Menu
Libération
Animaux

En Colombie, la prolifération des hippopotames d'Escobar

Importés par le chef du cartel de Medellín à la fin des années 80, les quatre hippopotames se sont reproduits en nombre. Ils fragilisent l'écosystème du bassin du Magdalena, tout en effrayant pêcheurs et habitants, qui attendent des mesures.
par Anne Proenza, correspondante à Bogotá
publié le 27 juillet 2020 à 16h26

C’est sans doute le moindre des problèmes hérités de Pablo Escobar en Colombie. Mais quand même : faut-il – et comment – se débarrasser du troupeau d’hippopotames qui a envahi le bassin du Magdalena, le plus important fleuve colombien ? Car les mastodontes, qui avaient été importés illégalement à la fin des années 80 par le chef du cartel de Medellín pour enrichir le zoo exotique de son immense propriété, la hacienda Nápoles, à l’ouest de Medellín, se reproduisent depuis sa mort, le 2 décembre 1993, de manière exponentielle.

Ils étaient quatre – trois femelles et un mâle – du temps du capo, ils sont aujourd'hui au moins 80, représentant le plus grand troupeau hors Afrique d'où ils sont originaires. On ne sait pas exactement de quel pays ils proviennent, ayant sans doute été achetés dans un zoo nord-américain par le baron de la drogue, mais en tout cas, ils ravissaient les touristes avant la pandémie, fascinent les scientifiques qui y voient un cas d'école pour étudier les invasions d'espèces biologiques et effrayent de plus en plus les pêcheurs ou les habitants du bord du fleuve.

A lire aussiVisite guidée à Escobarland

Selon plusieurs études scientifiques, publiées ces derniers mois en Colombie et aux Etats-Unis, ils pourraient se compter en milliers d’ici à 2050, et représenter alors un grave danger pour l’écosystème colombien.

Souvent agressifs, imprévisibles par nature mais avec une grande capacité d'adaptation, ces méga herbivores ont trouvé sous le climat équatorial de la Colombie un «paradis», explique le biologiste David Echeverri de la Corporación autónoma de las cuencas de los ríos Negro y Nare (Cornare), institution régionale chargée d'appliquer les politiques du ministère de l'Environnement : «C'est un environnement parfait pour eux, sans saisons ni sécheresses, comme en Afrique, avec une bonne humidité et des pâturages qui leur offrent de quoi manger toute l'année.»

Une quarantaine de bêtes est restée dans les lacs artificiels de la hacienda Nápoles, devenue en 2007 un parc thématique à succès qui comprend notamment un mémorial pour les victimes du trafic de drogue. Mais le troupeau grandissant, certaines se sont échappées et n’ont pas eu de mal à trouver le fleuve Magdalena, à 11 kilomètres de là, ou à s’installer dans un de ses affluents, s’éloignant ainsi de leur ancien zoo jusqu’à plus de 150 kilomètres.

Accidents et frayeurs

Quatre animaux ont par exemple élu domicile depuis déjà sept ans à la confluence de la rivière Claro Cocorna et du Magdalena, raconte par téléphone le pêcheur Alvaro Diaz : «Ils représentent un danger pour les pêcheurs et les habitants des rivages, mais ils ont aussi embelli le paysage et attirent les touristes qui préfèrent les observer en liberté dans un milieu naturel, ce qui nous permet des revenus supplémentaires.»

Plusieurs accidents ont eu lieu, les hippopotames aimant défendre leur territoire : «On ne peut plus pêcher à l'embouchure», souligne Alvaro Diaz. Et certaines bêtes se promènent dans les hameaux avoisinants, effrayant plus d'un villageois.

Les scientifiques débattent pour l'instant encore des conséquences à long terme de la prolifération de ces impressionnants animaux dans un environnement qui n'est pas le leur. «L'espèce peut, d'une part, modifier la composition physique et chimique de l'eau, estime David Echeverri, et de l'autre, altérer la biodiversité et chasser des espèces en voie d'extinction» comme les lamantins, les caïmans et les loutres.

Selles et oxygène

L'étude de Jonathan Shurin, de l'université de San Diego (Californie), montre par exemple qu'en déféquant, les hippopotames augmentent la quantité de nutriments dans l'eau, contribuent à la prolifération d'algues et de bactéries toxiques, ce qui diminue la quantité d'oxygène de l'eau. En broutant sur les rives, les bêtes détruisent aussi les abords des fleuves. «En Afrique, ils peuvent même modifier les cours des rivières quand les troupeaux sont nombreux», souligne David Echeverri.

A lire aussiJuan Pablo Escobar, parcours stupéfiant

Dans ces conditions, comment arrêter ou freiner leur reproduction ? En 2009, la mort d’un hippopotame avait fait l’objet d’une plainte et depuis, selon la jurisprudence colombienne, il est interdit de les tuer. Les capturer pour les stériliser ou les déplacer dans des zoos en Colombie ou à l’étranger représente un travail de titan, surtout pour ceux qui sont en liberté dans le Magdalena. Sans compter le coût…

Buffalos et tortues

Les hippopotames ne sont certes pas la seule pression qui s'exerce sur l'écosystème du Magdalena, déjà touché par la déforestation, l'élevage, l'industrie… «Les immenses troupeaux de buffalos sont aussi des prédateurs et ce n'est pas une espèce d'ici», remarque Isabel Romero, qui s'occupe du Centre de conservation des tortues de Puerto Triunfo (commune où se trouve la hacienda Nápoles) et qui aime bien «les grosses bêtes».

En dix ans, cinq hippopotames ont été transférés dans des zoos et dix autres ont été stérilisés. Dans le même temps, leur nombre est passé de 25 à 80 : à ce rythme, le problème va vite devenir «national», souligne David Echeverri qui, assez désemparé par l'ampleur du phénomène, en appelle à l'aide de la communauté internationale.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique