Le langage, cet "acte doté de conséquences" : épisode • 2/5 du podcast Avoir raison avec...Toni Morrison

 De "Beloved" au "Chant de Salomon", de "Sula" à "Délivrances", l'écrivaine Toni Morrison a fait paraître onze romans ©Getty -  Daniel Boczarski
De "Beloved" au "Chant de Salomon", de "Sula" à "Délivrances", l'écrivaine Toni Morrison a fait paraître onze romans ©Getty - Daniel Boczarski
De "Beloved" au "Chant de Salomon", de "Sula" à "Délivrances", l'écrivaine Toni Morrison a fait paraître onze romans ©Getty - Daniel Boczarski
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Aujourd'hui, nous nous penchons sur les mots et sur l'usage que Toni Morrison cherchait à en faire, elle qui déclarait, lors de son discours à Stockholm en 1993, considérer le langage tout à la fois comme un "système", une "matière vivante" et un "acte doté de conséquences".

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En 1993, devant l’Académie suédoise qui venait de lui décerner le prix Nobel de littérature, Toni Morrison a prononcé un discours dans lequel elle met en scène une vieille femme aveugle mais sage, fille d’esclaves, noire, américaine, qui vit seule dans une petite maison à l’écart de la ville, à qui un jour des jeunes gens apportent un oiseau et lui demandent s’il est vivant ou mort. L’oiseau était la métaphore du langage et la femme un écrivain expérimenté… 

Ce discours de Stockholm, puissant, complexe, profond, publié en français par les éditions Christian Bourgois, met en avant le pouvoir de la langue, cette langue si importante pour la romancière, qui disait souvent : « On me demande d'être la conscience morale de l'Amérique parce qu'il y a le prix Nobel. Mais la conscience morale vous dit une chose : lisez », parce que pour elle, c’est le langage qui est politique. En quoi ? Et comment, par cette écriture si singulière, est-elle parvenue à son but, se défaire du regard blanc et du « langage du maître » ? Entretien avec deux des traducteurs de Toni Morrison, Jean Guiloineau et Christine Laferrière.

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Toni Morrison a dit a un jour : "Serais-je autorisée enfin à écrire sur les noirs sans avoir à dire qu'ils sont noirs, comme les blancs écrivent sur les blancs sans dire qu'ils sont blancs". Il y a ce "ghetto" dans l'esprit des autres, ceux qui considèrent Toni Morrison comme une écrivaine noire, alors qu'elle est d'abord et avant tout une écrivaine.  Jean Guiloineau.

Elle a su utiliser du pouvoir du langage comme elle a su user de sa puissance d'écrivain. Elle a joué à inverser les codes en rendant un grand hommage à l'intelligence du lecteur, puisqu'elle réussissait à faire en sorte que le lecture participe dès le début de la lecture, pendant et après. Christine Laferrière

Lorsque Paradise a été censuré en 1995, parce qu'il était considéré comme une incitation à l'émeute, elle n'en revenait pas. C'était la sidération totale : on considérait que ce livre était à ce point dangereux qu'il était susceptible de créer des troubles à l'ordre public, alors qu'elle n'avait fait que dire la vérité. Elle ne s'attendait pas à ce qu'un roman publié aux Etats-Unis en 1995 soit ainsi censuré pour des raisons raciales. Christine Laferrière.

J'avais été frappé par le fait que, dans le titre de son premier roman, L'oeil le plus bleu, l'"oeil" soit au singulier. Alors que la petite fille du livre rêve d'avoir les yeux bleus. Lorsque je lui ai demandé pourquoi, je me souviens qu'elle a ouvert très grands les yeux et m'a dit : "the stare", le regard. Donc l'oeil ne renvoie pas au globe oculaire, mais au regard.  Jean Guiloineau

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