Bertrand Lavier : "Le confinement comme source d'inspiration, non merci !"

Bertrand Lavier - © Fondation Louis Vuitton / Luc Castel
Bertrand Lavier - © Fondation Louis Vuitton / Luc Castel
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Arnaud Laporte, producteur de La Dispute et des Masterclasses, s'entretient aujourd’hui avec le plasticien Bertrand Lavier

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S’il a fait des études d’horticulture à l’École nationale de Versailles, Bertrand Lavier découvre l’art contemporain à la fin des années 60 et se lance dans une pratique qui hybride héritage duchampien, Pop art et Nouveau Réalisme. On se souvient sans doute qu'en 2012, le Centre Pompidou lui a consacré une grande rétrospective. Depuis, il a notamment exposé à la Fondation Van Gogh d'Arles, à la Monnaie de Paris ou au Palais de Tokyo.

A quoi pensez-vous ?

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Je pense à la période qu'on a traversée et ce qui m'a le plus frappé, c'était cette pathétique évidence qui concernait ce qu'on a appelé « les premiers de corvée », c'est-à-dire les infirmières, les caissières, les livreurs... On s'est aperçu de manière assez simple qu'ils maintenaient le pays en survie avec un salaire extrêmement faible et un courage sans masque. C'est ça qui m'a le plus frappé, et je pense qu'on devrait les récompenser autrement que par des médailles en chocolat. Il y a une véritable urgence. Cela dit, c'est une période où on a quand même entendu beaucoup de bêtises sur le monde d'avant, le monde d'après, le monde du présent, et je pense qu'il y a des postures qui ont été facilitées par une superbe amnésie qui fait que, la période était assez turbulente c'est vrai, l'atterrissage va secouer très fort et que, malheureusement, je crains qu'après, on reparte sur le monde comme avant, peut-être pas comme dit Houellebecq « en un peu pire », mais je crains un peu cela, malgré tout.

Est-ce que cette crise a changé votre rapport au temps ?

Mon rapport au temps n'a pas beaucoup changé parce que j'ai un style de vie dans lequel je voyage léger : je n'ai pas d'assistant, je n'ai pas de secrétaire, il n'y a pas de studio Lavier, donc sur ce plan-là, je conserve cette manière de vivre. J'ai une tendance à procrastiner assez facilement et donc là, il fallait  procrastiner de manière presque obligatoire, ce qui fait que c'était un rapport au temps qui me convient et qui me convenait très bien dans la mesure où les projets que j'ai sont reculés de 1 ou 2 ans Ça permet finalement d'appliquer cette méthode que j'ai depuis un bon moment, qui est d'affiner et d'améliorer les choses, parce que le temps passe et on n'est pas dans l'urgence. Sur ce plan-là, j'ai aussi très souvent essayé de reculer, de faire le moins d'exposition possible, pour garder un peu de fraîcheur et d'imprévisibilité dans ce que je peux faire. Mon rapport au temps n'a pas fondamentalement changé avec cette période.

Mais est-ce que cette crise peut modifier votre façon d'envisager la création, ce que vous avez envie de partager par votre art ?

Le confinement comme source d'inspiration, non merci ! L'art qui est la chambre d'écho des malheurs et des tragédies du monde, si c'est un art, c'est un art qui ne m'intéresse pas. On n'entend pas beaucoup de bruit du canon dans la peinture de Barnett Newman ou de Matisse, et ce n'est pas pour autant que ce qui se passait dans le monde ne les intéressaient pas. Mes préoccupations artistiques ne sont pas connectées à ces tragédies, donc ça ne bouscule pas, ça n'interfère pas sur la trajectoire de mon sillon.

Le monde de l'art de la culture est évidemment impacté de différentes façons, est-ce que vous pensez que cela peut avoir des incidences très concrètes sur votre travail et votre façon de le montrer ?

Oui, et je pense que ça peut même être assez bénéfique, parce que l'hystérie dans laquelle on a vécu depuis un certain nombre d'années, qui consistait à aller d'une foire à l'autre, de faire des expositions les plus rapprochées possible, faisait qu'il y avait un rythme qui devenait pratiquement insupportable. Je n’étais pas actif de cette façon-là, mais je voyais bien ce qui se passait. Je dois dire qu'un certain nombre de gens qui s'intéressent à ce monde, avant même cette période de confinement et de pandémie, commençaient déjà à avoir un peu de haut-le-coeur par rapport à ce rythme-là. Je pense que ça va avoir de l'importance dans la mesure où, finalement, on va rechercher un peu plus de densité dans la réflexion, qu’Instagram ne sera plus l'alpha et l'oméga de la critique d'art, et qu'on aura un peu plus de profondeur de champ pour exposer et pour montrer le partage qu'on peut avoir en faisant des expositions.

De quoi avez-vous peur ?

Il y a une partie des autres, on va dire ça comme ça, qui me fait franchement peur, parce qu'effectivement cette propension qu'on voit gronder dans le monde, ce populisme marron qui est en train de se pointer à divers horizons, c'est ça qui me fait le plus peur. Je pense qu'on aura beaucoup plus de mal à trouver le vaccin contre ce populisme-là que contre la Covid 19.

Est-ce qu'il y a des choses que vous avez décidé de ne plus faire ?

S'il y a une chose que je fais déjà depuis un moment, c'est que je ne fréquente plus de gens chiants. Ça fait très longtemps que j'ai fait ce choix et je vais donc continuer.

Bertrand Lavier, le vendredi 26 juin 2020

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