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ReportageDéchets nucléaires

En Allemagne, le militant Loïc Schneider condamné à trois ans de prison

Vendredi 10 juillet s’est tenu le procès de Loïc Schneider, un militant poursuivi pour des dégradations survenues lors des manifestations contre le G20 à Hambourg, en 2017. Il a été condamné à trois ans de prison ferme, mais a fait appel et reste libre jusqu’au nouveau procès.

  • Actualisation samedi 11 juillet à 12 h 15 - Loïc Schneider reste libre et n’est pas en prison, indique son blog La neige sur Hambourg. Les 16 mois de prison qu’il a déjà effectué sont à déduire de cette peine et il est commun en Allemagne de n’effectuer que les deux tiers d’une peine lors de la première incarcération. Loïc devrait donc théoriquement retourner en prison pour une durée de huit mois. Mais ses avocats ont décidé de faire appel et sont convaincus que le procureur en fera autant dans les heures qui viennent. Cet appel étant suspensif, il restera libre jusqu’à ce second jugement qui ne devrait pas intervenir avant un an. D’ici là, aucun contrôle judiciaire ne lui est imposé, il peut donc quitter Hambourg et aller où bon lui semble.

  • Actualisation vendredi 10 juillet à 12 h 45 — Loïc Schneider a été condamné ce matin par le tribunal régional de Hambourg à une peine de prison de trois ans. Les quatre coaccusés ont été condamnés à des peines, pour l’un d’un an et cinq mois de prison avec sursis, pour un autre d’un an et trois mois de prison avec sursis, et pour les deux autres de 20 missions de six heures chacun pour atteinte à la paix publique.

Les cinq hommes poursuivis faisaient partie des quelque 220 personnes portant des cagoules noires qui ont mis le feu à des voitures et à des bâtiments sur l’Elbchaussee le matin du 7 juillet 2017, brisant de nombreuses vitres et maculant les maisons de peinture.

Voici ce qu’il y a quelques mois Loïc Schneider avait écrit : « Après un an et quatre mois d’enfermement, comment assembler les mots ? Comment connecter la réalité carcérale à la zone du dehors, briser le mur qui le sépare ? En prison, je me suis effacé, je n’ai plus pensé à moi. J’ai fait le vide afin de ne pas souffrir. Je me suis également fermé à mes souvenirs, à ce qui se passe au-delà de ces murs afin de me concentrer sur cette nouvelle vie avec les autres détenus. Ce fut une des raisons pour laquelle j’ai eu peu de forces pour répondre aux nombreuses lettres reçues. Aujourd’hui, je remarque que je ne ressens plus grand chose, que je n’ai plus de passion (si ce n’est la neige). Il y a un vide. Mon esprit est ailleurs. Une nouvelle conception de temps m’habite, j’ai des moments de contemplations, de silences, d’absences. »

-  Sources : Die Welt et pour le texte de Loïc Schneider, Lundi matin


-  Article original vendredi 10 juillet à 10 h

En Allemagne, procès extrême contre un antinucléaire poète et maraîcher

  • Hambourg (Allemagne), reportage

« Demain, c’est mon dernier jour de travail. Après le procès, j’aimerais bien vivre à la campagne. » Entre deux pelletés de terre, Loïc Schneider n’arrive pas à réaliser qu’il vit peut-être ses derniers jours de liberté, fût-elle conditionnelle. Ce grand gaillard de 24 ans se ressaisit. « Enfin, la campagne... Si je ne retourne pas en prison... » Ce vendredi 10 juillet, il risque une remise en détention directe à la fin de son procès qui se tient au bâtiment de la justice pénale du tribunal d’instance de Hambourg, au nord de l’Allemagne.

Nous l’avons rencontré lundi au milieu d’immenses bâtisses d’un quartier résidentiel du nord de la ville. Depuis décembre 2019, il est en liberté conditionnelle, bloqué dans cette métropole portuaire internationale et tentaculaire qui le sépare de près de 800 kilomètres de ses proches. Il travaille deux jours par semaine comme ouvrier et jardinier pour une auto-entrepreneuse. « C’était l’une des conditions requises par le tribunal pour ne pas retourner en prison. J’imagine que, pour eux, ce doit être une preuve que je suis bien intégré », rigole-t-il, les mains dans la terre, avant de poser les dalles de la terrasse qu’il construit devant la demeure d’une vieille dame.

