Watchmen, mini-série de neuf épisodes, créée par Damon Lindelof, a été l'une des meilleures surprises de l'année 2019 sur le petit écran. Librement adaptée du comics éponyme d'Alan Moore et Dave Gibbons, publié dans les années 80, ce dernier avait d'abord été adapté en film en 2009, qui avait suscité beaucoup d'engouement chez les fans du genre.

Produite par HBO, elle est disponible en France sur OCS, et a aussi été diffusée sur Canal +. Elle a été la série la plus nommée des Emmy Awards 2020, qui ont eu lieu le 20 septembre aux États-Unis, avec 26 nominations. Elle en est repartie avec le Emmy de la Meilleure mini-série, du Meilleur scénario, de la Meilleure actrice dans une mini-série ou téléfilm pour Regina King, son actrice principale, et du Meilleur second rôle masculin (Yahya Abdul-Mateen II).

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Des récompenses méritées pour ce petit chef d'oeuvre mêlant pop culture, mysticisme et lutte anti-raciste.

Attention, ce papier contient quelques spoilers.

Une héroïne principale noire et justicière

Dans la série, on suit les aventures parfois terrifiantes d'Angela Abar (Regina King), femme américaine noire, mère de famille épanouie, qui est policière de jour, et justicière de nuit, sous le nom de Sister Night ("la soeur nuit" en français). Elle vit à Tulsa, en Oklahoma, ville qui a été marquée par des massacres racistes et tensions raciales.

Avec d'autres justiciers civils, mal vus des forces de police, elle fait partie d'une sorte de ligue voulant assurer la sécurité de la population, en surveillant notamment la renaissance d'un groupuscule d'extrême-droite raciste, La 7e Kavalerie, censé être éteint depuis des années. 

Watchmen, série intemporelle sur la lutte anti-raciste

Depuis l'émergence de Black Lives Matter en 2013, la lutte anti-raciste est redevenue l'un des principaux enjeux sociétaux aux États-Unis, une nouvelle génération s'érigeant notamment contre les violences policières racistes. 

À ce titre, Watchmen s'inscrit parfaitement dans notre époque, où le racisme est, malheureusement, encore loin d'être résolu. Diffusée un an avant une nouvelle vague importante d'émeutes à la suite de la mort de George Floyd, homme noir-américain étouffé pendant une arrestation policière, cette uchronie se déroule en 2019 et paraît d'autant plus d'actualité à ce jour. Son record de nominations, s'il est mérité, est aussi un symbole fort de la prise de conscience de cet enjeu à Hollywood.

La puissance de Watchmen réside dans sa capacité à déployer son histoire sur plusieurs générations, qui montre que la situation n'a jamais réellement évolué : le racisme est toujours présent, mais il a pris une autre forme, plus pernicieuse, et attend le juste moment pour redevenir politique. La tension palpable sous-entend que le moment de bascule est proche.

À travers le personnage d'Angela, une femme droite et surpuissante, interprétée avec force et nuance par Regina King, on vit sa désillusion face à une Histoire dangereuse qui se répète, à mesure qu'elle remonte le fil de son passé, et découvre le double-jeu de certains proches. 

En cela, l'épisode six de Watchmen, qui a été largement salué, est remarquable. On suit un jeune homme noir, durant la première moitié du XXe siècle, survivant à un massacre qui a bien eu lieu : celui de Tulsa, où, en 1921, une foule d'Américains blancs attaque des membres de la communauté afro-américaine dans le quartier de Greenwood. Alors que le jeune homme rejoint la police, persuadé d'être enfin à sa place, il déchante petit à petit. Les scènes d'agression et d'intimidation qu'il subit sont brutales, étouffantes, maîtrisées, et le poussent hors du système.

Proposant un montage et une mise en scène inventifs et rigoureux, cet épisode, point névralgique de cette mini-série, fait le pont entre les différentes époques évoquées. Avec un sens de la narration et du détail impressionnant, il démontre comment les États-Unis se sont construits sur les tensions raciales, et ne les ont jamais dépassées.

On en ressort bouleversé, alarmé et pessimiste face à une société qui semble incapable de progresser. Impossible de ne pas penser à l'Amérique de Trump en regardant cet épisode.

Une esthétique glaçante

Dans Watchmen, la société est similaire à la nôtre, mais se distingue par des tenues symboliques, colorées, qui offrent d'emblée un côté "comics".

Aussi, la série s'ouvre par une scène de contrôle routier. Ce qui peut sembler banal, ne l'est en réalité pas du tout : le policier porte un masque jaune vif couvrant la majeure partie de son visage, le rendant effrayant.

Cet accessoire a été mis en place pour protéger l'identité des policiers, à la suite de ce que l'on a appelé La Nuit Blanche. Il s'agit d'une attaque nocturne qui a eu lieu contre les policiers de la ville de Tulsa, commise par la 7e Kavalerie, à leur domicile, en 2016, et qui a fait de nombreux morts. Une nuit à laquelle Angela Abar a survécu.

Tout comme la robe rouge de La Servante écarlate est devenue un symbole de résistance féministe, le port d'un bandana jaune sur la bouche par des forces de l'ordre symbolise désormais, même si dans une moindre mesure, la peur d'une police violente et raciste.

Ainsi, début juillet, des internautes ont été choqués de voir des policiers de Seattle porter des masques jaunes similaires à ceux de Watchmen, et attaquerdes manifestants semblant pacifiques. Elle est la principale ville de l'État de Washington, actuellement soumis à une étroite surveillance policière et militaire face aux émeutes anti-racistes. 

L'esthétique la plus glaçante est encore celle de la 7e Kavalerie, clairement dérivée de celle du Ku Klux Klan, avec de grandes tenues blanches surmontées d'une capuche haute et pointue, lardée de deux fentes pour les yeux. 

Pour s'assurer de ne pas être reconnue en tant que Sister Night, Angela Abar s'habille quant à elle en noir des pieds à la tête, masque noir sur sa bouche, et rajoute également de la peinture noire au niveau de ses yeux.

De son côté, son acolyte Miroir s'affuble d'une cagoule recouvrant entièrement son visage, même ses yeux, dans une matière réfléchissante, qui dissout son identité. Ce dernier, également policier, souffre de syndromes post-traumatiques après l'attaque d'une pieuvre géante sur Terre, en 1985.

Entre science-fiction et réalisme

Si Watchmen ressemble à notre monde contemporain, il en propose en effet une réalité alternative, par le biais de la science-fiction.

Les événements ont lieu 34 ans après la trame originelle du comics, qui raconte l'implication des Watchmen, un groupe de super-héros formé vers le milieu du XXe siècle, interférant dans les conflits mondiaux sur Terre. À la fois respecté et critiqué, il a eu un impact majeur sur le cours de l'Histoire contemporaine.

Leur leader était Docteur Manhattan, un homme d'apparence bleue, omniscient et omnipotent, capable de traverser le temps et l'espace, et de prendre différentes apparences. Depuis disparu, son retour est attendu comme celui du Messie.  

Si la série montrent ces héros comme faisant partie d'un folklore désuet, elle met du temps à faire rejoindre ces vieux personnages excentriques, vivant dans un autre monde pour certains, au présent. Il faut attendre les derniers épisodes pour comprendre en quoi ces deux espaces-temps sont interconnectés, aussi bien sur le plan politique qu'intime. 

Une fois ces arcs narratifs rejoints, Watchmen gagne en clarté et son propos n'en est que plus fort : la justice n'est jamais acquise.

Watchmen, mini-série de 9 épisodes, de Damon Lindelof, avec Regina King, disponible sur OCS