Chronique 

TRIBUNE « France et UE doivent s’opposer aux ingérences chinoises dans la succession du dalaï-lama »

Vincent Metten

Alors que le dalaï-lama célèbre en exil son 85e anniversaire, Pékin a annoncé qu’il prévoyait de nommer autoritairement son successeur. Paris et Bruxelles doivent rejeter ces empiétements sur le bouddhisme tibétain, écrit Vincent Metten, de l’ONG International Campaign for Tibet.

Alors que le dalaï-lama célèbre en exil son 85e anniversaire, le gouvernement chinois a annoncé qu’il prévoyait de nommer autoritairement son successeur, le 15e dalaï-lama, au risque de plonger le Tibet dans des troubles de grande ampleur.

Plusieurs pays ont déjà défendu le droit des Tibétains de choisir leur futur dalaï-lama. La France et l’Union européenne (UE) doivent elles aussi rejeter ces empiétements chinois sur le bouddhisme tibétain, estime Vincent Metten, de l’ONG International Campaign for Tibet. Voici sa tribune.

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Ce 6 juillet 2020, Tenzin Gyatso, le 14e dalaï-lama, fête ses 85 ans. Malheureusement, cette année encore, il ne pourra célébrer cet anniversaire au côté de son peuple dans son palais du Potala à Lhassa, mais devra se contenter de festivités organisées à Dharamsala, dans le nord de l’Inde où il vit en exil depuis plus de 50 ans.

De sa résidence indienne, le chef spirituel tibétain peut pourtant contempler l’imposante chaîne himalayenne qu’il a traversée en mars 1959 pour fuir l’occupation chinoise décidée par Mao Zedong une dizaine d’années plus tôt. Depuis lors, la Chine n’a fait qu’accroître son contrôle et gère le pays d’une main de fer. Le Tibet, aujourd’hui isolé du monde, est devenu une sorte d’état policier où les mesures de surveillance et de contrôle qui y sont développées ont ensuite été répliquées au Xinjiang contre les Ouïgours. La question primordiale qui se pose aujourd’hui est la survie pure et simple de la culture tibétaine, de sa langue et de sa religion.

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Depuis son départ en exil, Pékin n’a jamais autorisé le dalaï-lama à revenir au Tibet, malgré ses demandes répétées, suscitant frustration et souffrance au sein de son peuple qui lui reste très attaché. Pour preuve, plus de 150 Tibétains se sont dramatiquement immolés par le feu depuis 2009 pour s’insurger contre leur manque de libertés et demander le retour de leur chef spirituel. Il s’agit de la plus importante vague d’immolations à caractère politique que la planète ait jamais connue.

Bien que les Tibétains soient réputés non-violents, l’avenir du Tibet sera probablement tumultueux si le gouvernement chinois maintient son cap actuel. Comment réagiront les près de 6 millions de Tibétains de l’U-Tsang, de l’Amdo et du Kham, les trois grandes régions du Tibet, si le dalaï-lama devait s’éteindre en exil, séparé des siens ? Il est certain que sa disparition suscitera une vague d’émotion forte aux conséquences imprévisibles. Un enjeu fondamental qui se jouera à sa disparition sera la question de sa succession. La Chine a en effet annoncé qu’elle prévoyait de nommer son successeur et a édicté différentes règles et mesures officielles pour baliser le terrain.

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Le dalaï-lama est l’une des principales raisons pour lesquelles les Tibétains ont résisté depuis plusieurs décennies contre leurs oppresseurs chinois sans recourir à la violence. Mais après sa disparition, une fois que Pékin aura installé un successeur illégitime, le Tibet risque de sombrer dans des troubles de grande ampleur pouvant entraîner une déstabilisation de toute la région.

Tenzin Gyatso, le 14e dalaï-lama. (Michael Rahn)

Tenzin Gyatso, le 14e dalaï-lama. (Michael Rahn) MICHAEL RAHN

En 1995, les autorités chinoises ont détenu arbitrairement Gedhun Choekyi Nyima, un garçon de 6 ans identifié par le dalaï-lama comme la réincarnation du Panchen Lama, la deuxième figure religieuse la plus importante du bouddhisme tibétain, et a installé son propre candidat à sa place. Ce précédent laisse présager la détermination de Pékin de tenter de contrôler la succession du dalaï-lama.

De son côté, le 14e dalaï-lama, qui a renoncé à son pouvoir politique en 2011, a déclaré que si une décision de maintenir l’institution du dalaï-lama est prise, la responsabilité incombera principalement au Gaden Phodrang Trust. Cette fondation, qu’il a créée en 2015 pour soutenir la tradition et l’institution du dalaï-Lama en ce qui concerne ses devoirs religieux et spirituels, recevra des instructions écrites de sa part. Le dalaï-lama a par le passé répété à plusieurs reprises, au grand dam de Pékin, que s’il devait se réincarner, ce ne serait pas au Tibet sous contrôle chinois mais dans un pays libre, comme l’Inde.

Alors que le dalaï-lama prend de l’âge, il est aujourd’hui primordial que la communauté internationale anticipe ces développements et adopte des postions publiques affirmant que sa succession doit être entièrement gérée par la communauté bouddhiste tibétaine et par les intentions de l’actuel dalaï-lama et par personne d’autre. Aucun gouvernement étranger, en première ligne duquel le gouvernement communiste chinois, ne peut prétendre s’immiscer dans la gestion de sa succession. Il en va du respect des normes internationales relatives aux droits humains et du respect des libertés religieuses, d’ailleurs garanties par l’article 36 de la Constitution chinoise. Laisser faire la Chine reviendrait à légitimer de nouvelles normes plaçant les intérêts d’un parti politique au-dessus de la liberté de religion et de conscience, posant un grave danger pour cette dernière non seulement en Chine mais également dans le reste du monde.

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A ce stade, plusieurs pays sont sortis du bois : les Etats-Unis, suivis par les Pays-Bas, la Belgique et l’Allemagne, ont officiellement déclaré qu’il appartenait à la communauté religieuse tibétaine de choisir son futur dalaï-lama, rejetant ainsi les prétentions chinoises. Il est impératif que d’autres gouvernements, y compris la France et l’Union européenne, suivent cette voie et expriment des décisions similaires. L’UE pourrait franchir une étape supplémentaire et considérer, comme c’est le cas aux Etats-Unis avec la loi Tibetan Policy and Support Act en cours de discussion au Congrès, que tout fonctionnaire du gouvernement chinois impliqué dans l’identification ou l’installation d’un candidat approuvé par le gouvernement comme le futur 15e dalaï-lama, contrairement aux instructions fournies par le 14e dalaï-lama, serait responsable d’une grave violation des droits humains. Cette décision pourrait être assortie d’une série de sanctions, comme par exemple l’interdiction d’accès de ces fonctionnaires au territoire européen ou encore le gel ou la confiscation de leurs avoirs à l’étranger.

Pékin doit comprendre que le dalaï-lama n’est pas le problème du Tibet, mais qu’il en est la solution. Il est un chef spirituel respecté et modéré qui a consacré toute sa vie à la promotion de la compassion, du dialogue entre les cultures et religions, de la paix, de la protection de l’environnement. En cas de désignation d’un successeur, le 15e dalaï-lama aura la lourde responsabilité de poursuivre l’immense tâche de son prédécesseur et d’être une source d’inspiration et d’espoir à la fois pour son peuple et pour le monde.

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