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Le gouvernement français veut inciter les maires à donner aux rues des noms de soldats africains

Un livret rassemblant les parcours de cent combattants de la seconde guerre mondiale issus des colonies doit être remis mercredi à un groupe de parlementaires.

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Publié le 30 juin 2020 à 13h00, modifié le 01 juillet 2020 à 11h23

Temps de Lecture 5 min.

Issa Cissé, tirailleur sénégalais mort en 2018 à l’âge de 96 ans, avait participé au Débarquement de Provence, en 1944, et reçu plusieurs médailles militaires.

« La France a une part d’Afrique en elle. Notre gratitude doit être impérissable. Je lance un appel aux maires de France pour qu’ils fassent vivre par le nom de nos rues et de nos places la mémoire des combattants africains », avait annoncé Emmanuel Macron, le 15 août 2019 à Saint-Raphaël (Var), lors des commémorations du 75e anniversaire du débarquement de Provence.

Trois jours après le second tour des élections municipales, Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’Etat auprès de la ministre des armées, doit remettre à un groupe de parlementaires, mercredi 1er juillet, un livret intitulé Aux combattants d’Afrique, la patrie reconnaissante. Cet ouvrage de 210 pages publié par le ministère des armées, que Le Monde Afrique s’est procuré, a pour but d’inciter les maires à rebaptiser des rues, des places ou des jardins publics du nom de combattants africains morts pour la France au cours de la seconde guerre mondiale.

« En mélangeant leur sang à notre terre, ils ont payé un lourd tribut au combat contre le nazisme », écrit dans la préface Mme Darrieussecq, qui remettra elle-même l’ouvrage, lors d’une cérémonie prévue à midi à l’hôtel de Brienne, aux députés de la commission défense nationale et aux sénateurs du groupe d’études anciens combattants : « Morts pour la France, morts pour notre idéal, ces combattants méritent la reconnaissance pleine et entière de la Nation. »

Publié dans le cadre d’une convention avec l’Association des maires de France, le livret rappelle que, dès août 1940, l’Afrique a envoyé des premiers contingents de soldats à la France libre du Général de Gaulle. En Afrique subsaharienne, plus de 70 000 hommes se sont engagés. Près de 400 000 autres venaient d’Algérie, de Tunisie et du Maroc. Qu’ils soient tirailleurs, goumiers, zouaves ou spahis, les Africains ont représenté plus de 80 % des effectifs qui ont débarqué en Europe. « Et pourtant, qui d’entre nous se souvient aujourd’hui de leurs noms, de leurs visages ? », s’interrogeait Emmanuel Macron à Saint-Raphaël.

Un destin souvent tragique

Les parcours militaires de 100 combattants africains morts pour la France sont retracés dans le livret. Ils ont été rédigés conjointement par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) et le Service historique de la défense (SHD). Julien Fargettas, historien et auteur de plusieurs ouvrages sur les tirailleurs, a également contribué à la rédaction de ces fiches biographiques qui permettent de montrer que derrière chaque nom, il y a un homme avec une histoire et un destin souvent tragique.

Tous se sont battus loin de chez eux et ont défendu une terre qui n’était pas la leur. Certains y ont laissé leur vie. Né en 1909 à Takaura (Tchad), le dénommé Kida a incorporé le bataillon de mitrailleurs d’infanterie coloniale le 1er février 1929. Il a combattu en Syrie, en Egypte et en Italie, où il est mort sur le front le 12 juin 1944. « Chef de groupe indigène de valeur, réfléchi et calme au danger, perspicace dans les moments difficiles, dévoué et discipliné, il s’est dépensé sans compter », rappelle sa citation à la Croix de guerre, reçue à titre posthume.

Le courageux Sei Koné (1912-1948) a quant à lui participé à la libération au sein de la 1re armée lorsqu’il était affecté au régiment d’artillerie coloniale du Levant. Après la guerre, il a retrouvé sa terre natale de Guinée. Mais à quel prix ? « Le 9 et le 10 novembre 1944, au cours d’une mise en batterie particulièrement difficile en dépit du froid rigoureux, cet excellent sous-officier n’a pas voulu prendre de repos tant que la mission qui lui avait été confiée n’était pas terminée », atteste la citation que Sei Koné a reçue lorsqu’il a été décoré de la médaille militaire : « Il a eu de ce fait les deux pieds gelés et a dû être amputé de ces deux membres. » Le soldat est décédé à l’hôpital militaire de Conakry le 26 juillet 1948.

Quant à Blou Bango, incorporé au 24e régiment de tirailleurs sénégalais, il a été fait prisonnier par les Allemands lors de la campagne de France en 1940. Un an plus tard, l’Ivoirien est décédé à l’hôpital Sainte-Marguerite de Marseille « des séquelles d’une tuberculose pulmonaire » contractée en captivité.

Une place inaugurée à Bandol

Ce sont les parcours de ces hommes et ceux de milliers d’autres que le gouvernement veut aujourd’hui faire connaître à travers ce guide. « Notre liberté, on la doit à nos alliés, à la résistance et à cette armée africaine, rappelle au Monde Afrique Geneviève Darrieussecq. Cette diversité des combattants a permis la construction de notre pays. Il est important d’en être conscient et de les honorer. C’est vrai qu’il y a eu un manque de reconnaissance à l’égard de notre armée d’Afrique, mais il n’est pas trop tard. J’aimerais que les parlementaires soient aujourd’hui les ambassadeurs de cette mémoire auprès des maires et dans les territoires. »

Les maires qui le souhaitent peuvent donc choisir de mettre en valeur un combattant, une unité ou un événement parmi les notices qui leur sont proposées, mais pas seulement. « Le choix des soldats s’est fait en prenant en compte la diversité des régions françaises dans lesquelles ils ont combattu [Bourgogne, Bretagne, Corse…], ainsi que la variété de leurs pays d’origine », explique Maxime Ruiz, chargé de mission mémoire à l’ONACVG et coauteur du livret : « Si un maire souhaite rendre hommage à un combattant africain qui s’est illustré dans sa commune, lors de la libération par exemple, il peut prendre contact avec nos services. Une enquête sera effectuée par le service historique de la défense pour lui proposer quelques noms. »

Cette initiative intervient à un moment où le débat sur la représentativité des Noirs dans la société française est particulièrement vif, après la mort de George Floyd aux Etats-Unis, le 25 mai. « Les Français d’origine africaine ont besoin de reconnaissance », assure Sira Sylla, députée LRM de Seine-Maritime qui milite pour la reconnaissance des diasporas africaines : « Que cela plaise ou non, leurs ancêtres ont participé à la libération de la France. L’histoire de notre pays et celle de l’Afrique sont liées et il est urgent de le faire savoir. »

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Suite à l’appel lancé en 2019 par Emmanuel Macron, la ville de Bandol a inauguré en janvier la place des Libérateurs africains, située devant l’hôtel de ville. Albert Banuls, Mohamed Dahel, Ali Fattani, François Gaillardo et Jean-Edouard Seffar, tous les cinq nés en Algérie, ont perdu la vie dans cette ville du Var en combattant contre l’occupant allemand en août 1944. Avant le second tour des élections municipales, une dizaine d’autres communes avaient également manifesté leur volonté de rendre hommage aux combattants africains, notamment les nombreux tirailleurs sénégalais morts dans la région lyonnaise.

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