Loïc Schneider, 24 ans, est en liberté conditionnelle depuis décembre 2019, bloqué à Hambourg, à près de 800 kilomètres de ses proches.

Le 22 juin dernier, le procureur a requis une peine de prison de quatre ans et neuf mois à son encontre pour des faits de « dégradations de biens en réunion, attaque de personnes avec un outil dangereux, incendie de véhicules, agression d’un policier et port d’armes », survenus au cours des manifestations contre la tenue du G20 à Hambourg les 7 et 8 juillet 2017. Les quatre autres prévenus du « procès du G20 » qui s’est étalé sur près de 70 audiences en un an et demi, la plupart à huis clos, encourent entre deux et trois ans de prison. Sur les 146 personnes condamnées à la suite de leur participation au G20 [1], Loïc a subi la peine de prison la plus longue. Ce maraîcher de formation a déjà passé seize mois au centre de détention de la ville hôte du sommet des principales puissances économiques mondiales.

Le procureur veut rendre responsable les cinq prévenus de l’ensemble des dégâts survenus le 7 juillet 2017

« J’ai rencontré Loïc via un groupe de solidarité pour les prisonniers », raconte la cheffe de Loïc. Était-elle au courant de sa situation ? « Ç’aurait été difficile de ne pas l’être ! » répond-elle dans un grand sourire. La vieille dame apporte le café. Elle, en revanche, n’est pas au courant. Loïc n’a pas trop intérêt à s’épancher sur ce sujet. « Autant en France on n’en parle pas, autant en Allemagne c’est un procès très politique et médiatique. La presse nous associe à des terroristes. » Le procureur, lui, a affirmé lors du procès que le contre-sommet du G20 « n’était pas une manifestation. La seule chose qui a été démontrée ici était une volonté de recourir à la violence et une rage destructrice ».

Il travaille deux jours par semaine, « une des conditions requises pour ne pas retourner en prison ».

Il est 17 heures. Toutes les dalles de la terrasse de la vieille dame sont désormais posées. Pour rentrer chez lui, trois quarts d’heure de trajet attendent Loïc. Il enfile son gilet orange, enfourche son vélo. « Il pèse neuf kilos ! lance-t-il fièrement. Dans le commerce, un vélo de course comme celui-là coûte au moins 1.200 euros ! » Ce sont les quatre autres prévenus du procès du G20 qui l’ont fabriqué, pièce par pièce, et offert à Loïc en cadeau. « Normalement, dit-il, on n’avait pas le droit de se parler avant le procès. Mais on s’est croisé par hasard en balade dans la cour de la prison... Ils sont d’origine kurde. Au G20, ils étaient venus manifester contre Erdogan, le président turc, qui a torturé leurs parents. »

Âgés de 19 à 25 ans, ils encourent deux à trois ans de prison ferme. « Juste pour avoir marché en manif... précise Loïc. Et moi, je risque un an et neuf mois supplémentaire pour avoir jeté deux bouteilles de bière vides vers des policiers – sans les atteindre – et deux pierres sur un canon à eau blindé qui venait d’arroser une vieille dame que j’aidais à traverser. » Chaque fois, des vidéos prouvent ses dires. Le procureur l’accuse aussi d’avoir jeté un pétard dans une banque. « Il a cru reconnaître ma ’’façon de marcher’’ sur une vidéo. C’est tout ce qu’il a comme preuve... »

Le « procès du G20 » a ceci de particulier que le procureur veut rendre responsable les cinq prévenus de l’ensemble des dégâts – estimés à au moins un million d’euros – survenus le 7 juillet 2017 au cours de la manifestation sur l’Elbechaussée, l’une des artères les plus huppées de la ville, où les villas côtoient les demeures seigneuriales. Ils ne sont pas accusés d’avoir brûlé des voitures ou brisé des vitres : ils sont accusés d’avoir apporté, par leur seule présence, un « soutien psychologique » à l’infime partie des 220 manifestants qui ont brûlé des voitures, brisé des vitres, etc. Sur les cinq prévenus, un seul est accusé d’avoir commis un crime : Loïc, pour le pétard qu’il dément avoir lancé dans une banque...

