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Genève se mobilise pour sauver une infirmière iranienne

Au front durant la crise du Covid-19, Helia Najafzadehkhoei est aujourd’hui menacée de renvoi et bataille pour prouver que ses attaches sont en Suisse. Un «cas exceptionnel» qui a touché le conseiller d’Etat Mauro Poggia

Helia Najafzadehkhoei, infirmière iranienne sous le coup d’une procédure d’expulsion. — © Eddy Mottaz / Le Temps
Helia Najafzadehkhoei, infirmière iranienne sous le coup d’une procédure d’expulsion. — © Eddy Mottaz / Le Temps

C’est l’histoire d’un imbroglio administratif aux accents kafkaïens. A 29 ans, Helia Najafzadehkhoei a passé plus de la moitié de sa vie en Suisse, s’y est formée comme infirmière, a travaillé pour différents hôpitaux notamment à Genève durant la crise du Covid-19 et parle parfaitement français. Pourtant, la jeune femme a récemment reçu une notification de renvoi de l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM). Sa demande de permis humanitaire ayant été refusée, elle doit rentrer à Téhéran, où elle n’a plus aucune famille proche, au plus tard le 16 septembre. Son compagnon, ses amis et son frère sont à Genève; ses parents en France. Révélée par le GHI la semaine dernière, l’affaire suscite un fort élan de solidarité dans le monde politique genevois, au point que le conseiller d’Etat Mauro Poggia s’y intéresse. Une pétition en ligne lancée par son frère a par ailleurs récolté près de 9000 signatures en deux semaines.

Le parcours du combattant d’Helia Najafzadehkhoei démarre il y a neuf ans. Fille de diplomate, elle a vécu en Suisse de 9 à 13 ans et décide d’y revenir en 2011 pour faire ses études. Après un premier essai en biologie, elle entame un bachelor en soins infirmiers à Neuchâtel. «Au-delà des cours, je devais gérer l’angoisse de faire renouveler mon permis d’étudiante chaque année», raconte la jeune femme discrète, un peu dépassée par la récente médiatisation dont elle fait l’objet. Diplômée en 2017, au bénéfice d’un permis L pour recherche d’emploi, elle ne tarde pas à trouver un poste en psychiatrie à l’Hôpital cantonal fribourgeois. «Un jour avant que je commence, les RH m’ont appelée en me disant que l’OCPM refusait mon permis de travail. J’étais dévastée.» C’est le début de l’engrenage infernal: sans permis de séjour pas de permis de travail et vice versa.

Naturalisation en suspens

Fin 2017, Helia Najafzadehkhoei entame alors une procédure de naturalisation à Neuchâtel. Remplissant toutes les conditions – les douze ans passés en Suisse, la parfaite maîtrise du français notamment – elle franchit rapidement les premières étapes jusqu’à l’entretien qui se déroule très bien. Seule pièce manquante à son dossier: un permis de séjour valable. La jeune femme déménage alors à Genève où son frère, naturalisé depuis douze ans, est installé, dans le but de trouver un emploi. Rapidement embauchée dans un cabinet privé, elle doit patienter plus de dix mois pour obtenir son autorisation de travail. «C’est l’un des paradoxes de la procédure, souligne la jeune infirmière, épaulée par son compagnon dans son combat. Alors qu’on fait tout pour être autonome financièrement, la lenteur des démarches nous paralyse.»

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En dernier recours, la jeune femme dépose une demande de permis humanitaire en 2018. Aidée d’un avocat, elle met en avant ses nombreuses attaches avec la Suisse et la situation politico-économique tendue en Iran. Dans l’intervalle, elle trouve un nouvel emploi dans une clinique genevoise qu’elle conserve jusqu’à fin 2019. Avec l’arrivée de la crise du Covid-19, elle s’engage comme volontaire aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) du 20 avril au 31 mai. «J’avais besoin de me sentir utile, raconte-t-elle. J’ai été affectée aux soins intermédiaires. C’était intense et parfois stressant, heureusement, il y avait beaucoup d’entraide dans l’équipe.»

«Epuisée par tant de refus»

Dans la foulée, les HUG lui proposent un CDI. Problème: elle reçoit entre-temps un préavis négatif de l’OCPM concernant sa demande de permis humanitaire. Pour l’examinateur, Helia manque d’attaches en Suisse et les années capitales dans la constitution de sa personnalité se sont déroulées en Iran. Honnête, elle informe les RH des HUG et son contrat est annulé. C’est la douche froide. Malgré tout, la jeune femme s’accroche et engage une avocate pour tenter de convaincre les autorités. En vain. Le refus définitif de l’OCPM tombe le 15 juillet sans tenir compte des observations de l’avocate. «C’est dur de garder espoir, je suis parfois épuisée par tant de refus, confie Helia. J’ai l’impression de me battre contre une administration aveugle.» Au plus fort de la pandémie, son statut n’a pas posé de problème aux HUG. A-t-elle le sentiment d’avoir été utilisée? «Non, j’ai fait mon devoir d’infirmière, j’ai été là pour les patients au moment où ils en avaient besoin.»

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Aujourd’hui, le dernier espoir d’Helia reste la naturalisation. Dans cette démarche, la jeune femme est soutenue par Mauro Poggia qui s’est saisi du dossier. «Dans un cas exceptionnel comme celui-ci, le canton dispose d’une petite marge de manœuvre», précise le ministre, soulignant l’injustice de la situation. «Cette jeune femme remplit toutes les conditions d’une naturalisation hormis le permis qu’on lui refuse faute de travail et vice versa, c’est le serpent qui se mord la queue.» L’hypothèse privilégiée à ce stade: une formation complémentaire certifiée, le cas échéant aux HUG, qui permettrait à Helia d’obtenir un permis de séjour étudiant pour finaliser sa naturalisation. En parallèle, plusieurs amis avocats l’aident à rédiger un recours bénévolement. «Nous espérons que le cas d'Helia mette en lumière certaines incohérences», confie son compagnon, très affecté par la situation. Les autorités oublient parfois que derrière un dossier, il y a un être humain.» Une chose est sûre: Helia ne voit pas son avenir en Iran. «Ma vie est ici. Si je parviens à rester, j’aimerais aider d’autres personnes qui vivent des situations similaires mais n’ont pas les mêmes ressources pour se battre.»