A Hong Kong, « publier sur un réseau social peut désormais être considéré comme un crime »

Un manifestant est arrêté par la police lors d’un rassemblement contre la nouvelle loi sur la sécurité nationale, à Hong Kong, le 1er juillet 2020.

Un manifestant est arrêté par la police lors d’un rassemblement contre la nouvelle loi sur la sécurité nationale, à Hong Kong, le 1er juillet 2020. ANTHONY WALLACE/AFP

Le 30 juin, la Chine a voté la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong. Une législation qui « abolit totalement l’autonomie » du territoire, selon Marc Julienne, chercheur à l’Ifri.

La République populaire de Chine a promulgué mardi 30 juin une loi sur « la sécurité nationale » à Hong Kong, qui confère au régime communiste des pouvoirs judiciaires sans précédent. Comprenant six chapitres de 66 articles, cette loi punit quatre « crimes » : la sécession, la subversion, le terrorisme et la collusion avec l’étranger. Ils pourront conduire à des peines allant de dix ans de prison à la perpétuité.

Cette loi, qui est une réponse aux dix-huit mois de protestations des Hongkongais contre le projet de loi sur l’extradition, a pour but d’imposer l’ordre dans ce territoire semi-autonome. Mais depuis, la colère est loin de s’être estompée : 24 heures après l’entrée en vigueur de la loi, 180 personnes ont déjà été arrêtées en marge de manifestations.

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Nous avons interrogé Marc Julienne, chercheur au centre Asie de l’Institut français des Relations internationales (Ifri) et responsable des activités Chine.

Dans quelle mesure la « loi sur la sécurité nationale » est-elle une atteinte aux libertés et aux droits des Hongkongais ?

Pour le dire simplement, cette loi limite très fortement les libertés politiques et cela peut aussi bien inclure la liberté d’expression, la liberté de manifestation pour des raisons politiques, que la liberté de contestation. Certains sujets vont devenir tellement sensibles que le simple fait d’émettre une opinion va devenir un crime passible de peines allant jusqu’à la perpétuité.

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Par exemple, demander la démocratie ou l’autonomie de Hong Kong, agiter un drapeau britannique ou américain, prôner des idées « étrangères », publier sur un réseau social… peut être considéré comme un crime. En fait, toute remise en question de l’autorité de Pékin peut désormais être considérée comme tel. On peut donc se demander si les candidats démocrates seront en mesure de se présenter aux élections législatives début septembre, ou bien s’ils seront mis à l’écart ou arrêtés.

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En quoi cette loi est-elle plus répressive que ce qui était prévu ?

Avec cette loi, la Chine est allée plus loin que ce qu’on pouvait attendre. Tout est parti des grandes manifestations contre le projet de loi d’extradition, qui a finalement été abandonné. Mais ce projet de loi était seulement un grignotage de l’autonomie de Hong Kong. Là, Hong Kong a été mangé tout cru ! Cette loi m’a aussi beaucoup surpris dans la matière dont elle est rédigée : elle n’est pas du tout alambiquée, pas du tout subtile. Le message et les dispositions sont évidents, très fermes, même s’il y a toujours une marge d’interprétation. Et surtout cette loi s’applique aussi aux étrangers et en dehors de Hong Kong. C’est très grave : un ressortissant étranger, qui ferait l’objet d’une enquête pour atteinte à la sécurité nationale, pourrait par exemple être arrêté lors d’un séjour ou d’une simple escale à Hong Kong.

Cette loi est donc une prise de pouvoir de Pékin sur Hong Kong ?

Le texte abolit totalement l’autonomie de Hong Kong : il signe la fin de l’équilibre des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif, inscrits dans la « Basic Law », la Constitution de Hong Kong. L’article 48 de la loi sur la sécurité nationale met en place de nouvelles institutions sur le territoire hongkongais, dirigées par le pouvoir central à Pékin. De facto, ces agences ne sont plus soumises au pouvoir judiciaire hongkongais, elles n’ont de compte à rendre à personne sauf au Parti communiste chinois. Les fonctionnaires bénéficient de l’immunité, ils sont donc au-dessus des lois. La Constitution de Hong Kong passe au second plan.

Pourquoi la Chine a-t-elle décidé de passer à la vitesse supérieure ?

Cette loi est le signe que la Chine ne craint pas du tout les mesures de rétorsion, ni la dégradation de son image à l’international et qu’elle ne craint pas non plus de violer des lois locales et internationales. La loi sur la sécurité nationale est de la pure coercition : elle a été votée à Pékin de manière totalement discrétionnaire, c’est-à-dire qu’aucun législateur hongkongais n’a été consulté, pas même la cheffe de l’exécutif Carrie Lam. Pourtant la Basic Law dit très clairement que pour les questions de sécurité nationale, Hong Kong doit voter ses propres lois. Cette loi est donc contraire à la Constitution hongkongaise et viole aussi la déclaration sino-britannique de 1984, le traité international qui négociait la rétrocession de 1997. La République populaire de Chine (RPC) s’y engageait à accorder à Hong Kong un « haut degré d’autonomie », notamment en matière législative, durant cinquante ans.

Doit-on s’attendre à ce que la Chine aille encore plus loin ?

Pour Hong Kong, il faut maintenant surveiller comment cette loi va être mise en œuvre, comment les nouvelles agences [agence de sécurité nationale, commission du maintien de la sécurité nationale, NDLR] vont être actives, à quel point la loi va être appliquée. Le pire scénario serait que dans les deux mois qui viennent, le régime décide d’interdire les associations et les partis pro-démocrates, voire d’enfermer toutes les personnes qui auraient publié des messages pro-démocratie sur les réseaux sociaux, afin de faire pression sur le camp démocrate et de l’éradiquer. En légiférant à Hong Kong, Pékin envoie aussi un signal très fort à une autre démocratie de la région, Taïwan, qui reste au cœur des ambitions du régime chinois.

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Propos recueillis par Juliette Thévenot

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