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Survie dans les bois, chasse à l'arc : les néosurvivalistes se préparent au "monde d'après"

Captain Fantastic
Une scène de "Captain Fantastic", un film de Matt Ross sorti en 2016. Viggo Mortensen a décroché l'oscar du Meilleur Acteur, dans le rôle de ce père de famille vivant dans la forêt, en marge de la société. Everett Collection /Rue des Arch

Ils ont peur du pire et, face à un monde qu’ils estiment en danger, ils se préparent à vivre dans la sobriété, en autarcie et au plus près de la nature. Peuvent-ils aider à construire un avenir meilleur ?

Le regard rivé sur un objet situé à dix-huit mètres, Martin est concentré. Il bande son arc, vise la petite cible en mousse et décoche sa flèche. "En ce moment, je suis à fond sur la chasse à l'arc", sourit-il. Retiré dans la maison de sa belle-famille dans le Maine-et-Loire, ce trentenaire athlétique, photographe professionnel, profite du grand terrain pour se perfectionner. Depuis deux ans, il se prépare à une vie plus austère dans le cas où surviendrait une crise. "J'apprends à vivre comme mes aïeux", explique-t-il. Savoir bricoler, faire ses propres outils, chasser, pêcher, reconnaître les arbres et les champignons… Martin se considère comme un prepper (de prepping, "préparation"), une nouvelle génération de survivalistes modérés. On est loin du cliché de l'ermite terré dans son bunker avec ses rations de survie et sa collection d'armes automatiques.

Les combattants
Adèle Haenel et Kévin Azaïs dans "Les Combattants", de Thomas Cailley. Une très belle histoire de "survie". The Kobal Collection/Aurimages

Le survivalisme est né dans les années 1960, sous l'égide d'un ancien membre du parti nazi américain, Kurt Saxon. À l'époque, la peur de l'avenir s'incarne dans la menace d'une guerre nucléaire et dans le spectre de l'immigration, en particulier d'Amérique latine. "Aujourd'hui, nous ne sommes plus du tout dans la même optique, analyse Bertrand Vidal, sociologue et auteur de Survivalisme : êtes-vous prêts pour la fin du monde ? (Éditions Arkhé). Les preppers se préparent plutôt à affronter des crises chroniques." Cela peut être une coupure d'électricité généralisée, une catastrophe naturelle, un désastre écologique ou même sanitaire, comme la pandémie de covid-19.

Le mouvement a évolué lors des crises économiques, dès 1973, puis en 2008. "Mais le néosurvivaliste garde cette volonté d'être autonome, poursuit le sociologue. À l'époque, c'était en accumulant des boîtes de conserve et des armes; aujourd'hui, c'est plutôt savoir se débrouiller tout seul." D'ailleurs, ces adeptes contemporains rejettent le concept de survivaliste, trop connoté extrême droite. Ils lui préfèrent sa version anglo-saxonne prepper, ou le terme de néosurvivaliste. "Ils ne se forment pas aux mêmes savoirs, confirme l'anthropologue Sébastien Roux. Ils ne vont pas faire des stages avec des couteaux ni se former au maniement d'armes, mais apprennent à vivre en autarcie." Un mode de vie qui séduit désormais même les patrons de la tech de la Silicon Valley.

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Des modérés de l'apocalypse

Malgré les divergences de pratiques, tous s'accordent sur l'idée d'une "fin du monde tel que nous le connaissons". Une notion proche de la collapsologie, ce courant de pensée qui envisage l'effondrement de la civilisation industrielle. Tous veulent être prêts pour cet avenir incertain. Il est difficile de connaître l'ampleur du mouvement. Mais la popularité de ce concept de survie s'observe sur YouTube, qui compte de nombreuses chaînes dédiées. Par exemple, Primitive Technology, créée en 2015, compte plus de 10 millions d'abonnés et près de 900 millions de vues. La plupart des vidéos montrent son créateur, John Plant, survivant dans les bois de l'extrême nord du Queensland australien.

Martin, le photographe, se forme lui aussi grâce à Internet. Mais dans la maison familiale, son beau-père a composé "une vaste bibliothèque sur tout un tas de savoirs", se réjouit-il. Sur les étagères trônent les livres du collapsologue Pablo Servigne et de l'ingénieur Jean-Marc Jancovici, connu pour son travail de vulgarisation des thèmes de l'énergie et du climat. On y trouve également les rapports scientifiques du Club de Rome (association internationale fondée en 1968 pour réfléchir aux grands enjeux du monde) et les travaux du chercheur Dennis Meadows, qui, dès 1972, a pointé le danger pour la planète de la croissance industrielle et démographique.

Vers le monde d'après

Into the Wild
Larguer les amarres comme Emile Hirsch, dans "Into the Wild" en 2008, un film de Sean Penn. The Kobal Collection/Aurimages

De plus en plus populaires, les stages de survie rassemblent tous types de profils. "La plupart du temps on y rencontre des gens qui ont une vie sociale, un travail, mais chez qui, de temps en temps, une petite étincelle de prévoyance s'allume", raconte Denis Tribaudeau. Ce spécialiste de la survie organise des stages dans le monde entier. "Je peux avoir un type anxieux, un militaire ou un Parisien qui n'a jamais vu une vache de sa vie. Ils préparent simplement le monde d'après un peu plus que les autres." Le quinqua qui revendique "trente ans de voyages dans les coins les plus improbables de la planète", est le premier à avoir proposé ce genre d'aventure dès 2004. Selon lui, la demande croît de 20 % chaque année, et il affirme effectuer en moyenne 130 formations par an pour 1 300 à 1 500 personnes au total.

C'est en quelque sorte une manière heureuse de disparaître

DAVID Le Breton, professeur de sociologie et d'anthropologie

Certains preppers sont aussi adeptes du bushcraft, qui signifie littéralement "l'art de vivre dans les bois". Ce terme désigne l'apprentissage d'une vie en adéquation avec la nature et l'acquisition de compétences plus ou moins anciennes pour y parvenir : se construire un abri dans la forêt, faire un feu ou encore trouver de l'eau et la rendre potable. L'engouement pour ces pratiques révèle une volonté de retour à une relation élémentaire à la nature mais aussi à son propre corps, à ses sensations. "C'est en quelque sorte une manière heureuse de disparaître, de signer une forme d'absence face au monde actuel, à son accélération mortifère", avance David Le Breton, professeur de sociologie et d'anthropologie à l'université de Strasbourg, et auteur de Disparaître de soi : une tentation contemporaine (Éditions Métailié). Reste que ceux qui fantasment la nature sont souvent aussi des gens qui vivent loin d'elle et considèrent ce retour comme une forme de panacée…

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