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Vandalisme en Martinique: «Victor Hugo était le défenseur puissant de tous les déshérités»

«Portrait de l’ecrivain francais Victor Hugo (1802-1885)» Peinture de Leon Joseph Bonnat (1833-1922), Versailles, musée du château ©Photo Josse/Leemage

FIGAROVOX/TRIBUNE - À Fort-de-France (Martinique), des activistes ont arraché un panneau de rue au nom du célèbre écrivain. Le président de la Société des Amis de Victor Hugo rappelle que l’auteur des Misérables a été un fervent militant de la lutte anti-esclavagiste au XIXe siècle.

Arnaud Laster, est le président de la Société des Amis de Victor Hugo. Responsable de plusieurs éditions d’œuvres de Hugo (préfaces et notes), il a participé aux deux éditions de référence de ses Œuvres complètes (Club français du livre et collection Bouquins, éd. Laffont). Il a notamment publié Pleins feux sur Victor Hugo (édité par la Comédie-Française). Il est également spécialiste de Jacques Prévert.


Dimanche 26 juillet, à Fort-de-France, en Martinique, un panneau de rue au nom de Victor Hugo a été déboulonné. La scène, qui montre deux individus en train d’arracher la plaque, a été filmée et circule sur les réseaux sociaux, suscitant heureusement l’indignation. Ce n’est pas la première fois que Hugo est pris pour cible de campagnes diffamatoires. En 2017, il avait été accusé de racisme et celle qui avait répandu cette calomnie avait même lancé une pétition demandant aux recteurs d’imposer qu’on enseigne cette contre-vérité. La Société des Amis de Victor Hugo que je préside avait jugé nécessaire de publier une mise au point dans le numéro de cette année-là de sa revue, L’Écho Hugo.

Rappelons quelques faits. Une anti-esclavagiste, Maria Chapman , écrit à Hugo le 27 avril 1851 pour lui demander de soutenir la cause abolitionniste. Hugo lui répond favorablement et longuement le 12 mai . «L’esclavage aux États-Unis! s’exclame-t-il. Y a-t-il un contresens plus monstrueux?». Huit ans plus tard, le 2 décembre 1859, il écrit une lettre ouverte aux États-Unis d’Amérique, publiée par les journaux libres d’Europe, pour défendre l’abolitionniste John Brown condamné à mort. Partant du fait qu’«il y a des esclaves dans les états du Sud, ce qui indigne, comme le plus monstrueux des contre-sens, la conscience logique et pure des états du Nord», il relate le combat de Brown, son procès et son exécution annoncée, et conclut: «il y a quelque chose de plus effrayant que Caïn tuant Abel, c’est Washington tuant Spartacus». Un journaliste de Port-au-Prince, Heurtelou, le remercie le 4 février 1860. Hugo lui répond le 31 mars: «Vous êtes, Monsieur, un noble échantillon de cette humanité noire si longtemps opprimée et méconnue. / D’un bout à l’autre de la terre, la même flamme est dans l’homme, et les noirs comme vous le prouvent.»

