La fièvre iconoclaste qui s’est emparée d’un certain nombre de groupes épris de passion justicière, projetant de déboulonner les statues de certaines figures historiques, de débaptiser des lieux publics, de changer le nom de rues et d’établissements scolaires, a paru d’abord dérisoire. Mais sa contagion serait un danger pour les principes républicains.
Que la chute d’une dictature appelle un peuple à renverser spontanément et à effacer les représentations des tyrans : on fait plus que le comprendre, on a pu en être joyeux, souvent, on espère pouvoir l’être encore demain, tout autour de la Terre. En revanche, en démocratie, pareille initiative revient aux élus du peuple, quel que soit le niveau de leur responsabilité.
Dans tous les cas, il appartient aux élus et aux gouvernants qui sont responsables devant l’opinion de prendre garde à une idée simple. Il n’est pas seulement absurde, il est néfaste de s’abandonner à un danger majeur que les historiens connaissent bien. Il s’agit de l’anachronisme. Ce péché contre l’intelligence du passé consiste, à partir de nos certitudes du présent, à plaquer sur les personnages d’autrefois un jugement rétrospectif d’autant plus péremptoire qu’il est irresponsable.
Frénésie moralisante
Parlons concret. Nous fustigeons aujourd’hui le racisme, la misogynie, l’homophobie, le cléricalisme meurtrier, les massacres de masse… Nous n’en avons certes pas triomphé, mais notre monde occidental en affiche au moins, en général et bien heureusement, la détestation. Oui. Mais si on en pourchasse après coup les manifestations, songeons qu’il n’est plus d’hommage qu’on puisse continuer de rendre à un grand nombre de personnages du passé, illustres ou notoires. Ni en pierre, ni en bronze, ni en dénominations de toutes sortes.
Périclès possédait des esclaves et il n’a pas donné, créant la démocratie grecque, le droit de vote aux femmes. Jules César s’est montré, en Gaule, d’une affreuse cruauté envers les habitants des villes qui ne s’étaient pas spontanément rendues. Ces grands socialistes que furent Fourier et Proudhon étaient antisémites. Les pères fondateurs de notre IIIe République étaient, à de rares exceptions près, colonialistes.
Observons que si nous cédons à cette frénésie moralisante, il va falloir débaptiser d’urgence nos lycées parisiens. Charlemagne a écrasé les Saxons dans le sang pour les convertir de force. Saint Louis a imposé la rouelle aux Juifs, bien avant l’étoile jaune, Louis le Grand a fait ravager la Franche-Comté (entre autres) avec une brutalité sauvage. Voltaire, auteur de la pièce fameuse Le Fanatisme ou Mahomet, était d’autre part ouvertement judéophobe.
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