« Les communautarismes portent en eux une brutalité sans limites »

TRIBUNE. Éric Delbecque, expert en sécurité intérieure, fustige notre aveuglement face à la montée de l'ensauvagement quotidien.

É​​​​​​​ric Delbecque*

Marche blanche à Bayonne à la suite de la mort de Philippe Monguillot, conducteur de bus. Il a été victime d'une agression d'une extrême violence.
Marche blanche à Bayonne à la suite de la mort de Philippe Monguillot, conducteur de bus. Il a été victime d'une agression d'une extrême violence. © Jerome Gilles / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Temps de lecture : 4 min

Nous vivons dans une réalité totalement schizophrène. D'un côté, un climat idéologique de plus en plus pesant s'acharne à vouloir nous faire croire que nous sommes des victimes en puissance, des dominés, des preuves ambulantes d'une injustice quelconque, peu importe laquelle. Bien évidemment, pour qu'il existe des opprimés, il faut des « méchants », des bourreaux, des oppresseurs. Les activistes de tout poil – au sens propre parfois, au sens figuré en permanence – canardent donc l'État, le gouvernement et les forces de sécurité en poussant des cris d'orfraie lorsque les pouvoirs publics font leur travail : maintenir l'ordre public, condition élémentaire du système démocratique.

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De l'autre, le constat alarmant, chaque jour plus évident, d'un ensauvagement du quotidien. La preuve nous en est fournie, une fois de plus, par deux drames déchirant la banalité de l'existence ordinaire. Un chauffeur de bus à Bayonne, Philippe Monguillot, perd la vie parce qu'il a voulu faire respecter la loi, parce qu'il a manifesté son choix d'une citoyenneté responsable. Peu de temps auparavant, une jeune gendarme de 25 ans, Mélanie Lemée, meurt sur un barrage routier, à Port-Sainte-Marie, fauchée mortellement par un automobiliste voulant échapper à un contrôle. Visiblement parce qu'il transportait de la drogue et qu'il circulait sans permis de conduire. En résumé, de petits délinquants décidèrent dans les deux cas de marcher sur les lois de la République.

Lire aussi Delbecque : « Désarmer les forces de l'ordre, c'est désarmer la République »

On nous expliquera une nouvelle fois que les criminels ne sont pas vraiment des criminels, et que la « société » ou les institutions devraient occuper la place des accusés. On connaît la chanson du « oui mais »… Cette pratique est usée parce qu'elle se révèle terriblement malhonnête intellectuellement. La raison ? Le but de tous ceux qui tentent de minimiser les responsabilités individuelles consiste à négocier la loi : c'est l'extension du domaine de la jungle, au détriment de l'État de droit. La justice dispose des instruments nécessaires pour faire preuve de discernement et proportionner les peines. Elle peut notamment évaluer des circonstances atténuantes (ou, à défaut, aggravantes). La chaîne pénale sait faire preuve de nuance. Ce que nous vivons depuis des années doit se lire dans un tout autre schéma d'explication que celui, désormais absurde, d'une « répression aveugle ». Chez les défenseurs des incivilités, des délits et des crimes endeuillant le social régulièrement, il s'agit d'obtenir une loi « molle », une application à géométrie variable, en fonction de tel ou tel communautarisme, de tel ou tel activisme de rue ou médiatique, de telle ou telle théorie abusivement partiale du moment (le « privilège blanc » ou la légitimité de la violence anticapitaliste).

Utopie

Au fond de ces drames, la véritable question qui se pose est celle du rapport à la règle partagée, à la conception de ce que doit être la res publica, la chose commune. Pour les plus cohérents avec eux-mêmes, l'utopie serait par conséquent un monde où l'on examinerait le crime en fonction de son auteur, où toute sanction serait discutable selon le potentiel de nuisance que l'on représente. La loi immémoriale de la horde, en somme. Relire Pierre Clastres nous éclairerait sans aucun doute (et René Girard aussi, en particulier ce qu'il nous a appris sur la « violence mimétique ») : son Archéologie de la violence en tête. Il y décrit fort lumineusement les petites communautés closes, agressives, portées à faire la guerre à ce qui ne leur ressemble pas. Tout communautarisme (ethnique ou nationaliste, idéologique ou religieux, corporatiste ou criminel) porte en ses flancs une brutalité sans limites. C'est cela qui dévore la civilité, qui affaiblit à chaque instant la démocratie.

Le "monopole de la violence physique légitime" détenu par les pouvoirs publics permet de ne pas régresser vers l'état de nature.

Que faire ? Avant même de se poser la question des moyens à mettre en œuvre, d'abord faire progresser de nouveau l'idée que la loi protège les libertés individuelles et la sécurité des corps, la vie des êtres humains… Mais également qu'elle implique que l'on ne se rebelle pas contre les forces de l'ordre dans un régime démocratique (certes imparfait, tout en constituant cependant une chance pour ses citoyens) et que le « monopole de la violence physique légitime » détenu par les pouvoirs publics permet de ne pas régresser vers l'état de nature. Les brutes sont des brutes, pas des victimes.

Lire aussi Comment la haine de la police soude l'ultragauche

N'importe quelle femme, n'importe quel homme, a le droit de contester, discuter, lutter pour ses convictions ou même ses intérêts. En revanche, dès qu'un individu choisit la violence pour s'imposer face aux décisions nées du vote, dès qu'il tente de s'exonérer des normes minimales de la vie en société, il mérite la rigueur, rationnelle et non vengeresse, du Code pénal. Refuser ce raisonnement, ce n'est pas choisir la liberté, c'est militer pour la barbarie.

*Éric Delbecque est expert en sécurité intérieure, auteur des Ingouvernables (Grasset)

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Commentaires (76)

  • Statler&Waldorf

    En ce moment les événements de Vienne en Isère, (pas en Autriche ou en Chine info pour les nouveaux journalistes) montrent bien que les turcs, les arméniens et les zôtres "communautaristes" ne sont pas racistes comme tous les "sales riches français" kizaimepas les pôvres issus d'un monde qui a trop souffert. Vivement la fin des consfinalement pour aller faire le pantin jaune sur les ronds-points pour enrichir la Fronze. Votez merluchon en 2022 pour un monde meilleur.

  • Statler&Waldorf

    Nous sommes en train de payer pour la lâcheté et les mensonges de nos politiques élus par des bisounours. C'est bien ! N'ayez pas peur de l'avenir, c'est celui que vous avez choisi.

  • Djill

    Excellent bouquin de Laurent Obertone qui préfigurait ce que l'on vit aujourd'hui.

    On ne compte plus les assassinats soit par armes blanches soit en fonçant sur les gens avec des véhicules, soit en les écrasant, soit en les rouant de coups à plusieurs, ou à coups de batte de baseball.
    Bref, la France est un véritable coupe-gorge où l’on risque sa vie en regardant quelqu’un de travers, ou en lui demandant de mettre son masque ou pour n’importe quelle autre broutille.