Liverpool ou Everton, les Beatles n'ont jamais choisi : trop risqué !

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Liverpool ou Everton, les Beatles n'ont jamais choisi : trop risqué !

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Liverpool, une ville coupée en deux par le football, comme cette tribune du stade d'Anfield Road, le 2 décembre 2018, avant un derby entre le Liverpool FC et Everton.
Liverpool, une ville coupée en deux par le football, comme cette tribune du stade d'Anfield Road, le 2 décembre 2018, avant un derby entre le Liverpool FC et Everton.
© AFP - Oli Scarff

Il était un foot. Dans les années 1960, à Liverpool, Brian Epstein, le manager des Beatles, leur avait interdit de dire quelle était leur équipe favorite : Liverpool ou Everton. Parce que s'ils s'étaient déclarés, cela aurait pu faire perdre des fans au groupe. En Angleterre, le football est une affaire sérieuse...

Le derby de la Mersey entre le Liverpool FC et l'Everton FC est quelque chose d'extrêmement important à Liverpool. Peut-être plus encore que le fleuve qui la traverse, le seul événement de l'année qui coupe littéralement la ville en deux et vient de provoquer un record historique d'audience à la télévision britannique. Même au sein des familles, on est (naît ;) soit "Toffee", soit "Red", supporteur d'Everton ou de Liverpool, et chacun doit obligatoirement choisir son camp !  

En juin dernier, par exemple, malgré le nouveau coronavirus, les fans du Liverpool Football Club ont fait la fête pour célébrer le premier titre de champion d'Angleterre de l'équipe depuis trente ans ! La moitié de la ville était dans les rues, parée de rouge. L'autre moitié, celle qui préfère le bleu d'Everton était restée à la maison !

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Le 25 juin 2020, des fans de Liverpool célèbrent le premier titre de champion de leur équipe depuis 30 ans.
Le 25 juin 2020, des fans de Liverpool célèbrent le premier titre de champion de leur équipe depuis 30 ans.
© AFP - TERRY DONNELLY / COLORSPORT / DPPI VIA AFP

De son côté, Joe Anderson, le maire de la ville a eu beau rappeler aux "Reds" qu'ils pouvaient faire la fête en faisant attention au virus et en y allant "molo sur la bière", il n'a pas vraiment été écouté. Et pour cause : Joe Anderson est connu pour être supporteur... d'Everton !

Aucune raison d'être fan d'un club plutôt que de l'autre

À Liverpool, on n'aime pas le Liverpool FC ou Everton parce qu'on est lié à un quartier, une religion ou par appartenance sociale. Le cas est assez unique en Angleterre, en Europe et même dans le monde. À Londres, par exemple, ou à Manchester (Manchester United et Manchester City), Birmingham (Aston Villa et Birmingham City) et Sheffield (Sheffield United et Sheffield Wednesday), un club représente fatalement un quartier, une banlieue, un centre-ville ou une communauté, religieuse ou économique. Pas à Liverpool, où sauf à mettre en avant des sentiments très personnels liés à l'enfance, il n'y a objectivement pas de raison évidente d'être fan d'un club de la ville, plutôt que de l'autre.

Devant un tel piège, Brian Epstein, le manager des Beatles, qui avait compris la spécificité de Liverpool, avait interdit aux "Scarabées" d'afficher leur préférence en public. Interdit ! George Harrison, le plus jeune des Beatles, avait résumé cette situation par une phrase restée célèbre : 

Il y a trois clubs à Liverpool et nous sommes pour l'autre !

En parlant de "trois clubs", le guitariste avait vraiment respecté les consignes d'Epstein et fait en sorte de ne vexer personne, puisqu’il avait même pris en compte le troisième club professionnel de Liverpool : le Tranmere Rovers Football Club. 

Les Beatles ont été faits membres de l'orde de l'Empire britannique le 26 octobre 1965 à Buckingham Palace. Question : des membres de l'ordre de l'Empire britannique peuvent-ils supporter une équipe de football ?
Les Beatles ont été faits membres de l'orde de l'Empire britannique le 26 octobre 1965 à Buckingham Palace. Question : des membres de l'ordre de l'Empire britannique peuvent-ils supporter une équipe de football ?
© AFP - PETER SKINGLEY / UPI / AFP

Les Beatles supporteurs ?

