Lakshmi Balachandra, professeure assistant en entrepreneuriat à Babson College.

Lakshmi Balachandra, professeure assistant en entrepreneuriat à Babson College.

SDP

2,8%, c'est le montant alloué aux femmes entrepreneurs porteuses de projets innovants par les investisseurs financiers aux États-Unis. En Europe, les chiffres sont plus flous et moins "catastrophiques", sans pour autant être "prometteurs" : selon le rapport du fonds d'investissement Atomico, 8% des fonds investis iraient aux équipes féminines. Le baromètre Start-Her 2019 évoquait le chiffre de 2,2% pour la France, le baromètre BCG-Sista parlait même d'une moyenne de 2% sur les dix dernières années...

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Pour y remédier, l'association Sista, qui vient très récemment de mutualiser ses énergies avec Start'her, compte sur sa charte, lancée à l'automne dernier et qui aurait été signée, en juin 2020, par 56 investisseurs. Pour autant cela peut-il suffire à faire bouger les lignes ?

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Deux études récentes apportent un début de réponse. La première est le rapport publié début juillet 2020 par la Banque européenne d'investissement (1). Il propose notamment une comparaison chiffrée entre l'Union Européenne, les États-Unis et d'autres pays, dont Israël. Il esquisse aussi des recommandations qui reposent sur un travail conjoint entre le politique, sensé avoir le plus d'impact, les fonds d'investissement, les mentors, les accompagnateurs et enfin, l'opinion publique. Il suggère aussi de soutenir financièrement les fonds qui sont "gender conscients" et d'accompagner les autres pour les aider à prendre conscience de la discrimination qu'ils opèrent envers les femmes.

La seconde étude, publiée en juin dernier, est signée Lakshmi Balachandra. Cette diplômée du MIT et professeure assistant au Babson College de Boston pose un triple regard sur les raisons pour lesquelles les femmes ne parviennent pas à lever plus de fonds : première femme à intégrer le fond d'investissement qui l'a embauchée à la sortie de ses études, elle est aussi la fondatrice d'un fond d'investissement dédié aux femmes, et donc indirectement une entrepreneure, et enfin chercheuse spécialisée en entrepreneuriat féminin !

Un idéal d'"entrepreneur à succès"

Son récent article, "How gender biases drive venture capital decision-making: exploring the gender funding gap" (2) a été présenté avant publication à différents politiques, dont l'équivalent du ministre des finances de l'État de Virginie lors d'une conférence organisée pour trouver des solutions afin d'augmenter ce fameux taux de 2,8% de fonds attribué aux femmes. La conclusion de Lakshmi Balachandra est sans équivoque. Selon elle, depuis plus de vingt ans "rien ne change" et "les choses n'ont aucune raison de changer" !

Se fondant tout d'abord sur l'analyse des résultats des compétitions que le MIT organise pour faire se rencontrer des entrepreneurs prometteurs et des investisseurs qui financeront leurs projets, elle montre que les investisseurs possèdent une image mentale bien particulière de l'entrepreneur à succès : "Un jeune garçon, blanc, très sûr de lui, qui a le sens du contact", explique-t-elle.

Sur les 186 projets "pitchés" qu'elle a pu analyser, seuls 30% étaient portés par des femmes et aucun in fine n'a été retenu. A contrario, tous les candidats qui remplissent les caractéristiques de "l'idéal" voient leur projet retenu, "quel que soit le projet, en considérant qu'ils sont tous fondés sur des études de marché, des projections... bref, tout ce que l'on attend d'un bon projet... sauf que le bon projet est celui qui contient aussi de bons chiffres. Or, comme on le sait, ces derniers sont surévalués par excès de confiance !", explique la chercheuse.

La discrimination porte sur les femmes... pas sur le type d'activité

La chercheuse du MIT s'est heurtée dans ses travaux à la pénurie de projets portés par des femmes : "Il n'y avait pas assez de femmes qui postulaient à des levées de fond. Impossible de mener une étude : il n'y avait même pas de données !!!", dit-elle. Lakshmi Balachandra a donc procédé à une expérimentation à laquelle elle a convié des investisseurs. Pour ce faire, elle a créé deux entreprises fictives mais crédibles et surtout potentiellement génératrices de croissance, du moins si on en croit les études de marché. La première exploite un brevet pour détecter un type de cancer (qui n'est pas un cancer "féminin") tandis que la seconde développe une activité perçue comme plus "féminine", celle de la décoration d'intérieur.

La chercheuse associe ces entreprises à des fondateurs fictifs qui se ressemblent en tous points et soumet donc quatre dossiers à des investisseurs : un dossier relatif à une entreprise de décoration portée par une femme, un dossier relatif à une entreprise de décoration portée par un homme, un dossier relatif à une entreprise de détection du cancer portée par une femme et, enfin, un dossier relatif à une entreprise de détection du cancer, portée par un homme. Par cette expérimentation, elle a montré que les investisseurs ne discriminent pas le genre de l'activité mais bien le sexe de la personne en tant que porteur du projet.

Aucune raison de changer les choses

La solution souvent avancée serait de féminiser la population des investisseurs. "Effectivement, c'est une piste, reconnait Lakshmi Balachandra, mais en tant qu'investisseur, j'avais, moi aussi, cette représentation de l'entrepreneur à succès, soit un homme, jeune, blanc, sûr de lui et au contact facile". En clair, les femmes, imprégnées comme les hommes de stéréotypes inconscients, peuvent aussi discriminer les porteuses de projet.

In fine, Lakshmi Balachandra explique que ses résultats de recherche récents sont à peu près similaires aux observations qu'elle a pu faire dans le passé en tant qu'investisseur : "J'ai été propriétaire d'un fond d'investissement dédié aux femmes et parmi les 200 personnes dans une pièce, aujourd'hui comme hier, très peu de femmes sont présentes. Comme il y a beaucoup de monde et de projets intéressants, il n'y a aucune raison que les investisseurs cherchent à changer de mentalité et de représentations !"

Aussi, pour la chercheuse, la solution n'est pas tant dans l'engagement des investisseurs à accepter sur le papier plus de projets portés par des femmes que dans la mise en oeuvre d'une obligation à diversifier le portefeuille d'investissements. "Cette obligation ne peut venir que des acteurs politiques", conclut-elle.

(1) Fackelmann, S., De Concini, A., & Dustdar, S. (2020). Why are women entrepreneurs missing out on funding?: Reflections and considerations. European Investment Bank

(2) Balachandra, L. (2020). How gender biases drive venture capital decision-making: exploring the gender funding gap. Gender in Management: An International Journal.

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