Les quatre autres prévenus du procès du G20 ont fabriqué et offert un vélo à Loïc.

Sa tignasse ébouriffée, sous l’effet du vent, est plaquée en arrière. Loïc dévale maintenant les artères de la deuxième plus grande ville d’Allemagne à plein pot, frisant les 35, voire 40 km/h sur son vélo. Il avait à peu près 19 ans la première fois que nous l’avons croisé sur notre route, à Nancy, en Lorraine, où il est né. En vélo déjà. Et c’est en vélo aussi qu’il a failli rejoindre la ZAD de Notre-Dame-des-Landes pour la première fois – si sa chaîne n’avait pas lâché au 400e kilomètre – en s’avalant les pavés de Tolstoï ou de Henry David Thoreau [2] sur la route.

Sous le coup d’un mandat d’arrêt européen, Loïc avait choisi de cultiver fruits et légumes à Notre-Dame-des-Landes

Loïc était alors un peu moins pâle, un peu moins sec. Il avait six procès en moins et quelques kilos en plus. Il n’avait jamais connu la solitude et la violence de la prison, enfermé 23 heures sur 24 dans une cellule de deux mètres sur trois. Son premier procès remonte à novembre 2015. Il était parvenu, avec deux autres personnes, à bloquer, quelques minutes à peine, les sites Internet de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), de Cigéo, du conseil général de Meuse ou encore du conseil régional de Lorraine. Loïc dénonçait le gaspillage d’argent public et le déni de démocratie liés au projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, en Meuse. Il avait été condamné à quatre mois de prison avec sursis et 5.000 euros de dédommagement collectif. Il était Anonymous.

Poète aussi. Il avait publié un recueil de vers dans une maison d’édition de Nancy. Désormais, ce sont ses amis, réunis en comité de soutien, qui publient ses textes sur un blog qui lui est dédié. Plus récemment, il est retourné à Notre-Dame-des-Landes durant les trois mois où la police le cherchait partout pour le remettre aux autorités allemandes, afin qu’il soit jugé pour sa participation au G20 de Hambourg. Alors que, depuis mai 2018, un mandat d’arrêt européen était émis contre lui, Loïc avait choisi la cavale. En réalité, il cavalait moins qu’il ne cultivait – des melons, haricots, concombres, courgettes sur des terres abandonnées. « Je me trouvais dans l’un des seuls endroits en France où la police n’intervenait pas, se souvient-il. Je continuais d’appeler mes proches, alors que je savais que j’étais recherché et mis sur écoute. »

Juillet 2020. Loïc termine la terrasse dans la propriété privée d’une vieille dame.

Loïc choisit tout de même de rentrer à Nancy pour son anniversaire en août 2018. Il passe quatre jours tranquillement chez lui avant d’être arrêté sous les yeux de sa petite sœur, mise genoux à terre, mains sur la tête, au terme d’une course poursuite épique en chaussettes qui s’est terminée dans le garage de son voisin [3]. « On allait préparer une grosse opération pour venir te chercher à Notre-Dame-des-Landes. Mais finalement t’es venu à nous », lui auraient glissé les policiers.

Parmi les policiers, gendarmes, agents de la brigade anti-criminalité (BAC), il reconnaît certains membres des forces de l’ordre avec qui il a eu affaire quelques mois plus tôt, en février 2017, pour sa participation à l’action de dégradation des grilles qui entourent l’écothèque de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) à Bure. « Nous assumons le sabotage face au désastre nucléaire, clamait-il alors devant le tribunal. Que valent quelques grilles tombées face au risque d’une contamination radioactive et la destruction complète d’un territoire ? »

Loïc, le 18 février 2017, juste avant son arrestation lors de l’opération qui a fait tomber les grilles entourant l’écothèque de l’Andra.

À la suite du G20, le gouvernement a créé une commission d’enquête spéciale, le Soko Schwarzer Block, pour retrouver les émeutiers du G20 dans toute l’Europe. La police de Hambourg a multiplié les avis de recherches et lancé avec les procureurs « la plus grande enquête publique de l’histoire de la République fédérale », comme on peut l’entendre dans le documentaire La Violence noire, diffusé en mai 2018 sur la première chaîne de télévision généraliste publique fédérale allemande.