Il est en fait très compliqué de dire si le cœur de Beatles battait pour un club en particulier. Si George Harrison ne voulait surtout pas se mouiller, le père de John Lennon était connu pour être un grand fan des "Reds", mais John a à peine connu ce père qui a quitté le foyer familial très rapidement. Et par la suite, personne n'a jamais plus évoqué une éventuelle passion ou ne serait-ce qu'une quelconque liaison entre Lennon et le football.

Peut-être un tout petit peu de rouge dans le coeur de John Lennon, donc... et une once de bleu dans celui de Paul McCartney. Parce qu'on a dit que son oncle l'avait amené voir jouer Everton quand il était petit. Mais comme John, Paul est très rapidement passé à autre chose et il est impossible d'affirmer que ces souvenirs d'enfance aient pu laisser des traces... même s'il a assisté à la finale de la 85e Coupe d'Angleterre, en 1966, dans la mythique enceinte de Wembley. On ne sait pas s'il y était invité par "hasard", mais le fait est que cette année là, Everton avait remporté sa 3e finale de "Cup" en dominant Sheffield Wednesday 3 buts à 2. 

Le "pire" reste sans doute Ringo Starr, le batteur des Beatles. Lui est bien allé au stade quand il était jeune. Et pas qu'une fois ! Mais dans les deux stades de Liverpool... et pour applaudir Arsenal, une équipe du Nord de Londres !

Très étonnant ! D'autant plus que pour d'autres groupes de la ville, les préférences footballistiques sont beaucoup plus simples à identifier. Ian McCulloch, par exemple, le chanteur du groupe Echo and the Bunnymen, référence de la scène new wave anglaise, est un fan revendiqué des Reds, alors que le coeur très rock et indépendant de Matthew Murphy, le guitariste et chanteur des Wombats, bat pour Everton. 

Ian McCulloch, fan affirmé du Liverpool Football Club.
Ian McCulloch, fan affirmé du Liverpool Football Club.
© AFP - ROBERTO FINIZIO / NURPHOTO / NURPHOTO VIA AFP

Un "Red" sur la pochette de "Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band"

Ce qui rapproche le plus les Beatles du football, et en particulier du Liverpool FC, est certainement la pochette de leur huitième album : "Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band", sorti en 1967. La pochette de cet album, sans doute la plus célèbre de l'histoire de la musique populaire, est une photo du groupe (et pas un photomontage) au milieu d'une installation composée de personnages imprimés grandeur nature sur du carton ou de statues de cire. De Marilyn Monroe à Bob Dylan, en passant par Edgar Allan Poe, les Beatles ont sélectionné quelques unes de leurs idoles pour "poser" avec elles sur la pochette de "Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band". Et il n'y a que deux sportifs sur cette photo de groupe : le boxeur américain Sonny Liston, et le footballeur Albert Stubbins.

La présence de Liston, d'abord, est assez étrange : l'ancien champion du monde des poids lourds a perdu son titre en 1964 après une défaite devant Mohamed Ali et quelques jours seulement avant ce sacre, les Anglais avaient pris la pose avec Ali. Ils n'ont à l'inverse jamais rencontré Liston, mais c'est bien lui qui figure sur la photo.

La présence d'Albert Stubbins sur la pochette, elle, est encore plus étonnante ! Même si Stubbins fut le grand buteur du Liverpool FC entre 1946 et 1953 et qu'il a sans doute bercé les jeunes années de Paul, John, Ringo et George (les quatre Beatles sont nés entre 1940 et 1943), l'avant centre des Reds ne doit pas sa présence sur la mythique pochette à son habileté balle au pied, mais à son nom ! La petite histoire veut que ce soit John Lennon qui ait insisté pour que Stubbins soit sur la photo parce qu'il trouvait que son nom sonnait bien. Paul McCartney, lui, aurait préféré avoir un autre footballeur à ses côtés sur l'image. Dixie Dean, en l'occurrence : contrairement à Stubbins, Dean était international anglais et contrairement à Stubbins, il avait joué pour... Everton (il est encore aujourd'hui le meilleur buteur de l'histoire du club avec 395 buts en 447 matches).

