Seconde Guerre mondiale : quand Vladimir Poutine tente de réécrire l’Histoire
Par Claude BruillotDans une revue ultra-conservatrice américaine, le président russe a refusé que l’on minimise le rôle des 27 millions de morts soviétiques dans la défaite des nazis. Sans hésiter à inverser les rôles en continuant d’accuser la Pologne d’avoir été complice d'Hitler au déclenchement du conflit.
" Les véritables leçons du 75e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale". C'est le titre de la longue tribune accordé à Vladimir Poutine par The National Interest, une revue ultra-conservatrice américaine. Un article attendu depuis des semaines et publié jeudi, avant les célébrations mercredi prochain en Russie des 75 ans de la victoire soviétique sur les nazis.
Seules Nezavissimaïa Gazeta et Rossiyskaya Gazeta ont publié en totalité ce texte qui dénonce le "révisionnisme" antirusse des Occidentaux sur le conflit. Car pour les médias russes, rien de véritablement nouveau dans les expressions du président russe. Depuis plusieurs mois déjà dans le pays, le "Maître du Kremlin" a eu à plusieurs reprises l’occasion de s’exprimer sur la nécessité qu’il y avait, selon lui, à défendre l’héritage de la "Grande Guerre Patriotique", comme chacun appelle en Russie la Seconde Guerre mondiale. Et les chaines fédérales, qui s’adressent à un large public populaire, ne se sont pas fait faute de relayer les prises de position de celui dont le frère Vitia est mort à l'âge de deux ans pendant le siège de Leningrad.
Une tribune de remplacement
Pourtant, quand on replace ce long texte dans son cadre actuel, on comprend que sa diffusion intervient à un moment particulier du calendrier politique et mémoriel pour Vladimir Poutine.
A cause de la crise sanitaire, Vladimir Poutine n’aura pas le 24 juin, en tous cas pas de la même façon, la tribune internationale qu’il espérait le 9 mai pour commémorer le 75e anniversaire de cette victoire soviétique sur les nazis. Cette tribune de remplacement est d’abord l’occasion pour lui d’inverser carrément les rôles et de fustiger le "révisionnisme" des Occidentaux.
Vladimir Poutine réitère ses accusations contre la Pologne, complice des nazis pour récupérer des territoires en Tchécoslovaquie. A ses yeux, comme il l’avait déjà exprimé cet hiver, la Pologne a profité au début du conflit, de la prise de contrôle des nazis dans les Sudètes, pour s’octroyer des territoires tchécoslovaques. En ce qui concerne la question du très controversé pacte germano-soviétique, le président russe convoque ni plus ni moins que Winston Churchill. Le président russe loue pour l’occasion sa clairvoyance et n’hésite pas à le citer directement : "L’URSS doit rester sur cette ligne pour préserver sa sécurité contre la menace nazie". Et comme pour en finir sur le sujet, il balaie rapidement la question des protocoles secrets du pacte Molotov – Ribbentrop comme n’étant rien d’autre qu’un acte de pouvoir personnel – sans citer Staline - qui ne reflétait en rien la volonté du peuple soviétique. Une reprise in-extenso pour l’occasion d’une décision argumentée par le soviet suprême de l’URSS finissante le 24 décembre 1989. Rien en revanche sur les dizaines de milliers de morts polonais lors de l’offensive de l’armée rouge en septembre 1939.
Pour sanctuariser le tout, Vladimir Poutine a fait graver dans le marbre de la réforme constitutionnelle, à l’article 67, un point sur la nécessité pour les dirigeants russes - actuels et futurs – de protéger cette vérité historique-là. Pour lui, cette lecture-là de l’Histoire doit figurer parmi les piliers de l’identité russe. Il démontre ainsi sa volonté d’y consacrer tout le temps utile, non seulement à l’occasion de son quatrième mandat actuel, mais aussi potentiellement en vue des prochains – comme la refonte de la Constitution le lui permettra, après le référendum du 1er juillet.
La "paperasse" européenne
Vladimir Poutine dénonce la posture du Parlement européen quand il met sur un pied d’égalité l’Allemagne nazie et l’URSS comme les deux déclencheurs de la Seconde Guerre mondiale. Pour le président russe, cette "paperasse", comme il l’appelle, sape les fondements de l’Europe d’après-guerre, et correspond à un révisionnisme dangereux.
En guise de conclusion, le président russe fait le lien avec la période de crise sanitaire actuelle. Il rappelle que la Russie a toujours été là pour défendre le droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, garant selon lui, de la recherche de compromis depuis l’après-guerre. Une façon un peu raccourcie de s’exonérer au regard des difficultés actuelles de l’organisation mondiale pour lutter efficacement contre la pandémie.
Avec la collaboration d'Eric Chaverou