En 1867, il écrit à la veuve d’Octave Giraud qui lui a demandé de venir en aide à la mémoire de son mari: «Monsieur Octave Giraud un jour me fit l’honneur de me consulter. Il m’avait envoyé quelques-unes de ses œuvres ; je connaissais sa science, son intelligence, […] ses études aux Antilles, […] sa portée comme philosophe. Il me demanda: que dois-je faire? Je lui dis: faites l’histoire de l’homme noir. L’homme noir, quel sujet! Jusqu’à ce jour, l’homme blanc seul a parlé. L’homme blanc, c’est le maître. Le moment est venu de donner la parole à l’esclave. […] Depuis six mille ans Caïn est en permanence. L’homme noir subit de la part de son frère une effrayante voie de fait. Il subit ce long meurtre, la servitude. […] Toute l’histoire de l’homme blanc, la seule qui existe jusqu’à ce jour, est une masse énorme de faits, de gestes, de luttes, de progrès, de catastrophes, de révolutions, de mouvements dans tous les sens, dont l’homme noir est la cariatide lugubre. L’esclavage c’est, dans l’histoire, le fait monstre. Sous notre civilisation, telle qu’elle est, avec ses difformités magnifiques, ses splendeurs, ses trophées, ses triomphes, ses fanfares, ses joies, il y a un cri. […] Ce cri, c’est l’esclavage. Quelle mission et quelle fonction, faire l’histoire de ce cri! […] Je l’ai dit plus d’une fois, et je répète volontiers cette pensée d’espérance, le moment approche de l’humanité une. Qu’importe deux couleurs sous le même soleil! Qu’importe deux nuances, s’il y a sur le visage pâle et sur le visage noir la même lumière d’aurore, la fraternité. […] L’esclavage est la plaie au flanc de l’humanité.»

Qu’importe deux nuances, s’il y a sur le visage pâle et sur le visage noir la même lumière d’aurore, la fraternité. […] L’esclavage est la plaie au flanc de l’humanité.

Victor Hugo

Hugo accepte de présider, le 18 mai 1879, une commémoration de l’abolition de l’esclavage en présence de Victor Schoelcher, auteur principal du décret d’émancipation de 1848, qui salue en Hugo «le défenseur puissant de tous les déshérités, de tous les faibles, de tous les opprimés de ce monde» et déclare ceci: «La cause des nègres que nous soutenons, et envers lesquels les nations chrétiennes ont tant à se reprocher, devait avoir votre sympathie; nous vous sommes reconnaissants de l’attester par votre présence au milieu de nous.» Le discours de Hugo porte sur l’Afrique plus que sur l’esclavage. Il contient une formule qui a suscité la polémique en 2017 - «Au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du noir un homme» - alors qu’elle dénonce implicitement la déshumanisation qui a résulté de l’esclavage et salue l’action de ceux qui l’ont aboli, rendant à ses victimes leur humanité. On a aussi vilipendé le soutien apporté à la colonisation, sans reconnaître qu’il était conditionné par une visée civilisatrice et fraternelle. Un poème de Toute la lyre prouve combien Hugo a su être conscient d’une possible hypocrisie de cette motivation et des dérives susceptibles d’accompagner la colonisation: «Vous croyez civiliser un monde, / […] Quand vous chassez du bois, de l’antre, du rivage / Votre frère aux yeux pleins de lueurs, le sauvage» pour lui substituer un «Idolâtre du dieu dollar […] / Qui se dit libre, et montre au monde épouvanté / L’esclavage étonné servant sa liberté». Le discours de 1879 s’achève sur une exhortation: «que sur cette terre, de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, l’Esprit divin s’affirme par la paix et l’Esprit humain par la liberté». Hugo n’a pas dit là son dernier mot sur l’esclavage: son abolition dans une province du Brésil lui apparaît, le 25 mars 1884, comme «une grande nouvelle. / […] Le Brésil a porté à l’esclavage un coup décisif. […] / La liberté est la loi humaine. / Nous constatons d’un mot la situation du progrès. La barbarie recule, la civilisation avance».

Pour les funérailles de Hugo, en 1885, la République d’Haïti tint à manifester au poète sa reconnaissance en se faisant représenter par une délégation. Emmanuel-Edouard, écrivain haïtien, la présidait et déclara notamment au Panthéon: «La République d’Haïti a le droit de parler au nom de la race noire ; la race noire, par mon organe, remercie Victor Hugo de l’avoir beaucoup aimée et honorée, de l’avoir raffermie et consolée.»

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36 commentaires
  • départ

    le

    l histoire ne sert à rien

  • mordor30

    le

    Mais enfin, on leur apprend quoi à l'école??????

  • PAPINO106

    le

    Mon épouse aussi me dit que je suis puissant.

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