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Au Sénégal, la filière laitière se noie sous les excédents de lait européens

Avec la crise du Covid-19, la flambée des stocks de lait en poudre importé, qui inondent déjà le marché sénégalais depuis 2018, va encore fragiliser les producteurs locaux.

Par  (Kaolack, Sénégal, envoyée spéciale)

Publié le 23 juillet 2020 à 12h59, modifié le 23 juillet 2020 à 15h06

Temps de Lecture 4 min.

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Kiosque de lait à Dakar, la capitale sénégalaise.

En cette saison des pluies, à la mi-juillet, la dizaine de vaches de Michel Doudou Sène pâture toute la journée dans la brousse redevenue verdoyante des environs de Kaolack, à 200 kilomètres à l’ouest de Dakar. Mais le soir venu, à l’étable, seules quelques-unes passeront à la traite. L’éleveur sénégalais se désole : « Nous limitons la production car nous peinons à l’écouler. Les clients préfèrent le lait en poudre importé, moins cher et plus facile à trouver. » Pour s’aligner sur le prix des importations, Michel Doudou Sène a dû baisser le tarif du litre de lait de 700 à 500 francs CFA (de 1 euro à 75 centimes). « Pourtant, notre lait est de meilleure qualité ! Mais il est aussi plus cher à produire », s’agace-t-il, en regardant avec désespoir ses trois génisses sur le point de mettre bas.

Au Sénégal, le lait en poudre représente 84 % des importations de lait, majoritairement en provenance de l’Union européenne (UE). « Depuis 2018, nos marchés sont inondés par des stocks sans précédent de l’UE, qui concurrencent notre lait local », résume Fatou Cheikh Ndione Sané, directrice des industries animales au ministère de l’élevage.

Une situation qui risque d’être encore amplifiée par les excédents de stocks de poudre de lait européens constitués lors de la crise du Covid-19, alors que la demande en produits laitiers s’effondrait sous l’effet des confinements. Ces surplus ont toutes les chances d’être déversés en Afrique de l’Ouest, au risque d’affaiblir durablement des filières laitières déjà fragiles et peu structurées.

Les moyens de l’autosuffisance

Michel Doudou Sène dans sa petite exploitation de Kaolack, à 200 km à l’ouest de Dakar, le 16 juillet 2020.

« Nous sommes préoccupés par la situation des éleveurs, et surtout des femmes qui composent la majorité de ce secteur », alerte Khar Ndiaye, directrice des programmes pour Oxfam Sénégal. Le lait importé, de faible qualité nutritionnelle, est 30 % moins cher que le lait local grâce aux subventions de la politique agricole commune européenne, fait valoir Mme Ndiaye. Dans ces conditions, les producteurs sénégalais ne peuvent guère résister à la concurrence, pâtissant déjà de la faible productivité de leurs vaches, du prix élevé des aliments de bétail et d’un circuit logistique compliqué.

Pourtant, avec 3,9 millions de bovins sur territoire – parmi lesquels 70 % de femelles dont la moitié est en âge de produire du lait –, le Sénégal a les capacités d’être autosuffisant. L’un des enjeux est d’arriver à acheminer le lait local des zones de production aux unités de transformation puis aux points de vente. Pour y parvenir, « nous sensibilisons au changement des habitudes de consommation », explique Mme Ndiaye.

A Kaolack, seule une petite laiterie de transformation artisanale tenue par cinq femmes achète la production des éleveurs installés non loin de la ville. Toute de rose vêtue, Awa Diallo montre la machine manuelle en inox qui permet de produire du lait caillé, des fromages ou des yaourts. Sur une étagère sont alignés des flacons d’arôme à la vanille, à la banane ou à la fraise. « Mon lait, je l’aime local », clame un slogan inscrit en lettres vertes à l’entrée des locaux. « Nous luttons contre le lait en poudre pour aider nos éleveurs », affirme Mme Diallo qui, elle-même, peine à vendre ses produits laitiers, jugés trop coûteux par les clients.

La filière laitière ne pourra pas se développer tant que les grands transformateurs n’incorporeront pas ou trop peu de matière première sénégalaise dans leurs produits. « Notre lait n’intéresse pas les industriels, installés à Dakar et qui ne se déplacent pas pour le collecter », constate l’éleveur Michel Doudou Sène de Kaolack. Et encore, son exploitation est relativement accessible depuis la capitale, comparée à la plupart des éleveurs, qui se concentrent dans les lointaines régions peules du nord-est du pays.

Mesures protectionnistes

Seuls deux industriels sénégalais font l’effort de favoriser le lait local. Le groupe Kirène a installé un centre de collecte dans la région de Fatick, en partenariat avec le ministère de l’élevage. Mais l’entreprise pionnière dans ce domaine est La Laiterie du berger (LDB). Entre 2007 et 2019, elle est passée de 200 000 litres de lait collecté à 1,1 million de litres. Arona Diaw, secrétaire général de la LDB, avoue que leurs produits ne sont « pas très compétitifs » par rapport aux produits en lait en poudre. Résultat, « certains sont confectionnés avec un mélange de lait local et importé, en attendant que l’Etat prenne des mesures plus protectionnistes », explique Arona Diaw.

Une première décision gouvernementale a soulagé les acteurs laitiers avec l’exonération de la TVA sur le lait pasteurisé produit au Sénégal, entrée en vigueur en février 2019. Mais ce n’est pas suffisant pour structurer une filière laitière locale résiliente, analyse Arona Diaw. Une piste pour faire baisser les coûts de production pourrait être la mise en place d’un régime de subventions aux tarifs de l’énergie, suggère Mme Sané, au ministère de l’élevage, assurant que « des réflexions sont en cours ».

Les différents acteurs de la filière, soutenus par Oxfam, demandent surtout une augmentation des droits de douane, actuellement de 5 %, sur les importations de lait en poudre depuis l’UE. Ce plaidoyer est mené au niveau de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) pour faire émerger une industrie régionale plus compétitive. L’éleveur Michel Doudou Sène, lui, rêve que « soient subventionnés des kiosques à lait » installés en plusieurs endroits de la ville de Kaolack, comme cela se fait à Dakar. A portée de main de tous les consommateurs.

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