Ce texte est une traduction de l’article How deadly is the coronavirus ? Scientists are close to an answer, publié sur Nature.com le 16 juin 2020.

Covid-19

Quel est le vrai taux de mortalité du Covid-19 ?

Cette donnée est cruciale pour déterminer la réaction à adopter face à l’épidémie, mais elle est loin d’être simple à estimer.

hommes en combinaison enterrant un mort du covid 19

Pour ne rien manquer de Pour La Science, inscrivez-vous à nos newsletters (gratuites)

L’une des questions les plus important es concernant une nouvelle maladie infectieuse telle que le Covid-19 est de savoir à quel point elle est mortelle. Après des mois de collecte de données, les chercheurs se rapprochent enfin d’une réponse fiable.

Les chercheurs parlent de taux de mortalité due à l’infection (infection fatality rate, ou IFR) pour caractériser la létalité d’une nouvelle maladie. Il s’agit de la proportion de personnes infectées qui en mourront, y compris celles qui ne sont pas dépistées ou qui ne présentent pas de symptômes.

« L’IFR est l’un des chiffres importants, à côté du seuil d’immunité collective, et a des implications évidentes sur l’ampleur d’une épidémie et sur le sérieux avec lequel nous devons la considérer », explique Robert Verity, épidémiologiste à l’Imperial College de Londres.

Le calcul précis du taux de mortalité est un défi dans toute épidémie, car il repose sur la connaissance du nombre total de personnes infectées – et pas seulement des cas confirmés – ainsi que du nombre exact de décès imputables à la maladie. Mais le taux de mortalité est particulièrement difficile à déterminer pour le Covid-19, la maladie causée par le virus SARS-CoV-2, explique Timothy Russell, mathématicien et épidémiologiste à l’école d’hygiène et de médecine tropicale de Londres. Cela en partie parce que de nombreuses personnes infectées présentent des symptômes légers, voire aucun, et de ce fait ne sont pas détectées, mais aussi parce que le délai entre l’infection et le décès peut être très long, jusqu’à deux mois. De nombreux pays ont également du mal à compter avec précision tous les décès liés au virus. Les registres de décès suggèrent que de nombreux morts ne sont pas pris en compte dans les chiffres officiels.

Les données recueillies au début de la pandémie surestimaient la mortalité du virus, puis les analyses ultérieures l’ont sous-estimée. Aujourd’hui, de nombreuses études – fondées sur des méthodologies différentes et complémentaires – estiment que, dans la plupart des pays, la mortalité du Covid-19 se situe entre 0,5 et 1 %. « Les études qui me semblent fiables convergent vers cette fourchette », déclare Timothy Russell. Mais certains chercheurs affirment que cette convergence pourrait n’être qu’une coïncidence.

Pour bien appréhender la gravité de l’épidémie, les scientifiques doivent comprendre quelle est la létalité du virus dans différents groupes de personnes. Le risque de mourir du Covid-19 varie considérablement en fonction de l’âge, de l’origine ethnique, de l’accès aux soins, du statut socioéconomique et des conditions de santé sous-jacentes. Selon ces chercheurs, il est nécessaire de se pencher plus en détail sur ces différents groupes.

Le taux de mortalité est également spécifique à une population donnée et évolue au fil du temps à mesure que les médecins améliorent les traitements de la maladie, ce qui complique encore son estimation.

Il est important de déterminer le taux de mortalité réel, pour que les gouvernements et les individus puissent adopter les réponses appropriées à l’épidémie. « Si l’estimation du taux de mortalité est trop faible, la communauté risque de ne pas être bien préparée et ne pas réagir assez vigoureusement. À l’inverse, si l’estimation est trop élevée, elle peut provoquer une réaction excessive qui sera au mieux coûteuse, et au pire aggravera les effets néfastes de mesures radicales comme le confinement », explique Hilda Bastian, doctorante en médecine à l’université Bond, en Australie.

Cet article vous est offert. Pour soutenir l’information scientifique et profiter de l’intégralité de nos contenus, abonnez-vous ! À partir de 4,90€ / mois >> Consulter nos offres

Premières estimations divergentes

Les premières indications de la mortalité du virus ont été tirées du nombre total de cas confirmés en Chine. Fin février, l’Organisation mondiale de la santé a estimé grossièrement que le taux de mortalité était de 3,8 % parmi les cas confirmés (on parle de case fatality rate, ou CFR). Ce taux de mortalité parmi les cas confirmés a atteint 5,8 % à Wuhan, l’épicentre de l’épidémie. Mais ces estimations exagéraient la dangerosité de la maladie, car elles ne tenaient pas compte des nombreuses personnes qui avaient probablement été infectées mais n’avaient pas été testées, masquant la véritable étendue de l’épidémie.

Les chercheurs ont essayé de combler cette lacune en estimant le taux de mortalité à partir de modèles prédisant la propagation du virus. Les résultats de ces premières analyses tournaient autour de 0,9 %, avec une fourchette allant de 0,4 à 3,6 %, selon Robert Verity. Sa propre modélisation a estimé le taux de mortalité global en Chine à 0,7 %, et jusqu’à 3,3 % chez les personnes âgées de 60 ans ou plus.

L’équipe de Timothy Russell a également utilisé les données recueillies sur le navire de croisière Diamond Princess, mis en quarantaine dans les eaux japonaises début février, pour estimer le taux de mortalité en Chine. La quasi-totalité des 3 711 passagers et membres d’équipage ont été testés, ce qui a permis aux chercheurs de compter le nombre total d’infections (près de 700) – y compris les cas asymptomatiques (18 % des cas) –, et de décès dans une population connue. Le taux de mortalité parmi les passagers du Diamond Princess a atteint 1,2 %. En comparant avec le taux de mortalité pour les cas confirmés estimé en Chine, son équipe a estimé un taux de mortalité global de 0,6 %.

« Ces études visaient à obtenir rapidement des estimations approximatives du taux de mortalité du Covid-19 », explique Robert Verity. Mais les chercheurs ont également dû faire des estimations complexes, qui restent à vérifier, sur le nombre de cas confirmés et le nombre réel de personnes infectées. « Ces estimations préliminaires devraient être mises à jour dès que de meilleures données seront disponibles », dit-il.

Sur la trace des anticorps

Des enquêtes à grande échelle pour tester la proportion d’individus ayant développé des anticorps contre le SARS-CoV-2, connues sous le nom d’enquêtes de séroprévalence, devraient aider à affiner les estimations du taux de mortalité. Environ 120 enquêtes de séroprévalence sont en cours dans le monde. Mais les résultats des premières enquêtes sérologiques n’ont fait qu’embrouiller le tableau, en suggérant que le virus était beaucoup moins mortel qu’on ne le pensait.

Dans l’une des premières études, on a testé 919 personnes dans la ville allemande de Gangelt, où un important foyer épidémique avait été observé. Parmi ces individus, environ 15,5 % présentaient des anticorps contre le virus, soit un pourcentage cinq fois plus élevé que celui des cas avérés de Covid-19 dans la ville à l’époque. Ce chiffre a été utilisé pour déduire un taux de mortalité de 0,28 %. Mais cette étude s’appuyait sur un nombre relativement faible de personnes.

taux de mortalité covid-19

Le taux de mortalité (IFR) est la proportion de personnes infectées par le virus du Covid-19 qui vont mourir de la maladie. Les estimations portent sur des régions limitées, et peuvent varier en fonction de la démographie, du système de santé et de la méthodologie de l’étude.

© Nature. Sources : Chine* : T. W. Russell et al. Eurosurveillance 25, 2000256 (2020) ; Chine** : R. Verity et al. Lancet 20, 669-677 (2020) ; France : H. Salje et al. Science https://doi.org/10.1126/science.abc3517 (2020) ; Brésil : P. Hallal et al. Preprint at medRxiv https://doi.org/10.1101/2020.05.30.20117531 (2020) ; Espagne : Rapport 2020 du ministère espagnol de la santé.

D’autres parmi ces premières études de séroprévalence n’ont pas correctement pris en compte le manque de sensibilité et de spécificité des tests sérologiques utilisés, ni les biais de représentativité entre les populations échantillonnées et les populations réelles, juge Robert Verity.

Ces problèmes ont pu artificiellement gonfler les estimations du nombre total de personnes infectées et ainsi faire diminuer l’estimation du taux de mortalité du virus, selon le chercheur. De même, le fait que les morts dus au Covid-19 ne sont pas tous comptabilisés – un problème qui touche de nombreux pays, car toutes les personnes décédées ne sont pas testées pour le virus – peut également biaiser le taux de mortalité, explique Gideon Meyerowitz-Katz, doctorant en épidémiologie à l’université de Wollongong, en Australie.

Des études de séroprévalence de plus grande ampleur ont été publiées ces dernières semaines. Elles fournissent des estimations du taux de mortalité plus élevées que les premières études. Une enquête portant sur plus de 25 000 personnes au Brésil, publiée sur medRxiv, a fourni un taux de mortalité de 1 %. Une autre étude, qui a testé plus de 60 000 personnes dans toute l’Espagne, fait état d’une prévalence des anticorps de 5 %, mais les résultats n’ont pas encore été officiellement analysés. L’équipe n’a pas calculé le taux de mortalité, mais sur la base des résultats, Robert Verity estime que le taux de mortalité en Espagne se situe autour de 1 %.

Plusieurs chercheurs, dont Timothy Russell et Robert Verity, trouvent significatif qu’un nombre croissant d’études dans différentes régions du monde convergent vers des estimations du taux de mortalité dans une fourchette allant de 0,5 à 1 %. Mais d’autres scientifiques se montrent encore prudents. « Cette tendance pourrait n’être qu’un coup de chance », juge Gideon Meyerowitz-Katz.

Marm Kilpatrick, chercheur en maladies infectieuses à l’université de Californie à Santa Cruz, relève également que la plupart des données des études sérologiques n’ont pas été publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture. Il est difficile de savoir quand et comment elles ont été collectées et de calculer correctement un taux de mortalité qui tienne compte du délai entre l’infection et le décès, précise-t-il.

Marm Kilpatrick et d’autres attendent avec impatience de vastes enquêtes qui estimeront les taux de mortalité dans toutes les tranches d’âge et en tenant compte des pathologies préexistantes, ce qui donnerait une image plus précise de la mortalité due au Covid-19. L’une des premières études à prendre en compte l’effet de l’âge a fait l’objet d’une prépublication la semaine dernière. Fondée sur les données de séroprévalence à Genève, cette étude estime le taux de mortalité à 0,6 % pour la population totale, et à 5,6 % pour les personnes âgées de 65 ans et plus.

Ces résultats n’ont pas été examinés par un comité de lecture, mais Marm Kilpatrick affirme que l’étude répond à un grand nombre des problèmes rencontrés lors de précédentes enquêtes de séroprévalence. « Cette étude est ce qui devrait être fait avec toutes les données sérologiques », juge-t-il.

Smriti Mallapaty

Smriti Mallapaty est journaliste scientifique basée à Sidney, elle couvre l’actualité en science, agriculture et technologie en Asie.

Voir tous ses articles
Références

Pour en savoir plus sur l’épidémie de coronavirus, consultez les articles en d’autres langues du réseau des éditions internationales de Scientific American.

Sur le même sujet

Numéros sur le même sujet

Thèmes

Retour en haut de page

En kiosque actuellement

Soutenez l'information scientifique ! À partir de 5,50€ par mois > Je m'abonne