Exploit Deux amputés d’un tibia gravissent le mont Blanc

À Delle, Luc Meheux, 40 ans, vit une existence presque normale. Mais en 2014, suite à un accident dans les vignes, il a été amputé d’un tibia. Il en fallait plus pour arrêter ce grand sportif, qui a gravi le mont Blanc mi-juillet, avec un autre amputé du tibia, l'Alsacien Samuel Ferber.
Rémi FARGE - 27 juil. 2020 à 05:00 | mis à jour le 27 juil. 2020 à 14:19 - Temps de lecture :
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Dans la voix comme dans l’attitude, aucune euphorie. La fierté, elle, est très intérieure, bien enfouie sous une solide carapace. Luc Meheux n’est pas du genre à se mettre en avant. Deux semaines avant de nous ouvrir les portes de la maison familiale, à Delle, il se trouvait au sommet du mont Blanc, après une expédition de trois jours, du 13 au 15 juillet. Un exploit physique, d’autant plus que cet ingénieur en bureau d’études est amputé d’un tibia depuis 2014. « Ça sort de l’ordinaire, c’est sûr. Mais rien ne peut être fait sans entraînement », coupe-t-il.

« Le soir de l’accident, j’avais fait le deuil de ma jambe »

S’il est capable de relever pareil défi, c’est aussi parce qu’il est costaud mentalement. « Le soir de mon accident, j’avais déjà fait le deuil de ma jambe. Plus vite que les chirurgiens, même. J’ai accepté cette situation très rapidement », sourit Luc Meheux. Il aurait pu sombrer, lui le grand sportif privé d’une jambe quelques jours à peine avant l’accouchement de sa femme. « Je le vis bien… Tout est dans la tête, dans l’acceptation de l’image qu’on renvoie », poursuit celui qui peut « tout faire sauf s’accroupir ».

Alors, quand le prothésiste Orthomédical Welter lui a soufflé l’idée de gravir le mont Blanc en compagnie de deux autres amputés – les Alsaciens Samuel Ferber, âgé de 35 ans, et Benjamin Tomé, 33 ans –, il n’a pas réfléchi très longtemps. Pour le groupe de trois, l’entraînement a débuté en novembre, principalement au Hohneck. « Avec le confinement, j’avais peur que ça ne se fasse pas, mais aussi peur que ça se fasse. Parce qu’entre mars et mai, on n’a pas pu s’entraîner autant que ce qui était prévu. » Dans les Alpes, juste avant le grand jour, Benjamin Tomé s’est blessé et a dû renoncer.

« À 4 000 mètres d’altitude, on n’a plus de carburant »

C’est donc en duo, avec une armée de guides, médecins et partenaires d’Orthomédical Welter, à Colmar (lire ci-dessous), que Luc et Samuel sont partis à l’assaut du toit de l’Europe. « Le plus dur, c’est la gestion de l’altitude, quelque chose d’incroyable. À 4 000 m, on n’a plus du tout de carburant ! Il faut se faire violence pendant 300 m de dénivelé, avancer pas à pas, en mode robot. »

En haut, où le sommet « n’est pas plus grand que ma piscine », la météo est idéale. Les grimpeurs sont au-dessus d’une mer de nuages. Pour Luc, pas de larme. « L’émotion, c’est le paysage, le partage avec le groupe, notamment les guides ».

Mais ce sommet symbolise aussi une fin. La fin d’un projet, avant la descente, encore plus compliquée que l’ascension. « Mon moignon a dégonflé et chaque contact avec la prothèse m’a blessé. » Impossible de descendre de face pendant près de trois heures. « Un calvaire. »

« Si je n’étais pas sportif, j’aurais quoi ? Un bout de bois ? »

De retour chez lui, Luc Meheux se projette sur la suite. « Maintenant, ça change quoi dans ma vie ? », s’interroge-t-il. Ne comptez pas sur lui pour faire pleurer dans les chaumières ou pour devenir un porte-drapeau. Tout juste un message : « Ma chance, il y a six ans, c’est que j’étais sportif. Donc on m’a mis une prothèse adaptée. Sinon, j’aurais eu quoi ? Un bout de bois ? »

Avant le mont Blanc, le Dellois avait relevé un autre défi : un trail de 100 km de marche, pour lequel il s’entraînait avant son amputation. Une manière de transformer l’abandon en simple report. Et des défis, il y en aura d’autres, c’est évident. « Pourquoi pas le Kilimandjaro ? », souffle Luc Meheux. Plus haut, plus long. Mais à la portée du bonhomme, qui a appris à se faire mal, « à gérer une douleur », comme il dit. À vivre comme n’importe qui, en fait. En mieux, même.