1er juin 1967, sortie d'un album et d'une pochette qui font date : Sgt. Pepper, avec Albert Stubbins à droite de George Harrison. La légende veut que ce soit Lennon qui ait insisté pour qu'il y figure, parce qu'il trouvait que son nom sonnait bien...
1er juin 1967, sortie d'un album et d'une pochette qui font date : Sgt. Pepper, avec Albert Stubbins à droite de George Harrison. La légende veut que ce soit Lennon qui ait insisté pour qu'il y figure, parce qu'il trouvait que son nom sonnait bien...

Mais à la sortie de "Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band", si l'ancien avant centre du Liverpool FC avait reçu un exemplaire signé de l'album par courrier (c'est d'ailleurs seulement à ce moment là qu'il avait appris qu’il figurait sur cette pochette de légende), ce n'est pas John Lennon mais bien Paul McCartney qui avait joint une lettre manuscrite à l'album, sur laquelle il avait inscrit : 

Well done, Albert, for all those glorious years of football. Long may you bob and weave (Bravo Albert pour toutes ces glorieuses années de footballeur. Que tu puisses longtemps encore esquiver et frapper).

Il y a fort à parier qu'un "vrai" supporteur d'Everton n'aurait pas pu écrire ces mots. Lennon et McCartney avait peut-être tiré à pile ou face pour savoir qui écrirait à Stubbins, un peu comme Stubbins avait d'ailleurs jeté une pièce en l'air pour savoir s'il devait signer à Liverpool ou à Everton avant de s'engager avec les Reds. Les belles histoires ne sont jamais les plus claires. 

De l'importance des Reds et d'Everton à Liverpool 

Impossible de commencer par l'un ou l'autre des clubs pour les comparer, sans être taxé de partialité. Mais puisqu'il faut bien s'attaquer au problème, commençons par le plus vieux des deux : Everton, fondé en 1878. Avec ses 9 titres de champion d'Angleterre, ses 5 coupes nationales et sa coupe d'Europe des vainqueurs de Coupe remportée en 1985, le Everton Football Club n'est pas un club anonyme. Et même si ses plus beaux succès remontent aux années 80 (depuis 1992 et la création de la FA Premier League, le club n'a jamais fait mieux que 4e du championnat), Everton reste un grand nom du football anglais, éminemment respecté et apprécié.

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Le doux surnom de ses joueurs y est peut-être aussi un peu pour quelque chose : les "Toffees". En Angleterre, un toffee est un caramel au beurre et puisque le stade de Goodison Park a été construit juste à côté d'une usine de caramels et que la marque de bonbons profitait des mi-temps pour faire goûter ses produits au public, le "nickname" s'est imposé, a traversé les époques pour perdurer jusqu'à aujourd'hui, même si l'usine de toffees a disparu.

Le logo d'Everton lui non plus n'a pas changé depuis sa création dans les années 30. Il représente la Tour du Prince Rupert, une ancienne prison, symbole du quartier d'Everton, située sur la rue Everton Brow, à deux pas de Goodison Park.

Au commencement, les Reds jouaient en... bleu et blanc !

Le Liverpool Football Club, "l'autre" club de Liverpool est né en 1892 et il a également vu le jour dans le quartier d'Everton. Au début, les Reds jouaient d'ailleurs en bleu et blanc et s'appelaient "Everton Football Club and Athletic Grounds Limited". Sur leur blason, pas de tour d'Everton, mais un "liver Bird", un oiseau mythique,  mi-cormoran et un mi-aigle, qui se trouve être l'emblème de la ville. Heureusement pour les fans, très rapidement, le club a été rebaptisé Liverpool Football Club et a adopté le rouge pour son maillot, ce qui était quand même plus simple pour s'y retrouver et a sans doute grandement participé à la rivalité entre les deux clubs. 

