La fronde des guides-conférenciers : “Je n’ai plus aucune perspective de travail jusqu’en 2021”

Ils sont salariés en CDD, en CDD-U, autoentrepreneurs, travaillent toute l’année ou de façon saisonnière… Déjà étranglés par la crise du Covid-19, les guides-conférenciers s’alarment pour leur avenir en l’absence de touristes étrangers. À l’occasion de la réouverture du Louvre, le 6 juillet, deux cents d’entre eux sont venus manifester aux abords de la pyramide.

Par Charlotte Fauve

Publié le 07 juillet 2020 à 12h15

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 00h18

Matinée du 6 juillet. Après quatre mois de fermeture, le Louvre rouvre enfin. Une file d’attente clairsemée patiente sous la pyramide. Mais, derrière la structure de verre et de métal, ils sont deux cents, alignés sur toute l’étendue de la cour Napoléon, à brandir un portrait de la Joconde, sous un masque chirurgical barré d’une croix. Tout un symbole pour une profession, guide-conférencier, qui a choisi d’alerter les pouvoirs publics en silence, derrière le sourire de Mona Lisa. « La crise du Covid-19 a eu des conséquences effrayantes pour nous, s’exclame Hilda Biancardi. Du jour au lendemain, nous nous retrouvons au bord de la misère et le gouvernement ne fait rien. »

Comme elle, environ 4 000 guides-conférenciers sont actuellement en exercice en France. Avec 40 % de salariés et 60 % d’autoentrepreneurs, selon une estimation de la Fédération nationale des guides-interprètes et conférenciers, l’appellation cache une myriade de situations diverses pour un métier qui, depuis 2014, est sorti du statut d’intermittence pour intégrer le régime général. « Le problème, c’est que Pôle Emploi se moque que l’on fasse visiter le Lido jusqu’à une heure du matin, s’insurge Hilda Biancardi. Lorsque l’on travaille sept jours d’affilée par exemple, il ne nous en compte que cinq, d’où une indemnisation peu en rapport avec la réalité de notre activité. »

La plupart des guides-conférenciers travaillent de façon saisonnière, enchaînant CDD ou CDD-U (CDD d’usage) avec un pic d’activité entre mars et novembre. Ainsi, Stéphanie Mirey, guide-chauffeure, ne touche plus aucune aide depuis le mois de juin. « J’ai enchaîné la basse saison avec le coronavirus, résume-t-elle, ce qui fait que j’ai mangé toutes mes heures d’un coup. Là, la saison devrait redémarrer pour moi mais ma clientèle étant à 90 % américaine, je n’ai plus aucune perspective de travail jusqu’à l’année prochaine. » Seule solution pour la jeune femme, vendre son appartement et retourner vivre auprès de ses parents.

Demande de prolongation du fonds de solidarité

Plus rien, zéro chiffre d’affaires aussi pour Inès Du Tertre, dont la dernière visite ironiquement, était ici, au musée du Louvre. « Le 17 mars précisément, avec un petit groupe de New-Yorkais. » À l’image de nombreux autres jeunes guides, elle s’est vue imposer un statut d’autoentrepreneur par ses employeurs. Et se retrouve donc suspendue au fonds de solidarité mis en place pour les indépendants, qu’elle s’inquiète de ne voir se prolonger après l’hiver 2020…« avant le retour des premiers touristes, » déplore-t-elle.

D’où ce « happenning » qui fait suite à une série d’événements organisés dans toute la France, du palais des Papes, à Avignon, au Mont-Saint-Michel, afin d’obtenir « que les guides salariés puissent recharger leurs droits au chômage et que les guides autoentrepreneurs puissent profiter du fonds de solidarité jusqu'en mai 2021 », conclut Janice Baneux.

Autour d’elle, la dizaine de femmes qui représentent le « marché Asie », de la Chine au Japon en passant par l’Inde, désespèrent. Pour elles, il faut tenir bien au-delà de la réouverture des frontières. « Avant, nous étions les premiers visages que découvraient les touristes étrangers mais aujourd’hui c’est comme si nous n’existions plus… Les vols sont hors de prix, certains voyageurs doivent observer une quatorzaine, et dans mon cas, je ferais tout aussi bien de changer de métier puisque selon le Japan Travel Bureau, seuls 4 % des Japonais seraient de nouveau prêts à voyager à l’étranger », regrette la guide franco-japonaise Camille Perrière.

Japonais, retraités, même problème, pour Pierre-Alain Mallet dont les « associations de seniors actifs » faisaient il y a peu le gros de l’activité. « Comme c’est un public à risque, les voyages organisés ne sont pas près de reprendre… » Maigre consolation : « J’exerce ce métier depuis vingt ans et c’est plutôt en solitaire, conclut-il. Cette manifestation est une première, je découvre que je fais partie d’une profession. » Stéphanie, elle, en a profité pour aller faire quelques pas dans les salles du Louvre. Comme au bon vieux temps. Mais sans aucun touriste derrière elle.

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