Le hijab et les errements du néo-féminisme

Réponse à la carte blanche « Cachez ce foulard » signée par Florence Hainaut ce samedi. Pour l’anthropologue française Florence Bergeaud-Blackler, « Partout où il s’étend depuis les années 1980, le hijab est un instrument de séparation des sexes, base de la société islamique que les fondamentalistes appellent de leurs vœux ».

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Cela fait vingt-cinq ans que je travaille sur l’évolution des normes religieuses islamiques en Europe et je ne cesse d’être surprise par les simplifications d’un débat sur le hijab (foulard ou voile islamique) qui ignore sa signification théologique et son histoire.

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Cela semble largement dû au fait que la plupart de celles et ceux qui s’expriment publiquement à son sujet n’ont pas de connaissance assez rigoureuse des débats actuels sur les normes islamiques.

Le plus souvent le voile islamique n’est pour eux que l’instrument des causes qu’ils défendent et qui n’ont guère à voir avec lui.

Ainsi, le néo-féminisme utilise le voile pour combattre l’idée qu’il y aurait un féminisme universel et imposer ainsi la théorie féministe dite intersectionnelle. Cette théorie née aux Etats-Unis qui cherche à expliquer qu’il n’existe pas une seule théorie féministe mais des théories qui se déclinent selon la couleur de la peau ou la culture est propre à l’histoire racialiste de ce pays, il n’est guère transposable aux pays européens. Du coup le voile islamique des musulmanes dites « racisées » vient soutenir le « narratif » intersectionnel du néoféminisme qui cherche à s’imposer dans l’espace politique mais n’a pas grand-chose d’autre à se mettre sous la dent.

Que les défenseurs d’une cause aillent chercher des accroches médiatiques pour se faire entendre, on peut le comprendre. Mais ces néo-féministes-là en cultivant et arborant leur ignorance de ce qu’est le voilement en islam font plus de mal que de bien à la cause féministe, et font de très gros dégâts dans le tissu social.

Prenons l’exemple de la tribune de Florence Hainaut qui se présente comme journaliste athée et féministe. Sur sa page Facebook, elle présente ainsi sa tribune parue dans Le Soir   : « Vous savez quoi ? J’ai écrit une carte blanche où j’estime qu’on devrait s’en balek que les femmes portent le foulard, où je tente d’analyser ledit tissu sous l’angle féministe et où en plus je termine en faisant un parallèle avec l’IVG »

L’auteur se moque bien du foulard et indique qu’elle s’est limitée à faire l’analyse du morceau de « tissu » pour glisser quelques lignes sur… l’actualité relative au droit à l’IVG. Elle nous avoue donc le petit détour qu’elle a pris pour parler de l’IVG, tout en faisant la pub de la très bancale théorie intersectionnelle.

Florence Hainaut a brodé son argumentation trouée et montré au passage l’étendue de son ignorance en matière de norme islamique. Et si je prends le temps de développer son argumentation c’est parce qu’aussi creuse soit-elle, elle convainc d’autres ignorants et se répand comme une dangereuse traînée de poudre.

D’après les exégètes, et en résumé, le hijab est le principe de séparation chargé de soustraire de la vue une chose ou un être. Mais pour la journaliste athée et féministe, le hijab n’est qu’un « signe » comme n’importe quel pendentif ou perruque, et comparable je la cite encore à un « t-shirt avec Bouddha dessus » (sic).

Evidemment selon que l’on retient la définition théologique ou celle de la journaliste, les conséquences ne sont pas les mêmes.

Interdire à quelqu’un d’arborer « un signe » est en effet une privation de liberté. Mais interdire un principe de séparation des sexes qui, selon ses promoteurs, seraient une « obligation divine » et donc punie de sanctions, n’est pas forcément une privation de liberté. Cela peut au contraire dans certains cas, et ils sont nombreux, une possibilité pour celles qui ne veulent pas le porter d’échapper à la pression de ceux qui se prennent pour les scribes de Dieu en personne, prêts à châtier les récalcitrantes par des remarques, des rappels ou des corrections.

