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Reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle : "Tout est fait pour limiter le nombre de bénéficiaires"
Le ministre de la Santé, Olivier Véran.

Reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle : "Tout est fait pour limiter le nombre de bénéficiaires"

Entourloupe

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Représentants syndicaux et associatifs ne cachent pas leurs inquiétudes après la révélation d'un projet de décret concernant la prise en charge du Covid-19 en tant que maladie professionnelle, bien en deçà des premières annonces du gouvernement.

Auront-ils droit à davantage que des médailles et des applaudissements aux fenêtres ? Alors que la publication du décret définissant les contours de la prise en charge du Covid-19 en tant que maladie professionnelle se fait encore attendre ce mercredi 29 juillet, représentants syndicaux et associatifs ne cachent pas leurs inquiétudes après la révélation d'un projet de texte revenant en grande partie sur les premières annonces du gouvernement.

Le 30 juin dernier, le ministère du Travail semblait s'orienter vers une indemnisation large, obtenue automatiquement pour le personnel médical ayant été malade, et de manière facilitée pour le reste des travailleurs en première ligne pendant l'épidémie. Au lieu de cela, un projet de décret, révélé début juillet par Le Monde et que Marianne a pu consulter, introduit une conditionnalité pour les "soignants" et préfigure une usine à gaz administrative pour les salariés souhaitant faire reconnaître "leur" Covid-19 comme une maladie professionnelle. "Il y a une distorsion considérable entre les annonces et le dispositif que dessine ce projet de décret", explique à Marianne Morane Keim-Bagot, Professeure de droit à l'Université de Bourgogne et auteure de la thèse De l'accident du travail à la maladie : la métamorphose du risque professionnel.

Les intentions de l'exécutif à l'égard des soignants semblaient pourtant claires. Le 23 mars, le ministre de la Santé, Olivier Véran déclarait devant la presse : "Pour tous les soignants qui tombent malades, le coronavirus sera reconnu comme maladie professionnelle." Et d'insister : "C'est la moindre des choses, il n'y a aucun débat là-dessus." L'enjeu pour les médecins et infirmières, comme pour le reste des travailleurs, est de taille : la reconnaissance d'une maladie professionnelle permet en effet une prise en charge des frais de soins totale par l'assurance maladie, de meilleures indemnités journalières - 60% du salaire journalier de base entre le 1er et le 28ème jours d’arrêt, puis 80% à partir du 29ème jour - et l'attribution d'une indemnisation, sous forme de rente ou de capital, en cas d’incapacité permanente ou décès pour les ayants droit. En outre, la maladie professionnelle permet au salarié de demander des dommages et intérêts à son employeur pour faute inexcusable.

"Un signe de mépris"

Le 30 juin, le ministère du Travail a repris la promesse d'Olivier Véran à son compte, en introduisant cependant la notion de "sévérité" : "Les soignants atteints du Covid-19 dans sa forme sévère verront leur maladie systématiquement et automatiquement reconnue comme une maladie professionnelle", peut-on lire sur le site Internet du ministère. Pour mémoire, la sécurité sociale tient un tableau de pathologies, chacune accompagnées de critères : délais maximum de prise en charge, durées minimales d'exposition au risque et listes d'activités concernées.

Un salarié remplissant ces critères n'a pas à prouver le lien entre son activité et sa maladie : "Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau", prévoir en effet l'article L461-1 du code de la sécurité sociale. En revanche, si la maladie ne figure pas dans l'un de ces tableaux, c'est au salarié qu'incombe la charge de la preuve.

Or, à lire le projet de décret du gouvernement, ce dernier souhaiterait retenir une définition très restrictive du Covid-19 dans un nouveau tableau dédié spécifiquement au coronavirus. Dans la colonne "désignation des maladies", on peut en effet lire : "Affections respiratoires aigües causées par une infection au SARS-CoV2, confirmée par examen biologique ou scanner ou, en leur absence, par une histoire clinique documentée (compte-rendu d’hospitalisation, documents médicaux) et ayant nécessité une oxygénothérapie, attestée par des compte-rendus médicaux, ou ayant entraîné le décès."

Autrement dit, la prise en charge automatique du Covid-19 en tant que maladie professionnelle se limiterait pour les soignants aux cas ayant nécessité une assistance respiratoire. "C'est un signe de mépris pour ceux qui se sont exposés au danger", s'indigne Nadine Herrero, présidente de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath), auprès de Marianne. "C'est un projet de décret très restrictif, qui sera source de recours en justice en raison du flou entourant la notion de sévérité. Devant un tribunal, ça ne résistera pas à une expertise médicale", renchérit Christophe Prudhomme, porte-parole de l'association des médecins urgentistes français et syndicaliste CGT, regrettant que le gouvernement soit revenu sur sa promesse d'automaticité : "Nous la demandions également en raison de la surcharge de travail subie par les services administratifs au gros de la première vague. Ils n'ont pas toujours pu suivre", précise le médecin.