« Au cours de mon procès, j’ai appris qu’il y avait à peu près 80 gigaoctets de vidéos rien que sur moi »

Les policiers disposent d’une base de vidéos de plus de sept téraoctets. Pour retrouver les photos relatives à un même « suspect », ils sont aidés de logiciels de reconnaissance faciale assistée par ordinateur ou de stockage de données biométriques. « Au cours de mon procès, j’ai appris qu’il y avait à peu près 80 gigaoctets de vidéos rien que sur moi », témoigne Loïc.

Sur un site Internet, le Soko Schwarzer Block a publié les photos de dizaines de manifestants provenant de caméras de vidéo-surveillance, des téléphones portables de personnes qui ont répondu à l’appel à témoins ou même de rushs de journalistes. Et cet appel à délation a été suivi de nombreuses perquisitions et arrestations menées en France, Espagne, Italie et Suisse.

Un appel à délation organisé par le Soko Schwarzer Block, à l’attention des médias allemands, pour retrouver les émeutiers du G20 dans toute l’Europe — Loïc est à droite.

« Une rencontre a eu lieu entre les gendarmes de Bure et Commercy et les policiers venus de Hambourg avant mon arrestation, assure Loïc. Dans un dossier versé au tribunal en cours de procès, le commandant à la tête de la compagnie de gendarmerie de Commercy leur a dit que c’est bien moi qu’ils cherchaient. » De là à dire qu’il y a un lien entre la lourdeur de la peine de prison requise contre lui et son passif de militant anarchiste antinucléaire... « Non, refuse-t-il d’emblée. Ça a pu jouer, mais ils m’auraient probablement arrêté même si je ne militais pas à Bure : ils l’ont bien fait pour d’autres personnes en Suisse. Je pense que leur intérêt est de criminaliser la lutte à Bure en m’accusant d’actes effrayants et en démontrant qu’il y a des des réseaux structurés de ’’militants professionnels’’. »

« La manifestation contre le G20 venait à peine de commencer quand la police a chargé »

Nous retrouvons Loïc à l’Hafenstraße, cette rue du fameux quartier Sankt Pauli, bastion du mouvement autonome et anarchiste de Hambourg. C’est là qu’a eu lieu l’une des premières manifestations anti-G20, baptisée « Welcome to hell », qui rassemblait 10.000 personnes. Loïc pointe du doigt le mur de deux mètres de haut parallèle à la route et surmonté par une promenade piétonne. « La manifestation venait à peine de commencer quand la police a chargé, dit-il. On m’avait beaucoup parlé de la stratégie de la désescalade de la police allemande... Et là je vois des gens escalader un mur pour éviter de se faire défoncer le crâne par les matraques de la police. Dès le début, il y avait cette volonté de ne pas laisser s’exprimer les manifestants. »

Capture d’écran issue d’une compilation de violences policières lors du contre G20 montée par Loïc.

Pour le Sénat allemand, il semblerait que les violences policières aient toutes été justifiées, révèle le quotidien alternatif Taz. Sur les 150 procédures d’enquête menées par le parquet à l’encontre des policiers, 120 sont déjà closes. Aucune n’a débouché sur une accusation. Pour l’instant, la seule violence policière qui ait été condamnée – à une amende de 3.200 euros – est celle commise par... un policier en civil présent en manifestation. La victime – son collègue donc – aurait subi des douleurs suite à un étirement au niveau du ligament de l’auriculaire. Quant aux 797 policiers qui ont signalé des blessures lors de la manifestation du G20, ils ont tous été autorisés à prendre des vacances à la plage financées par des dons.

Loïc aussi rêve de plage, cet été, avec ses parents, ses sœurs. Or, s’il venait à être libéré à l’issue de son audience, ce vendredi, deux autres procédures en appel l’attendent à sa sortie de Hambourg pour ses précédentes actions. Et là aussi, de la prison ferme est requise... « Lorsqu’ils m’ont arrêté chez mes parents, se rappelle Loïc, les gendarmes de Bure m’ont dit que le procès sur le G20 va bien les servir à salir mon image. Et ils sous-entendent que, dès qu’ils en auront fini avec Hambourg, je les reverrai pour Bure. »

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