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L’historien de la littérature Marc Fumaroli est mort

Professeur de renommée internationale, spécialiste des auteurs du Grand Siècle et du XIXe siècle, ce chercheur et académicien avait dénoncé les menaces pesant, selon lui, sur la culture par la dissolution de l’élitisme. Il est mort le 24 juin, à l’âge de 88 ans.

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Publié le 24 juin 2020 à 16h22, modifié le 25 juin 2020 à 06h31

Temps de Lecture 6 min.

Marc Fumaroli en 2011 au Collège de France à Paris.

Universitaire et membre de l’Institut, l’historien de la littérature Marc Fumaroli est mort le 24 juin, à Paris, à l’âge de 88 ans. Né à Marseille le 10 juin 1932, au sein d’une famille corse, il grandit à Fès, au Maroc, où son père, Jean, est fonctionnaire et sa mère, institutrice. C’est elle qui lui apprend à lire et à écrire et qui lui communique cet amour du livre qui devait pour toujours circonscrire son univers. Sans distractions, l’enfant n’a d’horizon que la bibliothèque familiale. « Il n’y a pas meilleur pédagogue que l’ennui, aimait-il répéter. Grâce à lui, j’ai été converti à la littérature ! »

De cette cité marocaine « hors du temps », du propre aveu de l’essayiste, ce qui met les années sombres de la guerre hors champ, il revient achever ses études secondaires à Marseille, au lycée Thiers, à la fin des années 1940, avant d’entreprendre un cursus universitaire de lettres qui le conduit de la faculté d’Aix-en-Provence à la Sorbonne, à Paris. Reçu à l’agrégation de lettres en 1958, il part sous les drapeaux, en plein conflit algérien, effectuer son service militaire (septembre 1958-janvier 1961) à l’Ecole militaire interarmes (EMIA) de Saint-Cyr-Coëtquidan (Morbihan), où l’on forme les officiers de l’armée de terre, puis au VIrégiment d’artillerie à Colbert (aujourd’hui Aïn Oulmene), dans le Constantinois, au sud de Sétif.

Pensionnaire de la Fondation Thiers

Mais l’épisode ne sera qu’une parenthèse et ne semble pas marquer l’universitaire, qui se souvient juste avoir dévoré tout Balzac en « Pléiade » dans les Aurès. Démobilisé, Marc Fumaroli renoue avec son projet littéraire, devient pensionnaire de la Fondation Thiers en 1962, qui accueille pour trois ans, dans un hôtel particulier du 16arrondissement de Paris, les étudiants français les plus brillants.

Elu assistant à la faculté de Lille en 1965, il y poursuit sa carrière lorsque, conformément à la loi Faure, elle devient Lille-III (1971), avant d’intégrer, sitôt obtenu son doctorat ès lettres en Sorbonne en juin 1976, l’université de Paris-IV, où il succède à Raymond Picard (1917-1975). Grand pourfendeur des « impostures de la nouvelle critique », ce spécialiste de Racine, adversaire résolu de Roland Barthes, aura en Fumaroli un successeur zélé.

Cette promotion démultiplie son activité : sitôt assurée la direction de la revue XVIIe siècle (1976-1986), il participe à la création à Zurich, en 1977, de la Société internationale pour l’histoire de la rhétorique, qu’il présidera en 1984-1985, et entre au comité de rédaction de la revue Commentaire, que fonde alors Raymond Aron (1978), pour n’en quitter l’équipe qu’en 2010. Parallèlement à son travail de spécialité, il s’engage donc sur les terrains où se joue l’avenir des enseignements littéraires classiques comme sur ceux qui fédèrent les adversaires d’une « modernité » jugée funeste – ce qui annonce les livres pamphlets qu’il signera bientôt.

Entrée au Collège de France

Maître de conférences, puis professeur (1978), Marc Fumaroli exerce près de dix ans à Paris-IV, avant d’intégrer, à l’invitation du poète Yves Bonnefoy et de l’historien Jean Delumeau, le Collège de France où, élu en juin 1986, il occupe de 1987 à 2002 la chaire de « Rhétorique et société en Europe, XVIe - XVIIe siècle », dans le droit fil de sa thèse, éditée en 1980 chez Droz (« L’Age de l’éloquence. Rhétorique et “res litteraria” de la Renaissance au seuil de l’époque classique »).

Son engagement dans les sphères internationales n’en est pas même freiné. Juste mis entre parenthèses : visiting professor, à Princeton (1982), puis visiting fellow à Oxford (1983), il intervient dès 1997 à l’université de Chicago comme professor at large. Son champ de recherche, fortement focalisé sur le Grand Siècle, en fait un spécialiste reconnu de Corneille et plus encore de La Fontaine (son édition présentée et commentée des Fables fait autorité dès sa parution en 1985). Avant même sa magistrale synthèse sur celui qu’il considère comme le plus français des écrivains, Le Poète et le roi. Jean de La Fontaine en son siècle (Fallois, 1997), Marc Fumaroli recroise le fabuliste lorsqu’il définit La Diplomatie de l’esprit. De Montaigne à La Fontaine (Hermann, 1994).

