Fille d’un père protestant et d’une mère catholique convertie au protestantisme, Lara a été élevée dans la foi, sans être très pratiquante. « Je vois dans la religion chrétienne un ensemble de valeurs et la présence divine est pour moi rassurante. Malgré cela, je ne ressens pas le besoin de l’honorer par des services religieux », témoigne-t-elle.

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C’est pourquoi cette jeune Berlinoise de 30 ans souhaite prochainement sortir de l’Église en se faisant radier des registres administratifs. Comme elle, les Allemands sont de plus en plus nombreux à tourner le dos à l’institution. Selon les statistiques publiées par la Conférence épiscopale allemande (DBK) et l’Église évangélique en Allemagne (EKD) le 26 juin, ils ont été 272 771 catholiques et 270 000 protestants à prendre cette décision en 2019.

Cela représente plus de 540 000 chrétiens, soit une hausse de 24 % par rapport à 2018. Un record. « Ces chiffres m’effrayent et m’inquiètent car ils montrent que notre message, qui parle de la liberté de l’Homme et de sa connexion avec Dieu, n’est plus reçu, s’émeut le père Hans Langendörfer, jésuite et secrétaire général de la DBK. Nous avons besoin d’une analyse ouverte et honnête pour comprendre cette perte de lien. »

La marque de la sécularisation de la société et de l’individualisme croissant

Documentées depuis des années, les raisons de cette crise sont multiples. Outre le vieillissement de la population, les scandales financiers et les abus sexuels qui secouent l’Église catholique depuis une décennie ont entaché la confiance des fidèles. Les prises de position sur le rôle des femmes ou sur l’homosexualité éloignent aussi les partisans d’une réforme.

Mais pour Stephanie Springer, la présidente de l’Église protestante de Hanovre, ces explications ne suffisent pas, face à l’ampleur de l’hémorragie. Elle y voit davantage la marque de la sécularisation de la société et de l’individualisme croissant. « La diminution de l’engagement, qu’il soit sportif ou humanitaire, est une tendance majeure », remarque la membre du conseil de l’EKD, qui pointe aussi du doigt le consumérisme.

« L’année dernière, quand nous avons cofinancé un navire de sauvetage de migrants en Méditerranée, certains de nos membres ont ouvertement manifesté leur désapprobation et déclaré vouloir sortir de notre institution, se souvient-elle. Autrefois, les fidèles s’accommodaient des décisions de leur Église, même s’ils n’étaient pas d’accord. »

Un refus de payer l’impôt religieux

Enfin, l’argument financier ne doit pas être négligé. En effet, l’impôt religieux, obligatoire outre-Rhin pour tous les baptisés, représente 8 à 9 % de l’impôt sur le revenu. Sortir de l’Église équivaut donc à un refus de le payer.

René Meintz tient un site d’information sur Internet dans lequel il réalise un sondage sur les motifs de ces désertions. Résultat, 41 % des sondés, soit la majorité, évoque le poids de cette contribution, en particulier parmi les plus jeunes. « L’Église ne parvient plus à répondre aux questionnements des individus et à donner du sens à leur vie, explique Georg Bier, spécialiste du droit ecclésiastique à l’université de Fribourg. Ils se demandent alors s’ils veulent continuer à donner de l’argent à une institution dans laquelle ils ne se reconnaissent plus. »

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Une réflexion que confirme Lara, qui dit payer entre 40 et 50 € d’impôt religieux par mois. « Sans cela, je serais sûrement restée un membre passif, comme je l’ai été depuis mon enfance », concède-t-elle.

Renouer le lien

Pas question pour autant pour les Églises catholique et évangélique d’y renoncer. « La taxe d’Église, juste économiquement car corrélée au revenu, reste très importante car elle nous permet de mener à bien la vie pastorale, les actions envers les jeunes ou la solidarité internationale », souligne le père Langendörfer.

Pour le responsable religieux, c’est surtout en renouant le lien avec les croyants que la tendance à la défiance pourra être ralentie, à défaut d’être inversée. « Nous devons parler davantage de notre foi et la vivre de manière plus explicite, comme le fait le pape François qui cherche la proximité avec les gens et leur transmet le message de l’Évangile », conseille-t-il. C’est donc le but du chemin synodal allemand commencé en décembre 2019, pendant lequel 230 évêques, représentants de l’Église et laïcs réfléchissent au renouveau du catholicisme.

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Une forte baisse des confessions chrétiennes

- Chez les catholiques, la totalité des sacrements a connu en 2019 une érosion, que ce soient les baptêmes, qui ont baissé de 5 % en un an ou les mariages religieux (- 10 % par rapport à 2018).

- Fin 2019, les catholiques étaient un peu plus de 22,6 millions, représentant 27,2 % de la population, au coude à coude avec les protestants luthériens, qui sont environ 20,7 millions.

- Une étude de l’Université Albert-Ludwig de Fribourg, se basant sur l’évolution démographique et les sorties d’Église, prévoit que les confessions chrétiennes devraient perdre la moitié de leurs fidèles en 2060, passant de 43,3 millions de personnes actuellement à 22,7 millions dans 40 ans.