L'écrivain juif hongrois Imre Kertész a transformé son témoignage de la déportation en fiction, car selon lui, le vocabulaire ne peut rendre compte de la folie qu'il y a connue. Plongée dans une oeuvre clairvoyante et pessimiste, qui lui a valu le Prix Nobel de littérature en 2002.
- Clara Royer Maître de conférence en cultures d'Europe centrale à Sorbonne Université (UMR Eur´ORBEM), ancienne directrice du CEFRES.
- Laure Barillas Enseignante-chercheuse en philosophie à l’université de Strasbourg et auteure d’une thèse sur la pensée de Jankélévitch
- Guillaume Métayer Poète et traducteur
- Laurence Kahn Psychanalyste et membre de l'Association psychanalytique de France.
Auteur d’Être sans destin, le juif hongrois Imre Kertész n’a pas écrit de témoignage sur sa déportation, mais bien une fiction. Il jugeait impossible de témoigner sur Auschwitz, ne serait-ce que parce que le vocabulaire ne pouvait rendre compte de la folie qu’il y a connue. Son œuvre réfléchit à l’existence d’une éthique et à l’éventualité, pour l’Europe, de remettre en route la mise à mort à échelle industrielle.
J’avais 24 ans quand je me suis réveillé à moi-même. Ce fut un moment irréel, d’ordre mystique. Cet appel que je ne comprenais pas bien était en totale contradiction avec ma façon de vivre, mais il fallait que j’y réponde : je devais écrire un livre qui serait tout à fait le mien. Imre Kertész
Publicité
Dans L’Holocauste comme culture, Imre Kertész écrit : "Je peux dire peut-être que cinquante ans après, j’ai donné forme à l’horreur que l’Allemagne a déversée sur le monde (…), que je l’ai rendue aux Allemands sous forme d’art".
Né à Budapest en 1929 dans une famille juive modeste, Imre Kertész part à 5 ans dans un pensionnat car ses parents se séparent, et aucun ne décide de le garder avec lui. Lorsqu’il a 14 ans, en 1944, alors qu’il avait été chassé de l’école parce qu’il était juif, il est arrêté par les gendarmes, et déporté à Auschwitz. Il ignore ce qui l’attend. Il reste un an en détention et doit sa survie au fait d’avoir menti sur son âge : en prétendant avoir 16 ans et non 14, il est déclaré apte au travail et donc utile au camp, et ainsi, sauvé. Une fois libéré par les Américains et de retour en Hongrie où il apprend que son père est mort en déportation, Kertész vit sous le joug d’un second totalitarisme, et ce pendant 40 ans.
On entend l’écrivain, dans le documentaire, dire que cette autre dictature est peut-être ce qui l’a obligé à survivre au lieu de se suicider, comme Primo Levi et tant d’autres. Imre Kertész crée pour se sentir libre tout en vivant sous un régime autoritaire. Il gagne très modestement sa vie en écrivant de mauvaises comédies musicales, et met 13 ans à terminer Etre sans destin, commencé en 1959.
Imre Kertész à propos de son Prix nobel dans l'émission Perspectives contemporaines, le 14 janvier 2003 sur France Culture
1 min
Il y a une volonté de ne pas être compris immédiatement chez Nietzsche comme chez Kertész, un petit peu cette idée que si on veut comprendre il faut faire l’effort, il faut mériter, on ne va pas faire que le texte soit le plus facile possible à lire. Il le dit lui-même que l’expérience de la lecture doit être douloureuse, elle doit faire mal, si on est dans un plaisir esthétique, un pur plaisir de jouissance esthétique, c’est absolument immonde, c’est qu’il y a quelque chose qui est raté, mais qui est raté dans le sens condamnable et je pense que c’est quelque chose qui est très important chez lui. Laure Barria
* La photo présente Imre Kertész, auteur du scénario tiré de son ouvrage éponyme Sorstalanság (1975), paru en France en 1998 sous le titre Être sans destin, le réalisateur Lajos Koltai et l'acteur Marcell Nagy, à l'occasion de l'avant-première du film, le 08 février 2005, projeté au Centre des Congrès de Budapest (Hongrie).
Publié en France en 1998, le roman se distingue d’autres textes de déportation par son absence de pathos. La psychanalyste Laurence Kahn explique dans son documentaire en quoi ceci est la marque de fabrique de Kertész : il veut davantage que l’empathie et la plainte, qui autorisent la bonne conscience et la mémoire courte.
D’autres romans suivront, Liquidation, Le Drapeau anglais et Le Refus. Que ce soit dans ses textes de fiction ou dans ses journaux, Journal de galère et L’Ultime auberge, Kertész est pessimiste, féroce et sans moralisme. Entendre le discours que l’écrivain a prononcé lors de la réception de son Prix Nobel en 2002 au moment où la Hongrie actuelle, dirigée par Viktor Orban, se rapproche de la dictature, met en évidence la clairvoyance de l’écrivain.
Avec : Clara Royer, biographe de Imre Kertész ; Guillaume Métayer, spécialiste de littérature hongroise, chercheur au CNRS ; Laure Barillas, docteure en philosophie, enseignante ; Laurence Kahn, psychanalyste, lectures faites par Thibault de Montalembert.
Un documentaire de Virginie Bloch-Lainé, réalisé par Clotilde Pivin. Mixage : Eric Boisset, archives INA : Sophie Henocq ; documentation et recherche internet : Annelise Signoret ; collaboration : Juliette Testa, Pascaline Bonnet et Sylvia Favre.
Pour aller plus loin
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
- Discours prononcé par Imre Kertész lors de la réception du prix Nobel de littérature en 2002, à lire sur le site officiel du Prix Nobel.
- La littérature, c’est d’abord le courage : entretien avec Imre Kertész en 2011, publié sur le site de la revue XXI.
- Imre Kertész (1929-2016) : Je vais continuer à vivre ainsi ma vie invivable, un dossier de la revue Diacritik publié au moment du décès du prix Nobel de littérature en mars 2016.
- Dans le cadre d'une rencontre à Berlin, Imre Kertész répond aux questions des élèves sur les événements qui ont eu lieu en Hongrie en 1956, une entrevue à voir sur YouTube.
L'équipe
- Coordination
- Collaboration
- Production déléguée
- Réalisation
- Collaboration