Donc l’idée défendue par Mme Hainaut et les néo-féministe que l’on soit sorti « de la sphère de la liberté d’expression » pour entrer dans « celle de la discrimination » n’est absolument pas évidente et mérite beaucoup plus de circonspections.

En bref Madame Hainaux et pour reprendre vos termes : pas de quoi « s’en balek ».

D’ailleurs Madame Hainaut vous le dites « Difficile de se faire une idée précise de l’ampleur des discriminations qui touchent spécifiquement ces femmes qui portent le foulard ». Donc si l’on vous suit, non seulement il n’y a pas nécessairement de privation de liberté, mais il n’y a peut-être pas de discriminations.

Les néoféministes qui se disent athées ne vont pas jusqu’à dire que le hijab libère la femme, mais elles soutiennent l’argument libéral selon lequel pour « beaucoup » il est un « choix ». Elles s’appuient, prétendent-elles, sur la science : dans « les études en sciences sociales qui se sont penchées sur les parcours des femmes qui portent le foulard en Europe (…) il apparaît que pour beaucoup, le port du foulard est un choix personnel ».

Je n’ai jamais lu pour ma part d’études sérieuses sur le hijab capable de distinguer ce qui relève du « choix libre et consenti » (idée dérivée de la pensée libérale), de ce qui relève du « choix sous contraintes ». Car opérer une telle distinction serait nier purement et simplement les forces sociales qui conduisent l’individu à agir et donc choisir. Autrement dit, les sciences sociales se nieraient elles-mêmes. La philosophie devrait renoncer à la « servitude volontaire ». De même cette phrase improbable : « la polysémie du signe et les attitudes des femmes face à celui-ci étant quasi infinies. » montre surtout que Madame Hainaut dans son enthousiasme persiste à ne voir qu’un « signe » abstrait là où les femmes voilées vivent des pratiques, des normes, des contraintes. Et si vous essayiez le voile, Madame Hainaut, ne serait-ce que 24H non-stop ?

Cette croyance selon laquelle il y a autant de femmes que de façon de porter le hijab est une pure fiction, elle n’a jamais été démontrée. Nos enquêtes sur la norme halal et sur l’endoctrinement des femmes à l’islam salafi ont montré que le port volontaire de ce vêtement - qui ne laisse découvert que le visage, cache les formes du corps, et que l’on doit revêtir en tous lieux et tout le temps sauf à domicile devant ses proches - est toujours le résultat d’un endoctrinement (l’apprentissage et l’adhésion à un corps de doctrines), tout sauf une « liberté ».

Madame Hainaut souhaiterait que lors de la « rédaction d’un projet de loi ou un règlement qui tend à en limiter l’usage » on demande leur avis aux femmes qui portent le hijab. En somme pourquoi ne pas appliquer la loi religieuse puisque cela sied à une partie de la population ? Rappelons, pour sa défense, que pour Madame Hainaut le hijab n’est qu’un « signe » de « chez nous » dont elle semble ignorer la portée théologique : « Le foulard, tel que porté aujourd’hui et chez nous, n’est en rien un symbole univoque intrinsèquement contraire à l’égalité des sexes. »

Pourtant, partout où il s’étend depuis les années 1980, le hijab est un instrument de séparation des sexes, base de la société islamique que les fondamentalistes appellent de leurs vœux. Ils ne cessent de le dire et de le répéter depuis près d’un siècle.

Madame Hainaut, si vous ne les lisez pas, si vous ne les écoutez pas, au moins ne parlez plus de ce hijab que vous ne connaissez pas, car à force d’aveuglement et d’instrumentalisation, vous participez à leur banalisation autant qu’à la diffusion de leur doctrine. Quand vous vous en rendrez compte, il sera peut-être trop tard pour, comme vous le dites élégamment, « s’en balek ». Le féminisme et l’athéisme que vous défendez sont leurs ennemis.

 

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