Lee Krasner, une vie à l'ombre de Jackson Pollock

Décédée en 1984, la peintre américaine voit sa valeur monter sur le marché des enchères, et est mise à l'honneur par le centre Barbican à Londres jusqu'en septembre prochain. Une consécration méritée pour une artiste majeure, longtemps cantonnée à l'image de « femme de ».
La peintre Lee Krasner tait bien plus que la femme de Jackson Pollock
Tony Vaccaro/ Getty Images

Sa cote est en passe de doubler. Le 16 mai, Sotheby’s met aux enchères le tableau « The Eye is the First Circle » de Lee Krasner. La maison new-yorkaise s’attend déjà à un record, symptomatique de l’explosion des artistes féminines sur le marché. L’occasion parfaite aussi de (re)faire découvrir au monde l’œuvre de la peintre, pionnière de l’expressionnisme abstrait, qui a sans cesse évolué dans l’ombre de son célèbre compagnon, Jackson Pollock.

Née en 1908 à Brooklyn, de parents russes fraîchement débarqués aux États-Unis, Lee Krasner rêvait dès le plus jeune âge de peindre. Elle développe ses techniques au fil des formations : le cursus art du lycée pour filles Washington Irving à New York, la National Academy of design ou encore à l’Art Students League. En pleine Grande Dépression, la jeune femme survit aux fins de mois difficiles en alternant un travail de serveuse et de modèle artistique. Elle n’abandonne pas ses rêves pour autant, et fait une rencontre déterminante pour sa carrière en 1937 : l’artiste cubiste allemand Hans Hofmann, roi du contraste chromatique, familier de Matisse ou de Mondrian. « C’est si beau qu’on ne croirait pas que c’est fait par une femme », lui dit un jour son professeur, fidèle au sexisme qui régnait à l’époque dans ce milieu.

Un couple mythique

En 1941, Lee Krasner se retrouve exposée au côté d’un artiste prénommé Jackson Pollock. « La première fois que j’ai vu ses peintures, j’ai cru mourir. Puis, je l’ai rencontré, et ça m’a achevée », expliquait-elle. Ils se marient quatre ans plus tard, mais l’artiste a un tempérament explosif : alcoolique et violent. Comme un amoncèlement de corps humains démembrés, « Prophecy », réalisé par la peintre à l’été 1956, est le parfait miroir de cette période sombre où elle envisage le divorce et s’exile en Europe. Le roi de l’expressionnisme abstrait, lui, connaît son apogée dans les années 50, mais finit par être dévoré par ses tendances autodestructrices. Le 11 août 1956, il est au volant de sa Oldsmobile 88 décapotable, avec sa maîtresse, l’artiste Ruth Kligman, sur le siège passager et Edith Metzger, la réceptionniste de son salon de beauté, à l’arrière. Après avoir passé la journée à s’enivrer, il se crashe à un virage dans la petite bourgade de Springs à Long Island, et meurt dans l’accident. C’est de l’autre côté de l’Atlantique que son épouse est informée de la tragédie.

En 1959, Lee Krasner perd également sa mère. Deux drames qui vont lui inspirer une de ses plus importantes séries de peintures : les « Night Journeys » dont fait partie « The Eye is the First Circle », vendu aux enchères par Sotheby’s.

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L’ombre de Jackson Pollock plane toujours sur ces tableaux, certains critiques d’art y distinguant l’influence de son défunt époux. « Elle n’était en rien une imitatrice de Pollock. Son énergie est lyrique, la sienne est foudroyante. Il était Mozart, elle était Wagner », résume toutefois le New York Times. Après avoir soutenu la carrière de l’artiste, Lee Krasner doit aussi affronter une nouvelle vague d’engouement pour ses œuvres après son décès. Petit à petit, elle existe au-delà du label « femme de ». En 1965, la Whitechapel Gallery à Londres lui consacre une exposition, tout comme le Whitney Museum à New York en 1973. Elle meurt en 1984, seulement quelques mois avant la consécration de sa carrière : une exposition au MoMA, lieu qui a honoré très peu de femmes.

En parallèle de la mise aux enchères de sa toile, le centre Barbican (Londres) consacre à l’artiste-caméléon sa première exposition en Europe depuis 50 ans. Autoportraits, collages, abstractions XXL sont réunis dans un même lieu pour rendre hommage, comme il se doit, à cette experte de la réinvention.

Lee Krasner : Living Color*, du 31 mai au 1er septembre au Centre Barbican à Londres.*