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Reportage

Marathon des sables: ils ont marché sur les dunes

Du sportif aguerri à l'amateur courageux, près de 1 000 concurrents participent à la vingt-neuvième édition de cette course extrême dans le décor grandiose du désert marocain.
par Eliane Patriarca, Envoyée spéciale au Maroc
publié le 10 avril 2014 à 11h38

On en revient la tête pleine de scènes surréalistes et la rétine impressionnée d’images lumineuses : une silhouette au loin qui se faufile entre les dunes blondes de Merzouga, échappe au regard, réapparaît trottant dans un paysage grandiose écrasé de chaleur; un ruban sautillant et coloré qui s’éloigne dans l’oued, nimbé de volutes de vent et de sable ; il y a aussi les sombres pitons rocheux qui évoquent l’ouest américain, les fines crêtes de sables, les ruines de M’fis, village minier déserté, les mille et une couleurs du sable, ce nuancier délicat qui sculpte le paysage saharien, du doré au noir, de l’ocre au beige ; ou encore, cette improbable arche gonflable posée en plein désert, survolée par un hélico et entourée d’une escouade de 4 x 4 et de quelques chameaux… Quelques épisodes gores aussi : le charcutage d’ampoules sur des pieds meurtris par des dizaines et dizaines de kilomètres sur un sol bouillant, la perfusion installée d’urgence, au milieu de l’erg, pour ce coureur qui n’arrive plus à boire et vomit tout ce qu’il ingère. Le Marathon des sables est un prolifique fabricant de rêves et de sensations. Une parenthèse de sable pour des coureurs anonymes, mais aussi un défi sportif pour des sportifs d’élite.

Près de trente ans après sa création, cette course devenue mythique, garde la même fraîcheur que son fondateur, Patrick Bauer, ancien photographe, ancien organisateur de concerts folk et jazz, fou de musique et passionné par le Maroc. Mais alors que l’épreuve ne comptait que 23 concurrents la première année en 1985, elle a attiré cette année dans le désert marocain plus de 1000 concurrents venus de tous pays - et les listes d’attente sont déjà constituées pour 2015 ! Elle figure désormais dans l’Ultra Trail Word Tour, le nouveau circuit qui rassemble dix courses extrêmes à travers la planète.

Son format et son cadre la rendent unique : 250 kilomètres à pied dans le désert saharien (en sept étapes dont la dernière se déroulera le 14 avril), au sud de Ouarzazate, à travers champs de dunes, ergs, lacs asséchés, ou djebels, en six étapes et en autosuffisance alimentaire – seule l’eau est fournie par l’organisation mais en quantité limitée — et dans des conditions pour le moins rustiques : hébergement sous tente berbère dont le seul confort est le tapis de laine. Aucune sélection, chacun peut s’inscrire, quels que soient son niveau et son expérience, à condition de fournir les examens médicaux requis, ce qui pour l’organisation de l’épreuve, impose une logistique complexe et une organisation considérable : plus de 120 personnes pour la direction de course, 450 personnes pour l’encadrement, 57 médecins, infirmiers ou podologues, 3 tonnes de matériel médical, 100 véhicules 4 x 4, 2 hélicos, 1 avion Cessna et le soutien de 22 camions des forces armées royales marocaines. Une énorme caravane, des dizaines de tentes, démontées chaque soir pour ce camp itinérant et remontées chaque matin à l’identique, mais le tout si bien rodé que chaque participant peut vivre son aventure personnelle protégé par cette grosse machine.

De la tête de course, où règnent les athlètes marocains, jusqu’aux derniers de chaque étape, à chacun son Marathon qu’un grain de sable suffit à enrayer : la déshydratation guette chacun des concurrents même les plus expérimentés, explique le staff médical qui délivre avant le départ, des sachets de pastilles de sel à prendre impérativement chaque jour pour retenir l’eau et éviter les malaises.

