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Intimidations à tous les étages : ces minorités qui prennent la démocratie en otage
©BERTRAND GUAY / AFP

Petits mais costauds

La démission de l'adjoint à la culture de la Ville de Paris, Christophe Girard, accusé d'avoir été proche de l'écrivain Gabriel Matzneff, mis en cause pour viols sur mineurs, montre le poids de certains groupes radicaux sur les instances politiques.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : La démission de l'adjoint à la culture de la Ville de Paris, Christophe Girard, sous la pression d'élus EELV a mis en avant le poids de certains groupes radicaux sur les instances politiques. Mais la radicalité de ces groupes exprime-t-elle celle de l’opinion publique sur ces sujets ?

Chloé Morin : Les groupes auxquels vous faites référence, où qu'ils se situent sur l'échiquier politique, ne se soucient précisément pas de leur poids réel dans l'opinion publique, car ils vivent sur le mythe du sauveur, se considèrent comme ceux qui sont chargés de faire changer d'avis, ou de faire prendre conscience d'un sujet donné, le plus grand nombre. Se considérant comme porteurs du bien et du vrai, ils adoptent des postures et des méthodes radicales, abhorrent le compromis qu'ils assimilent à la trahison et au renoncement. C'est bien davantage cette posture, et cette méthode, plus que les causes ou le bord politique auquel ils appartiennent, qui les caractérise. Car au fond, la radicalité existe dans tous les camps - on la trouve à Extinction rebellion, on la trouve chez Génération identitaire, on la trouve chez certains féministes... et historiquement on l'a trouvée à la marge les mouvements pour les droits civiques, ou des grands mouvements sociaux. 

Au fond, le problème de ces groupes est que la posture, l'intransigeance et l'inflexibilité, finit par compter plus que le fond. Or, on n'a jamais vu des idées progresser uniquement au forceps, il y a toujours une part de compromis à un moment donné. 

Pour ce qui concerne M. Girard, on voit bien qu'il s'agit pour une minorité d'imposer ses idées, dans un jusqu'au-boutisme qui n'est pas compatible avec le fonctionnement démocratique des instances du conseil de Paris. Anne Hidalgo l'a d'ailleurs rappelé à sa façon. De plus en plus, les liens comptent davantage que les actions, et l'on nous juge sur ce que nous sommes plutôt que ce que nous avons ou faisons. C'est un véritable problème, car cela donne lieu à des chasses aux sorcières, et à la tentation de bannir tel ou tel groupe de la société justement parce qu'aucune rédemption n'est possible quand c'est ce que l'on est qui est mis en cause. 

Les "identity politics" dont procède l'exemple que vous citez - parmi d'autres -, c'est simplement la fin de la démocratie telle que nous la connaissons. 

Quel est l’impact de ces groupes sur les variations de l’opinion sur les sujets dits « progressistes » ?

Le plus grand risque, dans cette affaire, est que de la même manière que les agissements de groupuscules d'extrême droite ont jeté le discrédit sur le RN depuis des années malgré ses tentatives de "normalisation", ces groupes classés à gauche jettent le discrédit sinon sur toute, du moins sur une bonne partie de la gauche. Dans un pays républicain, universaliste, on ne peut pas être majoritaire avec une ligne qui serait celle des indigènes de la République, par exemple. A force de jouer à la culpabilisation et à la segmentation des populations - opposant les noirs et les blancs, les femmes et les hommes, les femmes lesbiennes et les femmes hétérosexuelles, les homosexuels et les trans.. etc etc -, ces mouvements prospèrent sur le clivage et la division. Or, le propre de la politique est de chercher à unir, et à offrir des solutions et un horizon. Pas de chercher à entretenir les problèmes et multiplier les boucs émissaires...

Plus le temps passe, d'ailleurs, plus on a le sentiment que les seuls ressorts qui restent à une politique qui ne sait plus faire rêver ni tracer d'avenir désirable sont la culpabilisation, la victimisation, bref le recours aux Identity politics que je citais plus haut et dont le résultat ne peut être que désastreux. Réclamer la justice, ce n'est pas réclamer la vengeance. Demander l'égalité, ce n'est pas comme chercher constamment des responsables à lyncher. Déconstruire les préjugés et les idées reçues est bien plus compliqué que cibler tel ou tel bouc émissaire, que l'on rendrait responsable de tous les maux... Mais c'est vrai, c'est beaucoup plus facile...

Quels dangers cette vision binaire portée par ces groupes radicaux fait-elle peser sur notre démocratie ?

Comme je le disais plus haut, lorsque la demande de justice, d'égalité, ou de protection basculent dans ces formes dévoyées que sont la victimisation, la bouc-émissarisation, et la radicalisation, alors le débat n'est guère plus possible et les situations se bloquent. La radicalité permet souvent d'établir un rapport de force, mais elle ne mène nulle part si à un moment donné le jusqu'au-boutisme ne cède pas la place à la capacité à discuter, à faire des compromis. 

Les identity politics ont considérablement affaibli la démocratie américaine. Le Royaume Uni est en train de lui emboîter le pas - avec ce débat incroyable sur l'emploi, jugé illégitime par certains car stigmatisant, du terme "islamistes" accolé au mot "terrorisme"...-. Et nous ne sommes hélas pas loin derrière, alors même que notre universalisme républicain et notre attachement viscéral à l'égalité devraient nous protéger... Or, à ce jeu, nous savons que la liberté d'expression et la démocratie sont toujours perdantes.
Rappelons, pour finir, que les médias participent de cette dynamique de polarisation du débat. Ils entretiennent le phénomène soit parce que c’est efficace en termes d’audiences (Polarization makes money), soit pour des raisons géopolitiques (et le fait qu’Alice Coffin ait eu toute sa place sur RT France le montre bien). 

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