En marge de l’esprit d’Ancien Régime, dont il proposa une forte synthèse dans sa dernière somme, La République des lettres (Gallimard, 2015), éloge et célébration d’une sociabilité fondée sur la connaissance et la courtoisie, Marc Fumaroli aborde un XIXe siècle qu’il a beaucoup fréquenté – et Balzac reste sa bible – pour camper un voyant au carrefour des mondes et des modes, Chateaubriand. Poésie et Terreur (Gallimard, 2003). Sans doute une façon de célébrer la stricte fidélité à des valeurs malmenées qui font, plus qu’un pont, un écho entre l’homme des Mémoires d’outre-tombe et Marc Fumaroli lui-même.

Certes, il s’efforce d’abord de repenser les formes littéraires et civilisatrices de l’Ancien Régime hors des grilles et schémas imposés par la critique moderne, cherchant dans les conventions de la rhétorique humaniste une autre clé culturelle pour percer l’âme de l’ère classique, dont Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne 1450-1950, qu’il dirige (PUF, 1999) porte l’empreinte.

Verve vindicative

Mais le temps du règne de la parole ailée tient lieu, pour Marc Fumaroli, de repoussoir à un aujourd’hui dont l’engagement culturel l’accable. Dans un essai brillant et cruel, qui le révèle de fait à un public plus large que celui qu’il connaît d’ordinaire, L’Etat culturel. Essai sur une religion moderne (Fallois, 1991), l’essayiste stigmatise ce qu’il perçoit comme un dévoiement déshonorant de la notion même de culture, dont André Malraux, avant Jack Lang, fut le dangereux promoteur. Dénonçant un abaissement de l’esprit dans la promotion d’événements qui font du consumérisme culturel la nouvelle doxa, il prend la tête d’une croisade contre ce qu’il voit comme une « manipulation purement sociologique » dont l’image des ministres et politiques est seule bénéficiaire.

Ses tribunes libres et prises de position dont la verve vindicative fait souvent mouche en font un champion de l’académisme marmoréen, que son cursus honorum incarne. S’il ne cesse de multiplier les initiatives, avec notamment la constitution d’un institut consacré à l’étude de la république des lettres, rattaché au CNRS, Marc Fumaroli accumule les honneurs, de la présidence de la Société des amis du Louvre (1996) à celle de la Commission générale de terminologie et de néologie (2006), jusqu’aux distinctions universitaires internationales.

Tour de force

Nommé docteur honoris causa des universités de Naples (1994), Bologne (1999), Gênes (2004) et Madrid (2005), il réussit le tour de force de conquérir une double place à l’Institut de France, dans l’ordre inverse de l’usage, devenant immortel avant même d’être reconnu dans sa sphère de spécialité. Il succède ainsi le 2 mars 1995 à Eugène Ionesco, mort en mars 1994, au 6e fauteuil de l’Académie française, puis est élu le 30 janvier 1998 seulement à l’Académie des inscriptions et belles-lettres au siège laissé vacant par la disparition de Georges Duby en décembre 1996.

Titulaire d’un fauteuil qui fut celui d’Ernest Lavisse, de Pierre Benoît et de Jean Paulhan, Marc Fumaroli est aussi le successeur lointain de Boisrobert, secrétaire littéraire de Richelieu et membre fondateur actif de l’auguste compagnie, comme du moraliste Chamfort, commentateur de La Fontaine au demeurant, qui, dans la fièvre égalitariste de 1789, dénonça l’archaïque foyer d’aristocratie littéraire qui l’avait accueilli et appela dans un pamphlet cinglant de 1791 à la disparition de l’Académie (« la moins dispendieuse de toutes les inutilités »). Vœu exaucé dès 1793.

Successeur de celui qui la fit naître comme de celui qui l’aida à mourir, Marc Fumaroli est tout entier dans cette posture paradoxale, vigie impérieuse d’une culture menacée par la dissolution de l’élitisme, campée dans une posture fulminante et hiératique. Académique en somme, au sens ambivalent du terme.

Marc Fumaroli en quelques dates

10 juin 1932 Naissance à Marseille

1976 Docteur ès lettres (Paris IV-Sorbonne)

1980 Publication de sa thèse, « L’Age de l’éloquence. Rhétorique et “res litteraria” de la Renaissance au seuil de l’époque classique » (Droz)

1986 Election au Collège de France (chaire de « Rhétorique et société en Europe, XVIe - XVIIe siècle »)

1991 « L’Etat culturel. Essai sur une religion moderne » (Editions de Fallois)

1995 Election à l’Académie française

2003 « Chateaubriand. Poésie et terreur » (Editions de Fallois)

2012 « Le Livre des métaphores » (Robert Laffont)

2019 « Partis pris » (Robert Laffont)

24 juin 2020 Mort à Paris

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