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Black Lives Matter mobilise peu au Maghreb malgré un racisme « ordinaire »

Les Africains subsahariens et les Maghrébins noirs subissent de nombreuses discriminations, malgré le réveil de plusieurs collectifs, au Maroc et en Tunisie notamment.

Le Monde avec AFP

Publié le 21 juillet 2020 à 11h22, modifié le 22 juillet 2020 à 10h57

Temps de Lecture 3 min.

A Tripoli, le 18 juillet 2017, un Nigérien après sa journée de travail dans un centre de tri de déchets.

Après le choc de la mort avilissante aux Etats-Unis de l’Afro-Américain George Floyd et la lame de fond antiraciste qui déferle sur le monde, le mouvement Black Lives Matter ne mobilise guère au Maghreb, où les Noirs subissent des discriminations au quotidien.

En Algérie, en Tunisie ou au Maroc, les ressortissants d’Afrique subsaharienne venus étudier, travailler ou tenter de rallier l’Europe disent subir un racisme « ordinaire ». « La mort de Floyd a réveillé la rage qui dormait en nous », témoigne Fabrice, un Camerounais sans papiers vivant à Alger. Cette agonie choquante a « fait naître la haine de l’autre couleur », se désole Bintou, une Malienne qui veut quitter l’Algérie.

Cependant, le débat sur le racisme et les violences policières initié par le mouvement mondial Black Lives Matter (littéralement « les vies noires comptent ») né aux Etats-Unis en 2013 et qui a servi de fer de lance, n’a pas ébranlé les pays du Maghreb.

Seule la Tunisie a vu une petite manifestation début juin pour dénoncer le racisme aux Etats-Unis et ailleurs, à l’appel de l’association tunisienne Mnemty. Pour sa présidente, Saadia Mosbah, une Tunisienne à la peau foncée, cette mobilisation est un « message aux Afro-Américains de la part de leur Mère Afrique pour dire : Nous sommes avec vous. »

« Des mots qui font plus mal que les coups »

S’il n’existe pas de recensement officiel, les étrangers originaires de pays africains subsahariens seraient plus de 200 000 en Algérie et plusieurs dizaines de milliers au Maroc comme en Tunisie, selon des organisations non gouvernementaless (ONG).

La plupart sont des migrants qui ont traversé le désert dans des convois de pick-up, franchissant parfois les frontières à pied. Diplômés ou non, ils travaillent sans être déclarés, notamment comme personnel de ménage ou ouvriers du BTP. Et s’ils continuent à se plaindre de l’arbitraire policier et de la xénophobie ambiante, ils sont surtout préoccupés par leur survie après des mois de confinement qui ont aggravé leur précarité.

Le racisme est le plus souvent verbal mais « parfois les mots font plus mal que les coups », souligne Aïcha, une Nigérienne rencontrée à Alger. Les termes « “kahlouche[un mot péjoratif que l’on pourrait traduire par noiraud], Mamadou, Ebola et maintenant Covid sont autant de sobriquets dont on nous affuble », peste la jeune maman. Son fils de 7 ans a refusé de retourner à l’école après s’être entendu dire : « Tu n’es pas chez toi. »

« Il faut mener une lutte permanente contre ces dérives du langage. Certains Algériens oublient qu’ils sont eux-mêmes des Africains », plaide le sociologue algérien Mohamed Saïb Musette. Pour lui, la priorité est de « déconditionner » les enfants face au racisme latent que subissent également les autochtones noirs. Ces derniers sont parfois surnommés « abid » ou « oussif », qui signifie littéralement « esclave ».

Au Maghreb, l’esclavage a été aboli légalement d’abord en Tunisie en 1846), puis en Algérie, colonisée par la France, partiellement en 1848, et enfin au Maroc, sous protectorat français, en 1922.

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La traite « arabe » a débuté au VIIIe siècle et a mis en esclavage entre 4,5 millions et 17 millions d’Africains noirs, selon les estimations des historiens. Elle a persisté en Algérie bien après 1848 et jusqu’au début du XXe siècle en Tunisie.

La discrimination n’épargne pas les Maghrébins noirs eux-mêmes, comme en témoigne l’Algéroise Karima, forcée de rompre avec son fiancé « de couleur », « pour ne pas être reniée par les miens ». Les mariages avec des personnes noires sont encore mal vus. Très peu de vedettes de la télévision, de hauts fonctionnaires ou de dirigeants politiques ont la peau foncée, déplore le sociologue algérien. Amina, une Oranaise noire de 35 ans, se rappelle avec amertume avoir été « caillassée » devant l’université.

Pas de papiers, pas de droits

Signe que la situation évolue cependant, une coalition d’associations marocaines a lancé en 2014 la toute première campagne contre le racisme envers les migrants subsahariens. Le slogan était « Massmiytich Azzi ! » (littéralement « Ne m’appelle pas un Noir »), « Azzi » ayant une connotation péjorative. En Tunisie, en réaction à une agression sauvage contre des Africains subsahariens, Mnemty a obtenu l’adoption en octobre 2018 par le Parlement tunisien d’une loi qui pénalise pour la première fois les discours de haine. Le Parlement algérien a fait de même en avril.

Malgré ces avancées, la discrimination institutionnelle reste forte : en Algérie comme en Tunisie, hormis les étudiants, il est quasi impossible pour les étrangers subsahariens de régulariser leur situation. Seul le Maroc a régularisé quelque 50 000 personnes depuis 2014, majoritairement originaires d’Afrique de l’Ouest.

« Sans papiers, on ne peut pas revendiquer ses droits », explique Fabrice, qui vit en Algérie depuis vingt ans, la moitié de sa vie. Désormais, il n’a « plus d’autre volonté que de partir » en Europe, rejoindre sa femme et ses deux enfants qui ont fait la traversée sur une embarcation de fortune via la Tunisie voisine.

Le Monde avec AFP

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