Billet

«D'homme à homme» : la double offense de Macron

Lors de son entretien du 14-Juillet, le chef de l'Etat a défendu le ministre de l'Intérieur, au nom de la présomption d'innocence. Mais pas que, et c'est tout le problème.
par Laure Bretton
publié le 15 juillet 2020 à 7h25

Pouvait-il choisir pire défense ? «Il y a aussi une relation de confiance d'homme à homme», a expliqué Emmanuel Macron mardi, pour justifier sa décision de promouvoir au ministère de l'Intérieur un élu visé par une enquête pour viol. Tout d'un coup, aux yeux des partisans comme des pourfendeurs de Gérald Darmanin, il n'est plus question de présomption d'innocence et encore moins de «grande cause du quinquennat». On parle de solidarité masculine, de cet entre-soi qui est au cœur du combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Le chef de l'Etat dit avoir discuté avec Gérald Darmanin, un homme «intelligent» et «engagé». A eux deux, ils ont parlé de «la réalité des faits et de leurs suites» donc de l'enquête et rien que cela devrait nous alerter : un président s'informe auprès d'un mis en cause, se range à ses arguments sans attendre que la justice se prononce.

Emmanuel Macron, déroulant le même argumentaire juridique que tout le gouvernement depuis le remaniement, rappelle que cette affaire a fait l'objet de décisions de justice favorables à Gérald Darmanin. C'est vrai. Il y a eu classements sans suite mais uniquement parce que la procédure judiciaire n'avait pas été respectée. En l'occurrence, aucune confrontation n'avait été organisée entre son accusatrice et Gérald Darmanin, dont on peut raisonnablement penser que son statut de ministre avait pesé dans cette décision. Faussée, la procédure reprend. Politiquement et symboliquement, quand on se veut le héraut de la cause des femmes, il eût été raisonnable d'en attendre l'issue.

La violence des mots présidentiels ne s'arrête pas là : décrédibilisant la victime présumée du désormais ministre de l'Intérieur (elle aurait tardé à faire éclater l'affaire, ce qui prouverait l'instrumentalisation politique), Emmanuel Macron confie que Gérald Darmanin a été «blessé» par les attaques de celles et ceux qui contestent sa promotion. C'est l'inversion du fardeau de la preuve, la victimisation de l'accusé, la confiance accordée sur le genre. Soit la triste routine dans les affaires de violences faites aux femmes, routine que des policiers et des magistrats de mieux en mieux formés essaient de faire mentir chaque jour sur le terrain.

«Une relation de confiance d'homme à homme» : ce choix de mots semble vertigineux. Soit c'est une formule inventée sous la pression des caméras du 14-Juillet et cela dit en creux qu'Emmanuel Macron n'a pas compris grand-chose des rapports de force entre les hommes et les femmes qui matricent toujours notre société. Et rappeler ad libitum son bilan en matière d'égalité ne changera rien à l'affaire. Soit cette formule a été testée et validée par les communicants présidentiels comme une contre-attaque politique – un clin d'œil appuyé à la frange la plus conservatrice de son électorat – et c'est alors une provocation voulue à l'égard des féministes.

Une cause pourtant décrétée «juste» par le chef de l'Etat au début de sa démonstration, avant de dénoncer les manifestants réclamant la démission de Gérald Darmanin. «Si, à partir du moment où quelqu'un est accusé, il ne peut pas avoir de responsabilité politique, notre démocratie change de nature. Elle devient une démocratie d'opinion», a mis en garde Emmanuel Macron. «Remaniement sexiste, riposte féministe», pouvait-on lire vendredi sur le parvis de l'Hôtel de ville de Paris où un millier de personnes s'étaient réunies pour dénoncer le choix de Darmanin. Après avoir écouté le Président, on rêve désormais de l'inverse : à la riposte sexiste, un remaniement féministe.

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