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UFC-Que Choisir : il est temps d'en finir avec le fléau du démarchage téléphonique

UFC-Que Choisir : il est temps d'en finir avec le fléau du démarchage téléphonique

Par Cédric Musso

Publié le

Cédric Musso exige un meilleur encadrement du démarchage téléphonique, et évoque les enjeux législatifs actuels autour de ce sujet.

"Exaspérant", "véritable harcèlement", "insupportable", "calvaire"… Les consommateurs, notamment ceux inscrits sur Bloctel, qui s’est avéré être un échec cuisant, n’ont pas de mots assez durs pour qualifier le supplice dont ils souffrent quotidiennement, avec en moyenne 4 à 5 appels commerciaux par jour, aux heures de repas, voire en soirée… Comme si cela ne suffisait pas, comment ne pas parler de la liaison dangereuse entre démarchage téléphonique et litiges de consommation ?

Rénovation énergétique, fourniture d’énergie… symbole des dérives

Dans le seul secteur de la rénovation énergétique, un tiers des litiges traités par les associations locales UFC-Que Choisir ont pour origine un démarchage (avec notamment les arnaques de "l’isolation à 1 euro"), et quand on connaît les montants en jeu, le sujet est loin d’être anodin. Ce constat ne se limite pas à l’UFC-Que Choisir ou aux autres associations de consommateurs, qui sur ce sujet sont à l’unisson.

Les autorités (Médiateur national de l’Énergie, Autorité des marchés financiers, Autorité de contrôle prudentiel) épinglent régulièrement les pratiques toxiques dans les secteurs des assurances, de la rénovation énergétique, de la fourniture d’énergie - Engie et Eni viennent ainsi d’être une nouvelle fois ciblés par le Médiateur de l’énergie dans son rapport annuel 2019 dans lequel ce dernier affirme avoir enregistré "le plus grand nombre de litiges depuis sa création" et que l’encadrement "très strict" du démarchage fait plus que jamais partie de ses priorités… Alors que bon nombre d’États européens ont franchi le pas en prévoyant l’interdiction par défaut du démarchage téléphonique (opt-in), qu’attend la France pour assainir la situation ?

Alors que le téléphone est un canal de prospection bien plus intrusif que les courriels ou les SMS, pourquoi bénéficie-t-il d’un encadrement moins protecteur des consommateurs ?

Depuis 2017, face à la recrudescence des plaintes de consommateurs et à l’échec de Bloctel, système mis en place avec la Loi Hamon de 2014, l’UFC-Que Choisir se mobilise pour faire évoluer le cadre législatif. En effet, une enquête de l’association publiée en 2017 soulignait que 82% des inscrits à Bloctel ne constataient pas de baisse du nombre d’appels commerciaux, voire une hausse… Constat qui n’a fait que s’accentuer depuis…

Plusieurs propositions de loi prévoyant l’opt in (consentement préalable exprès pour être démarché comme pour les courriels et SMS) ont été déposées, voire discutées, mais à chaque fois le gouvernement s’est opposé à cette réponse pourtant pleine de bon sens. Alors que le téléphone est un canal de prospection bien plus intrusif que les courriels ou les SMS, pourquoi bénéficie-t-il d’un encadrement moins protecteur des consommateurs ?

Un pas en avant législatif à concrétiser

L’argument tarte à la crème de l’emploi ne saurait tenir dès lors que les grands acteurs ont déjà délocalisé en masse leur plateforme téléphonique et que les téléconseillers encore employés en France ne font pas que du démarchage téléphonique, mais aussi de la relation client… Celui de la nécessaire intensité concurrentielle non plus puisqu’il existe une prime aux grands acteurs, avec d’importants fichiers clients, face aux plus petits ! Surtout, les pratiques toxiques, unanimement dénoncées, jettent l’opprobre sur des secteurs entiers et détériorent la confiance des consommateurs dans ceux-ci. C’est particulièrement vrai pour la rénovation énergétique…

Malgré son intitulé, la proposition de loi tendant à renforcer l’encadrement du démarchage téléphonique de Christophe Naegelen, soutenue par le gouvernement, laissait initialement craindre le pire. En effet, non seulement, ce texte cautionnait la logique du droit d’opposition (opt-out) de Bloctel, mais il entendait en outre élargir grandement les possibilités de dérogation, au-delà de la seule relation contractuelle en cours.

L’obligation d’un préfixe unique permettant d’identifier simplement et rapidement les appels à visée commerciale

En résumé, l’on pouvait craindre la règle du "client un jour, démarché toujours" ! Fort heureusement, la mobilisation des associations et des consommateurs eux-mêmes qui ont massivement signé la pétition "Démarchage téléphonique : interdisons le fléau" (450 000 signatures en quelques semaines) a permis de nombreux enrichissements… Non seulement les sanctions en cas de démarchage intempestif ont été significativement renforcées, mais, en outre, l’interdiction du démarchage dans le domaine de la rénovation énergétique a été actée, et les dérogations admettant le démarchage des personnes inscrites à la liste d’opposition BlocTel ont été strictement circonscrites aux seules sollicitations de professionnels avec lesquels les consommateurs ont un contrat en cours et en lien avec l’objet dudit contrat.

Si la commission des lois du Sénat entendait revenir sur les principales avancées, fort heureusement la majorité des sénateurs les ont réintroduites en plénière et ont même adopté un amendement répondant à nos demandes et permettant une plus grande transparence : l’obligation d’un préfixe unique permettant d’identifier simplement et rapidement les appels à visée commerciale.

Avec le déconfinement, les sollicitations téléphoniques ont repris de plus belle au dire même des consommateurs, et face à la crise du pouvoir d’achat qui s’annonce, il importe de prémunir nos concitoyens des excès de l’hyperconsommation

Tout va maintenant se jouer lors de la Commission mixte paritaire réunissant députés et sénateurs pour s’entendre sur un texte final. Si cette commission confirmait toutes ces avancées, la loi devrait permettre, à défaut de stopper toutes les pratiques toxiques, de freiner nombre d’excès dénoncés depuis des lustres… Sachant qu’il y a urgence. En effet, avec le déconfinement, les sollicitations téléphoniques ont repris de plus belle au dire même des consommateurs, et face à la crise du pouvoir d’achat qui s’annonce, il importe de prémunir nos concitoyens des excès de l’hyperconsommation. Cela doit aussi être ça le "monde d’après" !

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne