaptée à ce dont elle a besoin : quelqu'un de loyal, qui reste dans l'ombre, et en même temps une copine, raconte un élu parisien. Dati est exigeante. Avec elle, c'est vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, si vous n'êtes pas en phase avec ses idées, son point de vue sur les gens, si vous ne riez pas à ce qu'elle raconte, ça ne fonctionne pas. Elle a trouvé la personne à qui elle peut parler de tout, à tout moment, en toute confiance. Dauvergne lui est incontestablement dévouée, je pense qu'elle est en admiration devant Dati. Elle est très fière d'être sa collaboratrice et son amie.»

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Sur le papier, elle est en charge du budget, de la communication et de la petite enfance à la mairie du VIIe. En réalité, elle s'occupe un peu de tout, y compris des coups de pression téléphoniques. «Rachida peut vous aimer, et le lendemain, c'est la guerre sans que vous sachiez pourquoi. Au moindre regard de travers, à la moindre virgule… Si vous ne cédez pas à ce qu'elle vous demande, ça peut être violent. Les gens la craignent, raconte le même conseiller de Paris. Dauvergne est comme elle, elle s'est mise dans le double de la patronne. Dati lui dit : "Tu vas m'appeler ce connard" et elle joue ce rôle. C'est un univers spécial.» Un candidat parisien, en conflit avec la cheffe de file LR, raconte : «Dauvergne disait qu'elle voulait "me faire la peau", "avoir ma tête". Elle a appelé un journaliste pour dire que j'étais un menteur. Avec Dati, c'est soit la soumission, soit la tyrannie. Dauvergne, c'est son bouledogue. Un bouledogue et un pitbull ensemble, sans muselière, c'est flippant». Une autre : «Elle m'a appelé parce que j'avais critiqué Dati. Je décroche, j'entends : "Ça va salope ? T'as allumé le ventilo à merde, on va le retourner vers vous."»

Une forme de dévotion qui, selon certains, ne rendrait pas forcément service à la candidate. «Dauvergne peut exacerber les tensions car elle la surprotège et l'isole d'une certaine manière. Dati, c'est une inquiète permanente, et Dauvergne la conforte dans son inquiétude. Elle accentue son côté parano, analyse un conseiller de Paris issu de la droite. Mieux vaut ne pas rentrer dans leur monde.»

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