Il y a autant d’histoires que de coureurs, avec pour seul public et parfois confidents, les bénévoles, les Doc’Trotters, les commissaires de bivouac, les chauffeurs, les journalistes et les enfants des villages longés ou traversés, attirés par cette épreuve très respectée au Maroc. Il y a ce jeune Breton, conducteur de poids lourds transportant des matières dangereuses, qui s’est inscrit en hommage à deux de ses proches, deux jeunes garçons disparus, dont le fils de sa compagne; ou ce très jeune couple, fraîchement marié, et qui court avec des oreilles de lapin sur la tête et des boucles d’oreille en forme de carottes ; ou encore Isabelle, brune et belle femme, grand-mère sexy, qui ne se sépare jamais de deux grandes fiches cartonnées sur lesquelles elle a collé les photos de toute sa famille. Ou encore cette adolescente américaine, Gabriella Chan, la plus jeune concurrente de l’épreuve, 16 ans, qui a convaincu ses parents de l’accompagner, ce Français hémiplégique accompagné par son père, ces frères jumeaux Michaël et Damien Gras, deux jeunes fondeurs de 23 ans déjà bien connus dans le milieu de l’athlétisme pour leurs performances en course de montagne, en cross ou même sur la route, ce Québécois de 71 ans porteur de deux prothèses de hanche, cette splendide actrice coréenne qui affole les regards… Extraits de la mosaïque 2014, alors que les premières étapes ont déjà sérieusement marqué les corps – déjà plus d’une centaine d’abandons –, entamé le moral et décapé les relations de tout vernis social…

Christine, dossard 64, tente 37, 49 ans

Brestoise, Christine court son premier Marathon des sables pour passer avec panache le cap de la cinquantaine. Elle n'est pas pour autant une néophyte dans la course : elle a déjà couru treize marathons sur route et a découvert le trail en 2008. Secrétaire dans une entreprise bretonne, elle connaît bien l'épreuve : elle a fait partie du staff bénévole lors des trois dernières éditions «au chrono et au classement, puis sur les points de contrôle». Trois années durant lesquelles elle a glané les conseils des coureurs, et surtout des coureuses, les recommandations des médecins, aiguisé son envie de participer et accumulé assez de confiance en elle pour s'inscrire. «Il fallait que je passe à l'acte. Après, tu essaies de faire de ton mieux ! Je compte marcher essentiellement et couroter quand je pourrai. Mais mon objectif, c'est de prendre le maximum de plaisir et de finir !»

Dimanche 6 avril, 8h30. Les ongles vernis, le maquillage léger, enthousiaste, l'énergie au zénith, Christine savoure ce moment tant attendu, cette exaltation qui précède le grand départ. Highway to Hell, le mythique tube d'ACDC, déferle sur les coureurs. Accroché à son sac à dos, le drapeau breton comme un talisman contre l'anxiété. «Le marathon, c'est un énorme effort, à fond, un jour donné. Mais ici, c'est une course nouvelle chaque jour, une épreuve de réflexion.» Elle est l'une des 160 femmes sur le millier de participants et aimerait ne pas «être la dernière».

Dimanche, 18 heures. La première étape s'est avérée ardue - 34 kilomètres entre l'erg Chebbi et l'erg Znaigui, dont l'essentiel sur le sable fuyant des dunes de Merzouga, les plus hautes du Sahara sud marocain, avec une température passant au fil des heures de 24° à 37° et une hygrométrie de 13 à 14%… Les premiers sont arrivés, éprouvés, en 3 heures et quelques minutes pour les hommes, en quatre heures pour Laurence Klein, la première femme. Mais il a fallu repousser d'une heure la barrière horaire initialement fixée à dix heures de course, pour réduire le taux d'abandons. Pour une vingtaine de personnes, le rêve est néanmoins déjà terminé. Après 8 heures 43 minutes de course, Christine arrive devant sa tente, les traits tirés, le visage un peu figé et le pas lent. Chaleureusement accueillie par ses compagnons de tente, qu'elle ne connaît pourtant que depuis deux jours et qui la débarrassent aussitôt de son sac, de ses bâtons, elle s'allonge immédiatement. Les larmes au bord des yeux, elle n'arrive pas à dire un mot.