La définition étroite retenue dans cette ébauche de décret est d'autant plus incompréhensible pour lui que la connaissance scientifique du Covid-19 est encore floue : "On ne connaît pas les effets à long terme du Covid-19 sur les poumons par exemple", avance Christophe Prudhomme. "Certains de mes collègues ont été malades, se sont soignés avec les moyens du bord sans avoir besoin d'assistance respiratoire, mais ressentent encore aujourd'hui de la fatigue ou souffrent d'essoufflements." Nadine Herrero abonde en ce sens : "Les critères sont beaucoup trop limitatifs pour des séquelles dont on ne connaît pas encore l'étendue, explique-t-elle, on prend le même chemin que pour l'amiante." Autre motif d'inquiétude pour la Fnath : le délai 14 jours prévu par le décret pour faire constater sa maladie après la fin de l'exposition au risque. Trop court selon l'association, puisque, même si la durée d'incubation moyenne du Covid-19 est de 3 à 5 jours, les premiers symptômes peuvent apparaître jusqu'à deux semaines après la contamination.

"Complexité byzantine"

Pour les salariés n'appartenant pas à la catégorie des "soignants" - livreurs, caissiers et autres véritables "premiers de cordée" - ou ne remplissant pas les conditions fixées par le tableau de l'assurance maladie, la partie s'annonce encore plus compliquée. Ils devront saisir, selon le texte du projet de décret, "un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles unique, dédié aux maladies liées au Covid-19, afin d’en harmoniser le traitement". "Ces comités vont être immédiatement surchargés", s'inquiète Nadine Herrero. De son côté, le ministère du Travail assurait le 30 juin que "des recommandations seront adressées [au comité] pour faciliter la reconnaissance de maladie professionnelle pour les salariés atteints de la Covid-19 dans sa forme sévère, pour les activités réalisées en présentiel pendant la période de confinement".

Reste que, comme expliqué plus haut, c'est le salarié qui devra faire la démonstration du lien entre sa contamination par le Covid-19 et son travail dans cette procédure. Plutôt coton, dans le cas d'une épidémie si largement répandue et difficile à pister. "La meilleure stratégie sera peut-être de faire jouer les présomptions, en réunissant un faisceau d'indices", avance Morane Keim-Bagot. "Il faudra montrer qu'il y a eu tant de personnes contaminées sur le lieu de travail, éventuellement produire les sérologies des autres membres de la famille pour exclure cette origine…". La professeure de droit est toutefois dubitative : "Je pense que ça va être d'une complexité byzantine, sauf hélas pour les ayants droits de victimes décédées. Beaucoup de salariés n'arriveront pas à prouver ce lien. En tout cas tout est fait pour…"

Morane Keim-Bagot alerte également sur un autre recul discret entre les annonces gouvernementales et le texte en préparation : initialement, la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle ne devait pas être conditionnée, comme c'est le cas d'ordinaire pour les autres pathologies, par la constatation d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 25% des salariés. "Dans le cadre de cette procédure simplifiée, aucun taux d’incapacité permanente ne sera notamment exigé", peut-on encore lire sur le site du ministère du Travail. "Cette disposition a purement et simplement disparu dans le projet de décret", constate la juriste.

"Tout est fait pour limiter le nombre de bénéficiaires", soupire lui aussi Christophe Prudhomme. "C'est un gouvernement de boutiquiers, qui fait des promesses tant que nous sommes au front, le nez dans le guidon", ajoute le médecin, pour qui la différence entre les annonces initiales et le projet de décret n'a pas d'autre raison que l'application d'une logique comptable. En effet, si l'employeur ne financera pas directement l'indemnisation d'un salarié atteint de Covid-19, ce sont bien ses cotisations à la branche dite "AT-MP" (accident du travail et maladie professionnelle) de la sécurité sociale qui serviront à payer. "Un arrêté prévoira la mutualisation de cette dépense entre tous les employeurs dans la part mutualisée de leur cotisation accidents du travail et maladies professionnelles", explique le site du ministère du Travail. In fine, ce sont donc les employeurs qui paieront. Une contribution que le gouvernement semble vouloir limiter le plus possible. "On a préféré l'aide aux entreprises à l'aide aux victimes", grince Nadine Herrero.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne