Les dix plus grands thèmes d’Ennio Morricone pour le cinéma

Alors qu’“Ennio”, documentaire de Giuseppe Tornatore sur le regretté Morricone, est en salles, retour sur notre portrait du Maestro en dix B.O. incontournables.

Brian De Palma et Ennio Morricone en 1987, pour le film « Les Incorruptibles ».

Brian De Palma et Ennio Morricone en 1987, pour le film « Les Incorruptibles ». Paramount Pictures/Courtesy Everett Collection

Par Eric Delhaye

Publié le 24 septembre 2016 à 09h00

Mis à jour le 11 juillet 2022 à 17h36

Article initialement paru le 06/07/2020.

Célèbre pour son duo avec Sergio Leone et ses succès hollywoodiens, capable de collaborer avec Pier Paolo Pasolini comme avec Pedro Almodovar, Ennio Morricone a illustré six décennies de cinémas. Il vient de mourir, à l’âge de 91 ans.

“Mission ultra-secrète” (1961)

Film de Luciano Salce avec Ugo Tognazzi, Georges Wilson et Stefania Sandrelli, Mission ultra-secrète (Il federale) inaugure la carrière d’Ennio Morricone au cinéma. Doté d’une formation académique de compositeur, arrangeur et chef d’orchestre, trompettiste de jazz dans les années 40, le Romain cachetonne alors pour la radio et la télévision. Au cinéma, il œuvre en sous-main pour des compositeurs célèbres qui ne le créditent pas. Jusqu’à ce que Luciano Sale le recrute, comme Morricone l’a raconté dans une interview à la Libre Belgique en 2014 : « Je connaissais Luciano Salce depuis assez longtemps. Il connaissait le travail que j’avais réalisé pour la radio-télévision italienne et me faisait confiance. On avait commencé à travailler ensemble sur deux projets de comédies. Ensuite, Salce m’a sollicité pour travailler sur son troisième long métrage mais Dino De Laurentiis, producteur du film, s’y est opposé en considérant que j’étais un pur inconnu. En fin de compte, j’ai quand même pu intégrer le quatrième film de Salce. Voilà comment les choses ont commencé. » Tout au long de sa carrière, alors que Hollywood sollicitait ses talents, Morricone n’a pas cessé de composer pour quantité de comédies et films de genre italiens. Résultat : six décennies après ses débuts, son compteur affiche un demi millier de mentions entre cinéma et télévision.


“Pour une poignée de dollars” (1964)

Sergio Leone et Ennio Morricone sont des amis d’enfance puisqu’ils fréquentèrent, avant-guerre, les bancs de la même école romaine. Leur amitié donnera naissance avec l’un des couples réalisateur-compositeur qui abondent dans le cinéma (Hitchcock-Herrmann, Spielberg-Williams, Fellini-Rota, Burton-Elfman, Lynch-Badalamenti…). Pendant le Festival de Cannes 1971, Jacques Chancel avait reçu les deux hommes sur France Inter.

Chancel : « La musique de cinéma est-elle une musique sérieuse ? » Morricone : « Ça dépend de qui la fait. » Chancel : « Sans Sergio Leone, auriez-vous été un compositeur connu ? » Leone : « Il a fait beaucoup de très belles musiques pour d’autres. » Morricone : « Je dois beaucoup à Sergio Leone qui est peut-être le seul metteur en scène permettant au compositeur de s’exprimer totalement. »

Morricone eut notamment l’idée révolutionnaire d’introduire la guitare électrique sur la première de ses collaborations avec Leone, Pour une poignée de dollars, dont le thème principal est influencé par une chanson de Woody Guthrie, Pastures of Plenty. Ce film inaugura en 1964 la Trilogie du dollar, que complétaient Et pour quelques dollars de plus (1965) et Le Bon, la Brute et le Truand (1966). Morricone plantait ses partitions de cris, coups de fouets, sifflements et bruits de cloche. Son duo avec le cinéaste atteint son apogée au son lancinant d’un harmonica, dans Il était une fois dans l’Ouest (1969), et la collaboration se poursuivra jusqu’au dernier film de Leone, Il était une fois en Amérique (1984). Des œuvres entrées dans l’imaginaire collectif, indissociables de leurs musiques. Sans doute parce que les partitions de Morricone ne se contentaient pas d’illustrer les films : elles les inspiraient. En effet, selon la méthode établie par le compositeur et le réalisateur, la BOF était généralement enregistrée avant que la moindre scène soit tournée. Le monteur avait pour mission, ensuite, de s’adapter à la musique. Ainsi, les scènes étaient souvent étirées, conférant aux films de Leone leur rythme particulier, pour ne pas interrompre les envolées lyriques de son ami d’enfance.


“Le Clan des Siciliens” (1969)

Jean Gabin, Lino Ventura et Alain Delon sur la même affiche, ça vous posait un film. Le Clan des Siciliens, réalisé par Henri Verneuil, méritait une musique du même tonneau. Ennio Morricone, qui a souvent décrit sa musique comme l’illustration de la douleur chez un personnage, excelle dans les films de gangsters et les thrillers, comme il le démontrera dans Les Incorruptibles et Il était une fois en Amérique. Le thème principal du Clan des Siciliens, avec sa guimbarde et son motif de guitare surf, est devenu l’un de ses succès populaires, incontournable des concerts qu’il dirige aujourd’hui.


“Frissons d’horreur” (1975)

Réalisé par Armando Crispino, Frissons d’horreur (Macchie Solari) raconte l’histoire de Simona qui, employée de la morgue alors que Rome est frappée par une vague de suicides, est la proie d’hallucinations au cours desquelles les morts se réveillent et forniquent sur les brancards. Le thème est typique du giallo, un genre italien qui combine horreur et érotisme, pour lequel Morricone aura composé une bonne douzaine de fois, notamment pour le premier film de Dario Argento (L’Oiseau au plumage de cristal, 1970) ou pour des réalisateurs comme Paolo Cavara (La Tarentule au ventre noir, 1970) et Luigi Bazzoni (Journée noire pour un bélier, 1971). Des films grand-guignolesques grâce auxquels Morricone put exploiter ses accointances pour l’abstraction et l’avant-gardisme, en s’amusant du sexe et du sang.


“Le Professionnel” (1981)

Belmondo, son flingue, la réalisation de Georges Lautner, les dialogues de Michel Audiard et bien sûr le thème musical d’Ennio Morricone : Chi Mai. Inspiré du second mouvement du Concerto pour clavecin en ré mineur de Bach, et initialement composé pour le film Maddalena (réalisé par Jerry Kawalerowicz en 1971), le morceau fut choisi par Belmondo lui-même. Bébel n’avait donc pas qu’un flingue, il avait aussi une oreille : les 45-tours de Chi Mai se vendirent à près d’un million d’exemplaires en France, une performance s’agissant d’une musique instrumentale à une époque où les charts étaient dominés par La Danse des canards. La BOF du Professionnel délogea même les Rolling Stones (Tattoo You) de la première place des ventes d’albums en novembre 1981.


“The Thing” (1982)

John Carpenter aurait voulu composer la musique de The Thing lui-même, en plaquant les nappes de synthétiseurs qui concourrent à l’ambiance de ses films anxiogènes. Mais le tournage ne lui en laissait pas le temps. Les producteurs sondèrent d’abord Jerry Goldsmith qui déclina, trop pris qu’il était sur Poltergeist de Tobe Hooper et La Quatrième dimension de Steven Spielberg. Le choix se porta finalement sur Ennio Morricone, dont Carpenter était un admirateur. Mais les débuts ne furent pas si simple. En arrivant sur le tournage, l’Italien s’étonna de découvrir que le réalisateur était en train de composer une partition électronique destinée au film : « Pourquoi m’avez-vous appelé, si vous êtes en train de faire les choses vous-même ? » Réponse de Carpenter : « Parce que je me suis marié sur votre musique. » Après la projection du film, Morricone eut encore la surprise de voir le réalisateur prendre la fuite, sans un mot. Les deux hommes n’échangeront aucune idée durant tout le processus. Morricone finit par présenter au réalisateur plusieurs thèmes dans des styles divers, avec le concours d’un orchestre symphonique. Un seul était interprété au moyen de simples synthétiseurs. C’est évidemment celui-ci que John Carpenter a choisi. Une BOF dont les titres donnent un aperçu de l’ambiance : Contamination, Bestialité, Stérilisation, Désespoir


“Mission” (1986)

Le film de Roland Joffé, avec Robert De Niro et Jeremy Irons, Palme d’or à Cannes en 1986, raconte la mission de jésuites espagnols qui se rendent dans une forêt sud-américaine pour évangéliser des indiens Guarani au XVIIIe siècle, et résister aux armées portugaises. Le script inspire à Morricone une musique qui jettera une passerelle spirituelle entre des cultures que l’histoire oppose violemment. Les intentions du compositeur – lui-même croyant – sont incarnées par Gabriel’s Oboe : dans le film, le thème est interprété au hautbois par le père Gabriel pour nouer le contact avec les Guarani qui l’entourent de leurs arcs et leurs lances. D’abord intrigués puis séduits, leur chef finira par briser le hautbois. Mais la musique aura permis un premier pas. Les orchestrations de Morricone empruntent surtout trois traditions disparates : le hautbois et les violons de la Renaissance, la musique sacrée succédant au Concile de Trente, enfin les traditions indigènes. Leur combinaison harmonieuse, symbolisant la force du sacré à la fin du film, est ce que Morricone appellera son « miracle technique » et « une grande bénédiction ».


“Les Incorruptibles” (1987)

Ennio Morricone inaugure sa collaboration avec Brian De Palma, qu’il retrouvera pour Outrages et Mission to Mars, au son des fusillades dans le Chicago de la Prohibition, avec Kevin Costner en Eliot Ness, Sean Connery en Jim Malone et Robert De Niro en Al Capone. Pour la sanglante scène finale, le compositeur proposa neuf versions différentes en espérant que le réalisateur ne choisisse pas la septième. Ce qu’il fit, évidemment. « C’est lui qui avait raison », commentera Morricone.


“Cinema Paradiso” (1989)

On peut ne pas goûter le Morricone lyrique des films sentimentaux. Mais sa partition et la classe des orchestrations contribuent parfaitement à l’ambiance de Cinema Paradiso, le triomphe international de Giuseppe Tornatore. Les deux hommes inaugurent alors un partenariat qui court déjà sur une douzaine de films (le record appartenant aux quinze collaborations avec Mauro Bolognini de 1967 à 1991). Le dernier en date, La corrispondenza, est sorti en début d’année.


« Les Huit salopards” (2015)

Pour la première fois depuis quarante ans, Morricone revient au western. Il faut dire que la demande a été formulée par l’un de ses plus grands fans, Quentin Tarantino. Cinéphile ayant pour habitude de faire référence à ses maitres dans ses films, le réalisateur a souvent intégré des musiques composées par Morricone pour d’autres – Django Unchained, par exemple, comprend des extraits de thèmes écrits pour Les Cruels (1967) et Sierra Torride (1970). Les deux hommes exprimaient un respect mutuel depuis Kill Bill, puis semblèrent s’être brouillés après que Morricone se soit plaint, devant des étudiants romains, que Tarantino « place la musique dans ses films sans aucune cohérence ». Il faut croire que chacun posa un mouchoir sur son ego. L’affaire s’est nouée au domicile du Maestro, quand Tarantino est venu lui remettre le script des Huit salopards pour lequel il voulait, cette fois, une musique originale. Dans l’idéal, il aurait même travaillé avec le compositeur comme Sergio Leone autrefois : la musique d’abord, les images ensuite. Mais le film, alors, avait déjà été tourné. Et la production exigeait que la BOF soit ficelée sous quatre semaines. Morricone déclina d’abord, en arguant qu’il devait terminer son travail pour Giuseppe Tornatore. Mais le script lui plaisait et il finit par composer vingt-cinq minutes de musique originale et autorisa Tarantino à piocher dans ses archives : voilà comment des enregistrements symphoniques pour The Thing, jamais utilisés par Carpenter qui leur préférait les versions synthétiques, ont été exhumés dans Les Huit salopards qui a valu à Morricone son premier véritable oscar (il avait précédemment reçu un oscar d’honneur). Définitivement réconciliés, les deux hommes ont déjà prévus de retravailler ensemble. De quoi maintenir en forme le Maestro de 87 ans qui expulsa récemment de son appartement un journaliste de Libération, coupable d’avoir posé une question jugée inadéquate, en lui lançant : « Vaffanculo ! »

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