Lundi 7 h 45. Sous la tente, la Bretonne a retrouvé toute sa vivacité. C'est reparti pour l'étape numéro deux : 41 km qui mèneront le peloton à l'oued Moungarf, avec un vent chaud qui devrait faire monter le thermomètre au-delà des 40° à l'ombre. «Même s'il faut revoir ses prétentions à la baisse, l'important, c'est de passer chaque jour la ligne d'arrivée», c'est le mantra de Christine.

Lionel Habasque, PDG de Terres d’Aventure, dossard 253, 53 ans

Il en est à sa deuxième participation. Le longiligne PDG du Tour-opérateur Terres d'Aventures, partenaire du Marathon depuis quinze ans, a constitué avec un ami du Gers une équipe commune. A eux tous, ils occupent deux tentes berbères et présentent l'éventail complet des niveaux : du novice au récidiviste, avec déjà deux ou trois MDS dans les jambes, en passant par des coureurs d'élite comme Laurence Klein (gagnante du MDS en 2007, 2011 et 2012), Damien Vierdet (4e en 2011), et Mohamed Feraj, qui travaille comme cuisinier pour Terres d'Av sur les treks au Maroc (12e en 2013). «4 sorties par semaine, une longue (4 heures environ) le week-end» : Lionel Habasque s'est bien préparé. «On a même bénéficié des conseils de Laurence Klein lors d'un stage de trois jours en janvier à la dune du Pilat, en Gironde», explique-t-il.

Lundi, 7h45. La toile de la tente Terres d'av-Equinoxe a déjà été repliée, ne reste que le tapis sur lequel les coureurs déjeunent, s'habillent, bichonnent leurs pieds… Debout, Lionel Habasque puise dans un petit sac de plastique des graines et des fruits secs. Chacun de ses sacs alimentaires est étiqueté, avec le nombre de calories équivalent. Les commissaires du MDS ont contrôlé hier tous les sacs des coureurs afin de s'assurer qu'ils partaient bien avec le nombre de calories minimum requis, soit 2000 par jour. «La première année, la préparation du sac est un vrai casse-tête, reconnaît Lionel Habsque, il faut trouver le bon compromis pour porter le moins de poids possible sans manquer de rien.» Fort de sa première expérience, il a apporté cette année des plats lyophilisés, des graines et des fruits secs, des barres et une boisson énergétique, le tout soigneusement plié et rangé. Sur le petit feu nourri du bois que les coureurs doivent aller chercher autour du campement chaque soir, chauffent les écuelles d'eau qui vont servir au thé ou au mélange de mixtures diverses et peu appétissantes mais riches en calories. Un peu inquiet, comme tous ici avant le grand lâcher des coureurs, le patron de Terres d'Av est aussi impatient de tester ses jambes et son mental.

Laurence Klein, 45 ans, coureuse de fond, dossard de 273

Outres ses titres de championne d'Europe du 100 km en 2007, de championne de France du marathon en 2008 et de championne de France de trail 2, elle compte déjà trois victoires au Marathon des sables (2007, 2011, 2012) mais ce matin, tandis qu’elle strappe ses pieds pour protéger la voûte plantaire et les enduit de talc contre les ampoules, c’est à l’année dernière qu’elle ne peut s’empêcher de penser. Un coup de bambou, une déshydratation qu’elle n’a pas vu venir et qui l’a contrainte à l’abandon. Dur et inattendu pour une coureuse aussi expérimentée. Elle a une voix très douce, de grands yeux bleus et des jambes interminables à faire pâlir les top model. «J’adore le désert et j’adore aussi l’ambiance particulière de cette course, l’ambiance du bivouac, cette petite famille qu’on retrouve chaque soir, qui permet de se reconditionner après l’étape, dit-elle d’une voix très douce. En une semaine, c’est un condensé de vie. Au jour le jour, on voit les gens changer.» La promiscuité permanente, l’absence d’intimité, l’hygiène réduite au strict minimum… tout cela ne la perturbe pas. «On s’est formaté pour affronter une telle course. J’organise moi-même des stages pour apprendre aux coureurs à se préparer à ces conditions.»

En tête du classement féminin, de la première à la quatrième étape, Laurence Klein voit se rapprocher Nikky Kimball, la volubile Américaine, victorieuse à trois reprises de la Western State 100 Miles Endurance Run.

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