Il n'y a que 3169 pieds, moins d'un mile (environ 1,5 km), entre le stade d'Anfield Road des Reds et le Goodison Park des Toffees !
Il n'y a que 3169 pieds, moins d'un mile (environ 1,5 km), entre le stade d'Anfield Road des Reds et le Goodison Park des Toffees !
© AFP - Paul ELLIS / AFP

Parce qu'entre Everton et Liverpool, il n'y a guère que le palmarès - mais quel palmarès pour le LFC - et la couleur du maillot qui change : pour le reste, les deux clubs sont de véritables jumeaux. C'est ce qui rend leur rivalité unique... et la position des Beatles tout à fait compréhensible. 

Contrairement à Everton, le Liverpool FC est un poids lourd du football européen et mondial : 19 titres de champion, 7 coupes d'Angleterre, 8 coupes de la Ligue, 9 coupes d'Europe dont 6 ligues des Champions (la première en 1977, la dernière en 2019). Mais ils "habitent" quasiment au même endroit : il n'y a en effet que 3 169 pieds, moins d'un mile (environ 1,5 km), entre le stade d'Anfield Road des Reds et Goodison Park des Toffees !

Contrairement à certains clubs de Londres (Arsenal et Tottenham, par exemple), il n'y a pas de différence de religion, les deux clubs ayant tous les deux été fondés par l'église protestante méthodiste. Les différences sociologiques entre les Toffees et les Reds sont également inexistantes. De Liverpool ou d'Everton, les fans sont tous des "Scousers", des habitants de la ville issus des vagues d'immigration venues d'Irlande et d'Ecosse et se retrouvent dans les tribunes d'Anfield Road ou de Goodison Park.

Anfield Road était le stade d'Everton 

La seule explication plausible de cette indéniable rivalité entre Everton et Liverpool se situe peut-être au niveau du porte monnaie : au début de l'histoire, c'est Everton qui évoluait sur la pelouse du stade d'Anfield Road. Mais les Bleus, qui ne s'appelaient pas encore les Toffees, trouvaient le loyer trop élevé et sont donc partis s'installer juste à côté, à Goodison Park. John Houlding, l'homme d'affaires propriétaire d'Anfield ne pouvant se permettre de laisser son stade sans club résident, décida de créer le Liverpool Football Club pour "occuper le terrain". Mais si la rivalité entre les deux clubs vient de cet événement, elle est vraiment très ancienne et ne compte plus aucun survivant, puisqu'elle remonte à 1892 !

Les abords du stade d'Anfield Road, dans le quartier d'Everton.
Les abords du stade d'Anfield Road, dans le quartier d'Everton.
© AFP - Oli SCARFF / AFP

Liverpool en rouge et bleu après le drame de Sheffield

Dans l'expression "frères ennemis", il y a le mot "frères" et dans certaines circonstances, ceux de Liverpool et d'Everton savent se souvenir de ce qui les unit. Comme en 1989, quand une gigantesque bousculade à Sheffield, dans le stade d'Hillsborough, dans la tribune des supporteurs de Liverpool, avait causé la mort de 96 personnes. Pour rendre hommage au victimes, les supporteurs des deux clubs avaient alors formé une chaîne d'écharpes bleus et rouges entre les deux stades. 

La rivalité entre Everton et Liverpool serait donc plus qu'ailleurs empreinte de respect. On parle d'ailleurs de "friendly derby", "derby amical". Mais un jour de derby reste un jour de derby et quand Liverpool reçoit Everton ou l'inverse, la ville se divise, des familles se déchirent : si le père et la fille sont supporteurs des Reds et la mère et le fils fans des Toffees, ils mangent avec leur écharpe bleue ou rouge, des deux côtés de la table et personne ne se parle. Pour aller au stade, chacun va de son côté, avec "ses" supporteurs. Et après le match, les vainqueurs se moquent évidemment des perdants. De là à penser que certains en arrivent à souhaiter un match nul pour préserver la paix des familles... 

Finalement, les quatre Beatles étaient peut-être des cas très particuliers à Liverpool, de ces rares Scousers qui ne s’intéressaient pas beaucoup au football. Difficile à imaginer dans cette ville où le ballon rond fait tourner toutes les têtes depuis 142 ans, mais sans doute pas très éloigné de la réalité.

Avec la collaboration de Franck Ballanger